Entrevues

Ces célibataires qui dérangent

Jamais les Québécoises n’ont été aussi nombreuses à vivre seules. Parfois par choix, parfois parce qu’un chum ou une blonde à leur goût tarde à se pointer. Mais dans tous les cas, leur célibat génère bien des préjugés, révèle notre petite enquête.

De gauche à droite: Julie Charron, Mélissa Lavergne, Debbie Rouleau, Lucie Lebrun, Geneviève Lefebvre, Julie Gauthier et Véronique Proulx. Photo: Josée Lecompte

«Pour moi, les hommes sont comme des boulets. La planète est un terrain de jeu immense, et je veux l’explorer sans entraves.» Julie Charron, une designer industrielle de 35 ans, n’y va pas par quatre chemins. Avec six autres filles célibataires, elle participe à une table ronde organisée par Châtelaine pour témoigner de la vie en marge du package classique chum-enfants. Une situation plus subversive qu’il n’y paraît, à une époque où toutes les mœurs semblent pourtant admises. Les Québécoises sont nombreuses à porter ce chapeau: plus du tiers ne vivent pas en couple, une tendance qui croît lentement, mais sûrement, depuis au moins 25 ans. Toutefois, les médias et les scientifiques en parlent peu, comme si elles étaient invisibles. Entre deux gorgées de café, nos sept truculentes invitées étalent leur existence en solo et exposent sans complaisance les contradictions qui les habitent. Certaines ont de plein gré choisi leur célibat, d’autres y goûtent par accident à la suite d’une séparation. Mais toutes ont en commun de se plaire dans cet état. Jouer les Bridget Jones désespérées? Pas question!

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Des électrons libres

«Tous les deux ou trois ans, je révolutionne ma vie, par sentiment d’urgence, comme si j’allais mourir demain», raconte encore Julie Charron. Prochain remue-ménage: déménager à Rimouski afin d’assouvir sa passion pour la biologie marine – elle est plongeuse certifiée. Et pour ses 40 ans, elle vise la traversée du sentier Transcanadien. Une trotte d’un an et demi en solitaire, comme l’a fait l’auteure Cheryl Strayed, dont les aventures ont inspiré le film Wild. «Couple et enfants ne peuvent pas s’inscrire là-dedans», conclut-elle. Nos interviewées apprécient leur liberté d’être elles-mêmes sans avoir à faire de compromis pour plaire, « enfin libérée du piège des attentes qu’on entretient vis-à-vis d’un partenaire pour qu’il nous rende heureuse », fait valoir Lucie Lebrun, une coach en gestion de 57 ans, célibataire depuis près d’une décennie. Debbie Rouleau, une développeuse web de 37 ans qui se décrit comme une «pirate badass», affirme qu’elle a recouvré sa santé mentale en divorçant du père de sa fille, qui était pourtant « une bonne personne». C’est que la vie à deux faisait ressortir sa part d’ombre.  Je m’étais transformée en monstre, une Germaine à la puissance mille. Ça m’a plongée dans une dépression. J’ai compris que je suis bien plus heureuse seule. Au fond, je suis une célibataire dans l’âme qui a été en couple par curiosité pendant 18 ans!»

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Retour à l’université, cours de karaté, écriture d’un roman… Toutes profitent pleinement du temps pour soi que confère le célibat. « Une seule fois, j’ai rencontré un homme qui m’a dit: “Vas-y, investis-toi dans ton projet, je suis fier de toi!” confie Geneviève Lefebvre, une auteure qui s’est mariée deux fois. Alors, j’y suis allée… Et il en a profité pour me tromper! Pour les femmes, le couple constitue souvent un frein à la carrière, dans la mesure où on assume d’office une charge domestique supplémentaire.» Véronique Proulx, 37 ans, n’a jamais connu ces tourments, puisqu’elle est seule depuis toujours, «si on exclut quelques grenailles!». Et elle ne voit pas trop comment elle pourrait partager ses jours avec quelqu’un. Conseillère dans une institution financière, elle est l’archétype de la performante en tailleur qui commence ses journées à 6 h, travaille le week-end, s’implique dans les CA et décroche des certifica-tions en ceci ou en cela. Son autre passion s’appelle Fleet, un beau hongre roux pour lequel elle est aux petits soins. «Pas un homme ne peut se placer entre mon cheval et moi!»

