Nutrition

Une mère, une fille, une diète

Clouée au pilori pour avoir mis sa fille au régime, l’auteure Dara-Lynn Weiss ne regrette rien – surtout pas d’en avoir parlé publiquement.

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Crédit photo: Juliana Sohn

On l’a traitée de monstre et de folle finie sur toutes les tribunes en Europe, au Brésil, en Inde, en Australie. La productrice new-yorkaise Dara-Lynn Weiss n’a pourtant pas orchestré de génocide : elle a mis sa fille obèse de sept ans au régime. Sous la supervision d’une nutritionniste patentée, en plus (du moins, au début).  

Ses motifs rejoignent ceux de Martine, la maman dont je raconte l’histoire dans le reportage Au régime à 6 ans? Dara-Lynn Weiss craignait que les bourrelets de sa fille Bea ne finissent par nuire à sa santé, à sa vie sociale, à ses amours, à ses ambitions.

Lui faire perdre 7,3 kilos (16 livres) en un an a été difficile, confiait-elle en 2012 au Vogue américain, dans un article qualifié par certains de « pire de l’histoire du magazine » (les photos de Bea amincie ont beaucoup choqué).

Qu’à cela ne tienne. Pour aider les parents dont les enfants sont en surpoids, et pour « ouvrir les yeux » des autres qui « jugent trop vite », dit-elle, elle a publié l’an passé la version détaillée de son odyssée avec Bea, sous le titre The Heavy : a Mother, a Daughter, a Diet – a Memoir (non traduit en français, mais disponible en librairie au Québec). Châtelaine l’a jointe par téléphone.  

Châtelaine : Vous avez reçu une volée de bois vert après avoir révélé que votre fillette avait suivi un régime. Avec le recul, comment expliquez-vous ces réactions?

Dara-Lynn : Je pense que ma démarche a été mal interprétée. On a tout de suite cru que j’étais une névrosée obsédée par l’apparence, prête à affamer et humilier sa fille pour qu’elle soit mince. C’est faux : je voulais seulement que Bea, déjà obèse à sept ans, puisse atteindre un poids moins risqué selon les recommandations médicales. Bea a suivi un régime équilibré, élaboré par une nutritionniste renommée que nous avons visitée plusieurs fois. L’objectif était de lui faire perdre 500 grammes (une livre) par mois, à raison de 100 calories de moins par jour. Rien d’extrême là-dedans ! Jusque-là, Bea mangeait bien, mais trop, par gourmandise. Il s’agissait surtout de rétablir les portions.

J’ai été étonnée que ma décision indigne autant. Dans les médias, on s’émeut tous les jours de l’épidémie d’obésité aux États-Unis, entre autres chez les jeunes. On cherche des solutions, on analyse les causes… Mais quand un parent a le courage de poser des actions concrètes pour régler le problème, il est cloué au pilori. C’est tellement hypocrite!

Châtelaine : Beaucoup de professionnels de la santé sont contre le fait de mettre un enfant au régime. Ils disent que ça peut causer des problèmes d’image corporelle et générer un rapport trouble avec la nourriture. Que leur répondez-vous?

Dara-Lynn : Je trouve leur position choquante, compte tenu qu’ils sont les premiers à nous rappeler les dangers liés à l’obésité. Bien sûr que les régimes hyper restrictifs sont à proscrire. Mais laisser les enfants décider de la quantité de nourriture qu’ils absorbent sans intervenir, comme ces professionnels le préconisent, c’est parfaitement irresponsable.

Par exemple, notre nutritionniste m’avait déconseillé de dire à ma fille de ne pas trop manger de ceci ou de cela lors d’événements spéciaux. Sauf que des fêtes d’enfants et des occasions de sortie, il y en a quasiment toutes les semaines! Je ne peux pas laisser Bea avaler autant de parts de pizza et de gâteaux qu’elle en a envie chaque fois. Alors tant pis si je passe pour une mère contrôlante : je pense avant tout à sa santé. C’est mon devoir de la protéger et de lui enseigner à faire de meilleurs choix.

Ça implique de dire non souvent – une tâche pénible pour elle comme pour moi. C’est d’autant plus difficile que la malbouffe est omniprésente à l’épicerie, à l’école, dans les partys, à tous les coins de rue. Les portions sont gargantuesques. J’ai dû me battre à répétition pour connaître la teneur en calories de certains produits.

Châtelaine : Comment va Bea aujourd’hui? Réussit-elle à maintenir son poids?

Dara-Lynn : Oui, mais c’est une lutte quotidienne. À certains moments, nous avons relâché la discipline et, chaque fois, Bea a repris du poids. Elle a encore du mal à respecter ses signaux de satiété. Elle trouve bien injuste que certaines personnes puissent se gaver sans prendre un gramme!

Pour l’instant, elle se situe à la limite de son poids santé, ce qui est très bien. Par contre elle arrive à l’âge (10 ans) où on se compare beaucoup aux autres, et souffre d’être plus enrobée. Ça m’attriste parce que je voudrais qu’elle se trouve belle sans chercher à correspondre aux standards des magazines.

Châtelaine : Est-il possible de ne pas transmettre à nos filles nos propres démons face à la nourriture? Dans votre livre, vous racontez avoir été une mangeuse compulsive qui se soumettait régulièrement à des régimes sévères, et qui ne portait que des vêtements amples et des cols roulés…

Dara-Lynn : [Soupir]. J’espère qu’on peut leur épargner ça. Avec Bea, je ne suis pas certaine d’y être parvenue, même si je la couvre de compliments, même si je travaille fort pour être un modèle positif. Par exemple, je ne passe jamais de commentaires négatifs sur ma taille et je me nourris bien, en espérant que ça lui serve d’exemple. Mais je ne suis pas sans faille – mon apparence me préoccupe. À l’instar de la grande majorité des femmes, Bea est soumise au diktat de la minceur.

Châtelaine : Vous avez aussi un jeune fils. Si c’est lui qui avait été obèse, comment auriez-vous réagi?

Dara-Lynn : Je me suis souvent posé cette question. Sur le plan pratique, ma démarche aurait été la même, car j’aurais eu les mêmes inquiétudes à l’égard de sa santé, sauf que ça aurait été moins émotif. Je m’identifie très étroitement à la détresse de Bea, parce que j’ai été une petite fille en surpoids, moi aussi. En somme, j’ai voulu lui épargner des souffrances que je connais trop bien.

Châtelaine : Avec le recul, y a-t-il des choses que vous feriez autrement?

Dara-Lynn : Comme parent, on a des regrets tous les jours… Des regrets d’avoir été impatiente, stressée, maladroite, certainement. Mais je ne m’en veux pas une seconde d’avoir mis Bea au régime, ni d’avoir publié notre histoire, même si on me l’a beaucoup reproché. Parallèlement aux critiques, j’ai reçu des centaines de messages de parents disant que ma démarche leur avait donné le courage d’aider leur propre enfant. Il fallait briser la glace, et je suis fière de l’avoir fait.

En complément: Les enfants québécois n’ont jamais été aussi gros. Devrait-on contrôler ou laisser aller? Les familles ont besoin d’aide, et ça presse.

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