Culture

Dans l’univers de Mélissa Désormaux-Poulin

Tête d’affiche de la série Ruptures, Mélissa Désormaux-Poulin connaît une popularité inégalée dans sa carrière. La comédienne entretien le mystère pour préserver son intimité. Elle nous a entrouvert la porte de son monde, le temps d’un après-midi.

Photo: Geneviève Charbonneau

C’est la première fois qu’une journaliste vient chez moi. Au lieu d’écrire : “Parée d’un châle élégant, elle m’a invitée avec grâce à passer au salon”, tu pourras dire : “Elle a allumé son faux foyer qui nous gardait au chaud.” »

Mélissa Désormeaux-Poulin éclate de rire et me tend un plateau de petits gâteaux. C’est le genre d’hôtesse à faire parler ses invités. « Je préfère écouter. Il faut qu’on me presse un peu pour que je me livre. C’est plus facile quand c’est moi qui pose les questions. »

Cet après-midi-là, dans son séjour revampé dans les tons de gris, rouge, vert et doré à la faveur d’une récente émission de déco – elle est en demande ! – j’inverse les rôles : c’est moi qui interviewe.

Certes, la comédienne de 34 ans n’en est pas à sa première entrevue. Ça fait bien trois décennies qu’elle évolue dans le métier. L’histoire a été maintes fois racontée : du haut de ses quatre ans, l’adorable brunette proposait de son propre chef ses services à une agence de casting venue recruter dans son cours de danse. Deux ans plus tard, elle faisait sa première pub pour une marque de céréales. Puis elle enchaînait les rôles à la télé – Jamais deux sans toi, Les héritiers Duval, La part des anges, Le monde de Charlotte, Ramdam… « J’ai commencé très jeune à jouer. C’est pour ça que, adolescente, je n’ai pas fait de conneries. Je vivais des émotions fortes, mais toujours dans un cadre protégé. »

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Elle fait allusion aux plateaux de télé qui l’ont vue grandir et où elle a pu explorer sa part d’ombre à travers le jeu. Mais aussi à la famille qu’elle a fondée avec Jonathan, son amoureux depuis 20 ans, gestionnaire dans le secteur bancaire et père de ses filles Léa, 9 ans, et Florence, 3 ans. « J’ai besoin de sécurité, de stabilité. Je fais très attention de ne pas exposer mes proches. » En effet, je n’ai trouvé sur Google aucune photo d’elle avec sa garde rapprochée. « Ma job, c’est de faire semblant d’être quelqu’un d’autre. Dans Ruptures, je suis Ariane, la blonde d’Étienne. Je ne veux pas qu’on sache qui est mon chum pour vrai. »

Son souci de protéger son univers l’enveloppe d’une aura de mystère. « Les gens me disent qu’ils ont l’impression de ne pas savoir qui je suis. Mais, en vieillissant, j’apprends à m’ouvrir. » Loin d’elle, donc, l’intention de faire la secrète. Plutôt le désir d’atteindre l’équilibre ? « Tu as vu juste ! Je vise le bon dosage entre la famille et le travail. Si je néglige l’une au profit de l’autre, ça me déstabilise. »

D’un côté, sa vie de banlieusarde d’adoption (elle a grandi dans le Plateau-Mont-Royal) dans sa maison cossue de Chambly, entourée de ses voisins et amis, « qui se foutent pas mal » de sa carrière. De l’autre, les tournages qui se chevauchent et s’étirent. Ruptures, Mensonges, Ces gars-là, 30 vies… « Je fonctionne par blitz. Il y a des périodes où je passe tout mon temps sur le plateau. Mon chum s’occupe des filles. D’autres fois, je suis à la maison. Florence reste avec moi, on va chercher Léa, on prend une collation… J’aime les voir grandir. »

Au moment de notre rencontre, elle n’avait ni personnage à créer ni texte à mémoriser. Elle se ressourçait, tout entière occupée à « vivre [sa] vie de maman » (Léa et Florence allaient bientôt rentrer de l’école et de la garderie) et à recevoir son monde – sa mère, son frère, sa sœur, ses amis et leurs nombreux enfants. « J’ai besoin de me déposer pour mieux repartir. L’année a été très intense. »

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Photo: Geneviève Charbonneau

Sa « méthode Pinterest »

Une avocate spécialisée en droit de la famille au service des enfants. Une star de la porno qui camoufle sa détresse derrière ses looks flyés. Une fille cool restée amie avec son ex. Une prof de géo marquée par le divorce de ses parents. Ariane, Carla, Amélie, Lou. Quatre rôles diamétralement opposés. Des personnages à qui elle a donné de la profondeur. On pense aussi à son inoubliable Jeanne Marwan (Incendies, de Denis Villeneuve). « La superficialité ne m’intéresse pas, affirme avec aplomb la comédienne. Je vais rarement vers le léger. »

Et elle bosse dur pour faire prendre vie à ces femmes sorties de l’imaginaire d’un auteur. Pour dessiner les contours d’Ariane Beaumont, elle a suivi à la cour l’avocate Suzanne Pringle, engagée dans la célèbre cause Éric contre Lola et dont la carrière a inspiré la série judiciaire. Mélissa y a observé les gens, leur gestuelle, leurs tenues vestimentaires, tenté de saisir leurs traits de caractère. Elle a découpé des images et des photos d’ambiance inspirantes qu’elle a épinglées sur des tableaux, comme ceux qu’on retrouve sur le réseau Pinterest. « Je monte un cartable avec mes notes pour chacun de mes rôles, m’explique-t-elle. Le matin, dans ma loge, je le consulte – mais personne d’autre ne le voit ! Ça fait partie de mes rituels. » Pour apprendre ses textes, elle a besoin d’être en mouvement. « Je répète, je répète, à l’endroit, à l’envers, dans ma cour, en marchant, dans l’auto. Je m’approprie les dialogues. »

L’enregistrement de la suite de Ruptures reprendra à l’été. Ces gars-là ne revient pas et la quatrième saison de Mensonges est en suspens. Ce qui donne à l’actrice le luxe de réfléchir à son avenir et aux ­projets de films qui l’emballent – au Québec et à l’international. Mais rien n’est encore signé. « J’ai l’impression que c’est ­maintenant que ça se passe pour moi. » Incendies lui avait apporté la reconnaissance, 30 vies, la visibilité. Avec Ruptures, elle a gagné la popularité.