Mais en dépit des joies que lui procure son statut de célibataire – comme le fait de pouvoir dépenser son argent comme elle l’entend –, il lui arrive parfois d’espérer un chum et une marmaille, «pour qu’on arrête de me regarder comme si j’étais une Martienne». Dans son milieu professionnel, réussite sociale rime avec grosse baraque, chalet, voiture luxueuse et progéniture inscrite dans les meilleures écoles. Elle n’a rien de tout ça, ce qui jure dans le décor. «Sans cette pression sociale, je serais encore plus heureuse. Ce n’est pas facile de toujours faire face aux commentaires. À la longue, ça mine l’estime personnelle. C’est comme s’il fallait toujours que je me justifie.» Très présente auprès de sa famille, elle s’est déjà fait reprocher de vivre encore dans les jupes de sa mère. Autour de la table, les filles hochent la tête avec sollicitude. Elles aussi essuient des remarques désobligeantes, parfois lancées sans mesquinerie, mais qui prouvent à quel point les préjugés sont tenaces.

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De gauche à droite: Véronique Proulx, Lucie Lebrun, Mélissa Lavergne et Debbie Rouleau. Photo: Josée Lecompte

Une société pas si libérale

Bien sûr, le célibat n’est plus taxé de «fléau social » comme au 18e siècle, quand la communauté médicale européenne s’inquiétait qu’il ne menace « la survie de l’espèce », relève la philosophe française Geneviève Guilpain dans son fascinant ouvrage Les célibataires, des femmes singulières, publié aux Éditions L’Harmattan. C’est à cette époque qu’est apparue, dans la littérature, la figure de la vieille fille plus près de la «morte-vivante» que de l’être humain, misérable parce qu’elle est passée «à côté de sa destinée naturelle et sociale: l’accomplissement dans le mariage et la maternité», écrit-elle. Même si les choses ont bien changé depuis, le fait que certaines puissent vivre hors du cadre du couple et de la reproduction paraît encore suspect sur le plan moral. «Le vieux fond catholique de notre société associe le célibat à l’égoïsme », observe la politicologue Manon Tremblay, qui s’intéresse à la question à titre personnel, puisqu’elle a décidé de faire cavalière seule après avoir rompu avec sa blonde, il y a 15 ans. Elle s’indigne qu’on lui dise parfois: «Toi, t’as juste toi à penser », ou qu’on laisse entendre qu’elle se comporte en adolescente incapable d’engagement. «Comme si les célibataires ne contribuaient pas à la société! Qu’ils en signaient la mort, même. » À la limite, on tolère qu’elles puissent s’épanouir dans la vingtaine, peut-être même à 30 ans, alors qu’elles commencent leur carrière et goûtent à l’indépendance, constate la philosophe Geneviève Guilpain, jointe en France. «Mais quand leur célibat dure, on en déduit que quelque chose cloche. On a du mal à croire que ça puisse être un choix de vie positif, affirmé, qu’une femme soit portée par d’autres passions et se suffise à elle-même. Forcément, il y a un manque: elle doit cacher un mal-être, une tristesse derrière cette apparente autonomie triomphante!»

Plus facile pour les gars ?

D’où ce que Julie Charron appelle «la maladie du célibat»: «Quand les gens apprennent que tu n’as personne dans ta vie, c’est comme s’ils entendaient: “J’ai le rhume” ou “Je me suis cassé la jambe”. Tout de suite, ils cherchent un remède: “J’aurais quelqu’un à te présenter!” » Une chanson que connaît bien Mélissa Lavergne, séparée depuis deux ans et demi. Certains amis, aussi bienveillants soient-ils, semblent associer sa situation à une sorte de stand-by, observe la percussionniste de 35 ans, qui a parfois l’impression qu’on la prend en pitié. Ainsi cherchent-ils à lui trouver un homme à tout prix. «À mon avis, ça trahit leur propre peur d’être seuls.  Pourtant, les hommes libres de son entourage ne se font jamais dire: «Comment ça se fait que tu es célibataire?», ou encore «Faudrait que tu te dépêches!», par allusion à leur fertilité en déclin.