L’anti-vedette

La comédienne a bien l’intention d’en profiter, consciente de pratiquer un métier éphémère. À l’écran, elle est passée de l’enfance à l’âge adulte sans trop de heurts, à sa grande satisfaction. Peut-être parce qu’elle n’était pas très connue. Et qu’elle a le profil de la fille ordinaire – du moins c’est ce qu’elle croit. « Habituellement, on ne me choisit pas pour ma beauté. Et j’en suis fière ! Ça me donne le sentiment de faire mon métier pour les bonnes ­raisons. »

Chevelure de jais ondoyante, grands yeux verts, silhouette délicate et sourire désarmant. Je me dis que Mélissa est une belle qui s’ignore. « Ça me fait bizarre d’entendre : “la belle Mélissa”. Les gens qui emploient la séduction, ça sonne faux. Au fond, peut-être que j’aurais envie d’utiliser cette carte, mais que je n’ose pas. Je ne suis pas naïve, là ! » Nouvel éclat de rire.

Parce qu’elle a beau ne pas miser là-dessus, son apparence la préoccupe un tantinet. Après sa première grossesse, à 24 ans, elle craignait de ne plus jamais camper les héroïnes graciles. Or, elle a retrouvé la forme en un rien de temps –  elle s’entraîne chaque jour 30 minutes –, et n’a jamais cessé de travailler. « Tout de suite après mon accouchement, j’ai joué dans À vos marques… party ! La naissance de Léa a coïncidé avec un nouveau départ. » On la découvrait enfin au cinéma – Dédé, à travers les brumes, Incendies, Omertà, Hors les murs, Gabrielle (prix Jutra 2014 de la meilleure actrice de soutien).

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Photo: Geneviève Charbonneau

La maternité a également eu sur elle un effet apaisant : elle a trouvé sa place, s’autorisant à assumer sa personnalité et ses passions. « Longtemps je me suis effacée pour ne pas déplaire. Je me sentais différente. Mes amies voulaient jouer à la corde à danser, moi, j’aurais regardé des films tout le temps. J’ai vite compris que si je n’écoutais que mon enthousiasme pour le jeu, je resterais seule. Et que si je prenais trop de place, on me reproche­rait de me penser bonne. J’ai décidé de m’éteindre un peu. »

Autodidacte, l’actrice a tracé sa propre route, à coup de stages et de coaching. Elle n’est passée ni par les écoles de théâtre ni par l’université, au grand dam de son défunt père, professeur de littérature. « Je n’appartiens à aucune clique. Dans mon milieu, je suis peut-être… moins cultivée que d’autres. Il est possible que je détonne un peu. » Elle se reprend. « Ce sont mes vieilles peurs ! soupire-t-elle. À mes yeux, je n’ai jamais assez de culture… Pourtant, je connais plein d’affaires. Plus ça va, plus je rencontre des gens. Je ne crains plus de prendre la parole. »

La Fondation Marie-Vincent, un organisme voué au mieux-être des enfants victimes d’agression sexuelle, lui en donne l’occasion en l’ayant choisie comme porte-parole (l’artiste vient d’ailleurs de remporter, au Gala du cinéma québécois 2016, le Prix du dépassement Metro pour son engagement dans sa communauté). « Je ne sais pas ce que c’est que d’être victime, mais une chose est sûre, on ne voudrait jamais que ça arrive à nos enfants. » Dans une lettre adressée aux journaux il y a quelques semaines, elle rapporte qu’au Québec 1 fille sur 5 et 1 garçon sur 10 seront agressés avant leur majorité, alors qu’à peine 20 % de ces violences seront dénoncées aux autorités policières. « Le sujet dérange, je le vois bien quand j’en parle dans les soupers. Mais je m’en fous. J’ai des choses à dire et la force de le faire. Je préfère défendre une cause plutôt que de m’attarder à ma personne. »

Les flammes dansent toujours dans l’âtre quand Léa la blonde apparaît. Puis Florence la brunette. Comme leur mère, elles ont toutes deux un sourire rayonnant et des yeux magnifiques. Heureusement, il reste encore quelques gâteaux pour le goûter. J’en profite pour jaser avec l’aînée.

« Ça te fait quoi, de voir ta maman à l’écran ?

– Quand j’étais petite, je la cherchais derrière la télé. J’étais fâchée de ne pas la trouver ! J’aime regarder ses films, mais des fois, c’est bizarre. Comme quand je la vois pleurer ou embrasser d’autres garçons que papa ! »

Léa rêve d’être designer d’intérieur ou vendeuse chez Zara. « On va magasiner pendant que Florence fait la sieste », s’amuse Mélissa, la cadette accrochée à son cou. Cette dernière a de la graine de comédienne. Elle imite le singe de Kung Fu Panda quand ce n’est pas la tigresse ! Joli tableau familial, tout baigné de lumière…

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