Au Québec, presque autant de gars que de filles vivent sans partenaire. Mais, selon les participantes à notre table ronde, il y a une différence de taille entre les deux. «Pour eux, c’est comme si le célibat pouvait être un choix de vie, tandis que pour nous, c’est nécessairement subi», déplore Lucie Lebrun. Une idée répandue que l’on doit toutefois nuancer, selon Marc Lafrance, spécialiste de l’identité masculine et professeur à l’Université Concordia. Certes, le playboy insaisissable – et friqué! – est une figure valorisée. «Mais les hommes aussi subissent de la pression pour adhérer à la norme dominante de l’époux et du père de famille responsable», avance-t-il. Et puis, le célibat les fait bien plus souffrir qu’on le pense. «Notamment parce qu’ils sont moins aptes que les femmes à tisser des liens sociaux significatifs, ce qui crée un certain isolement, explique le sociologue. Ceux qui ne sont pas mariés sont même plus à risque de se suicider.»

La vie sans compte conjoint

Il y a 100 ans, à Montréal, les dames des beaux quartiers étaient six fois plus susceptibles de rester célibataires que celles des milieux ouvriers, d’après la géographe Arianne Vignola dans ses travaux explorant les effets de l’industrialisation sur les trajectoires féminines. Autrement dit, les unes pouvaient se permettre d’envoyer valser les soupirants, moins les autres. De nos jours, l’accès au marché du travail et l’autonomie qui en découle apportent aux femmes beaucoup plus de liberté dans leurs choix. Avec une franchise qui les honore, des participantes à la table ronde ont avoué que les finances avantageuses d’un ex-conjoint avaient déjà réfréné leur désir de vivre en solo. «J’étais pas mal princesse», admet Lucie Lebrun, qui ne voyait jamais l’ombre d’un compte à payer lorsqu’elle habitait avec le père de sa fille. Même si son couple battait de l’aile, Lucie a choisi de rester pendant deux ans. «Pour ma fille…»  Ce fantasme d’un train-train luxueux habite encore bien des femmes. Pourtant, dans les faits, les Québécoises célibataires et celles qui sont en couple ont à peu près le même revenu total net, selon des données de l’Institut de la statistique du Québec obtenues par l’économiste et consultante indépendante Carole Vincent pour Châtelaine. Par exemple, les femmes seules sans héritiers à charge gagnent en moyenne 27 500 $ nets par année, contre 29 800 $ pour celles qui vivent avec leur chum. Bien sûr, parmi ces dernières, certaines voient leur niveau de vie augmenter du fait qu’elles peuvent s’appuyer sur le revenu de leur conjoint (comme Lucie). Mais c’est loin d’être le cas pour toutes, comme le démontre une enquête de la sociologue Hélène Belleau selon laquelle être en couple peut même appauvrir les femmes, lorsque le partage des dépenses et des revenus n’est pas équitable. Reste qu’une rupture tend à coûter cher, en particulier aux conjointes de fait, car celles-ci ne jouissent pas des mêmes droits en regard du patrimoine familial que les femmes mariées. De quoi freiner bien des élans de liberté…

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Des amis pour la vie

Vrai qu’une riche vie affective est indispensable, estiment nos sept invitées, qui sont loin de passer leurs samedis soirs roulées en boule dans leur lit. Elles traversent plutôt leur existence soutenues par un précieux entourage de collègues, parents et copains à qui elles ont du temps à consacrer. Lucie Lebrun a mesuré la force de son réseau quand elle est tombée gravement malade, il y a un an. Cancer incurable, stade 4. Elle ne sait pas combien de temps il lui reste à vivre. «Mais après tout, personne ne le sait!» Cette quinquagénaire à la voix douce est si populaire que, pour l’accompagner à ses traitements de chimio, il faut s’inscrire sur une liste d’attente! «Je reçois énormément d’amour, notamment de ma fille de 15 ans. Et c’est encore plus fort que ce que m’apporterait un homme.» C’est la présence de ce réseau qui apaise – en partie du moins – la crainte de vieillir et de mourir seule. «Une peur universelle qui habite aussi les gens qui vivent à deux», remarque Mélissa Lavergne. Et puis, tant qu’à finir ses jours avec un «vieux grincheux», pour citer Julie Charron, aussi bien assumer son célibat jusqu’à son dernier souffle!

Bien sûr, il y a des jours où la vie en solitaire devient plus lourde et où l’on remet tout en question. «Même si je ne souhaite pas partager ma vie avec quelqu’un à tout prix, je me demande parfois pourquoi personne ne pose un regard amoureux sur moi, confie Véronique Proulx. Je me compare aux filles en couple que je connais et j’essaie de comprendre comment elles font.» «La liberté n’est pas toujours confortable, ajoute Geneviève Lefebvre. On porte tout le poids des finances sur ses épaules et, par moments, on se sent vulnérable. Sans compter le maudit pot de cornichons qui ne veut pas s’ouvrir et qui finit en mille morceaux sur le plancher! Mais ça développe les muscles.» Il y a quelque chose de profondément féministe dans le désir de rester célibataire, selon Julie Gauthier, 44 ans, directrice d’une Maison de la famille, qui dit éprouver une «grande fierté» à montrer qu’une femme peut voyager, gérer son portefeuille et s’occuper des aléas du quotidien sans homme.

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Ça n’a pas toujours été le cas. «Pendant ma trentaine, j’ai trouvé ça difficile d’être dans la marge et je n’aurais pas accepté de témoigner à cette table ronde. Maintenant, je me fiche de ce que les gens pensent de moi et de mes choix. Je fais même exprès de mettre mon indépendance de l’avant!» Julie se prépare à vivre la maternité en solo, puisqu’elle s’est inscrite il y a un an au programme Banque-mixte, qui permet de devenir famille d’accueil pour un enfant retiré à ses parents biologiques, en vue d’une éventuelle adoption. Un projet qu’elle cogite depuis longtemps. «Une collègue m’a un jour fait remarquer qu’il n’était jamais question de père lorsque je parlais de ce que j’allais faire avec ma progéniture. J’ai compris que, pour moi, l’enfant n’est pas lié au couple.»

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De gauche à droite: Julie Charron et Julie Gauthier. Photo: Josée Lecompte

Un jour mon prince viendra

Les déclarations d’indépendance se multiplient autour de la table, jusqu’à ce que Mélissa Lavergne lance la question qui tue: «Mais au fond de nous, ne vivons-nous pas toutes dans l’attente de LA rencontre?» Comme celle de Grace Kelly et Rainier de Monaco, de Jane Birkin et Serge Gainsbourg, de Yoko Ono et John Lennon… Moment de silence. Après réflexion, Lucie Lebrun concède: «Ben oui… Y a une partie de moi qui rêve encore que je tombe dans la rue, qu’un beau gars me ramasse, et que ce soit Lui, mon Homme. Peut-être qu’à côté de moi à l’hôpital, pendant un traitement de chimio, un gars souffrant d’un cancer de la prostate me fera des avances!» Les rires fusent. Dans le groupe, certaines sont plus ouvertes que d’autres à l’idée d’accueillir des pantoufles à temps plein en dessous de leur lit. «Mais ça prendrait un Viking! » spécifie Geneviève Lefebvre, qui n’a jamais vraiment rêvé au chevalier servant. «Petite, je me voyais plutôt entourée de chevaux. Il faut dire que j’ai eu une enfance de marde – ça te scrape un prince, ça!» Son célibat ne la condamne pas à la chasteté pour autant. Depuis qu’elle s’est séparée de son mari, elle a «un petit retard à rattraper» sous la couette et s’y adonne avec joie. «Je ne ressens plus le besoin de posséder, de mettre une étiquette sur ce que je vis.» Elle établit une différence fondamentale entre l’amour et le quotidien en duo. «Je fais partie de ces filles qui s’éteignent en couple, qui s’oublient à force de s’occuper de l’autre.» À Julie Gauthier aussi, il faudrait présenter des «arguments très convaincants» pour qu’elle ouvre sa porte à un gentilhomme. «À 35 ans, j’ai fait une thérapie et réalisé qu’être avec un homme me coûtait plus cher que ce que j’en retirais sur le plan émotif. J’arrêtais de faire ce que j’aimais, de voir mes amis… Je me suis tannée de ce pattern.» Un sondage récent publié par la firme Mintel révèle d’ailleurs que, si les femmes sont plus nombreuses à apprécier leur célibat que les hommes, c’est notamment parce qu’elles se sentent soulagées de ne plus avoir à porter la charge que leur imposait la vie à deux.

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«Elles sont souvent les PDG de la relation sur le plan émotif, illustre le sociologue Marc Lafrance. Les hommes dépendent encore beaucoup de leur conjointe pour s’occuper de la vie sociale, de l’alimentation, de la santé.» En bonne partie parce que les rôles stéréotypés au sein du couple ont la couenne dure, même en cette ère du no gender, juge-t-il. Mais les filles ont une écœurantite aiguë de jouer les blondes modèles toujours prêtes à se sacrifier, selon les participantes à notre table ronde. Il y a un éveil des consciences, estime Lucie Lebrun, qui observe que prendre soin de soi et se détacher des attentes de l’autre est maintenant plus valorisé. «En témoigne la popularité des cours de yoga et de méditation, où l’on retrouve d’ailleurs bien plus de femmes!» dit-elle. «Toute cette introspection nous rend plus exigeantes en amour, renchérit Geneviève Lefebvre. Quand toi, t’es rendue au milieu du lac, et que l’autre est encore sur le quai à se demander si l’eau est frette, excuse-moi, mais ça ne marche pas. Opère, parce que moi, je n’opère plus à ta place!» Marc Lafrance remarque aussi un certain éloignement des sexes, sans doute attribuable à la remise en question actuelle à propos des rôles masculins et féminins. «Comme société, on est en train de rejeter les vieux modèles, et c’est tant mieux… Mais d’ici à ce qu’on trouve par quoi les remplacer, il y aura beaucoup de confusion et de mécontentement de part et d’autre. Les femmes ont des attentes ambivalentes envers les hommes, et eux ne savent plus trop comment interagir avec elles.»

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Tout ça sur fond d’hyperindividualisme, un courant qui apporte de l’autonomie et de la liberté, estime le sociologue. Mais qui nous détache aussi des autres… Mélissa Lavergne s’en désole. Son célibat en est un de circonstance et, oui, elle rêve de rencontrer l’âme sœur et d’avoir des enfants. Elle trouve cependant que la famille n’est plus la priorité comme autrefois. «Nous sommes au centre de notre univers, et les rencontres servent à répondre à nos besoins plutôt qu’à nous faire évoluer.» Selon elle, les applications comme Tinder nourrissent cette tendance «malsaine» à l’amour-consommation. «C’est comme un buffet où l’on va chercher des morceaux de l’homme de ses rêves à travers plusieurs partenaires», remarque Julie Charron. «Moi j’ai détesté ça, j’avais l’impression de magasiner mon jambon! ajoute Debbie Rouleau. Et quand on tombe enfin sur quelqu’un d’agréable, une petite voix nous souffle qu’on pourrait peut-être trouver encore mieux.» L’un des grands obstacles aux rencontres fructueuses serait d’ailleurs cette recherche du partenaire idéal, remarque la psychologue Marie Hazan, professeure à l’UQÀM et auteure du livre Le couple: réussir l’impossible (Les Éditions Québec-Livres). «Personne n’arrive à la hauteur du prince charmant ou à celle du couple tel qu’on se l’imagine, dit-elle en entrevue. Aujourd’hui, les attentes sont très élevées : il faut se soutenir, échanger, comprendre l’autre, être réceptif, toujours nager dans la bonne humeur… C’est très lourd! Et pas très réaliste.» Avec l’expérience, Mélissa Lavergne réalise que, de toute façon, l’état matrimonial ne contribue en rien au bonheur. «Il ne faut jamais se fier aux couples qui ont l’air si heureux autour de soi. Il y a ce qu’on perçoit… et la réalité.» Geneviève Lefebvre est bien d’accord. «Quand j’étais jeune et pleine d’illusions, j’avais avoué à l’une de mes tantes, mariée pendant 52 ans, que son union était mon modèle. Je n’oublierai jamais sa réponse: “Ma pauvre enfant, si tu savais le nombre de fois où j’ai rêvé qu’il prenne son char et qu’il manque de brakes!”»

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Un contingent impressionnant

Par «femmes célibataires», on entend ici toutes les Québécoises de 25 ans et plus, avec ou sans enfants, qui sont veuves, séparées, divorcées ou qui n’ont jamais été en couple – ça inclut aussi les filles qui habitent seules ou en colocation avec des parents ou des copains. Résultat: la proportion de femmes déclarant ne pas vivre en couple était de 37,7 % en 2016 – mais les statistiques ne disent pas tout, car certaines pourraient avoir une personne dans leur vie, sans pour autant partager le même toit. Et les hommes? Chez les 25 ans et plus, ils sont 33,8 % à ne pas vivre en couple.

 

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