Culture

Hôtel Lonely Hearts, de Heather O’Neill

Le roman Hôtel Lonely Hearts, de la Montréalaise Heather O’Neill, est fascinant.

L’histoire

Montréal, 1914. Deux bébés abandonnés par leur mère adolescente sont confiés aux religieuses d’un orphelinat. Le garçon et la fille grandissent au rythme des mauvais traitements et des agressions sexuelles. Très tôt, un amour absolu lie les deux enfants, qui échafaudent des plans pour leur lumineux avenir commun. Séparés à l’adolescence, ils galèrent dans la ville frappée par la Grande Dépression. Après avoir traversé mille embû-ches, ils se retrouvent et devront confronter leur rêve d’enfance à la réalité.

Les personnages

Rose, survivante fantasque et déterminée, douée pour la pantomime. Pierrot, archange blond un peu naïf, prodige du piano, créateur avec Rose d’époustouflants spectacles, violé à 11 ans par la perverse sœur Éloïse. Mr McMahon, parrain du crime organisé qui règne à Montréal, amant et protecteur de Rose, passage obligé pour celle-ci avant qu’elle n’assume seule son -destin. Les nombreux clowns, vedettes de la Grande Fantasmagorie des flocons de neige, spectacle qu’elle a créé.

On aime

Le portrait du monde interlope de Montréal entre les guerres de 1914 et de 1939, magnifié par la plume magique de l’auteure. Les passages, durs et sans complaisance, évoquant le sort d’enfants maltraités, de familles livrées à la pauvreté, de filles réduites à la prostitution et à la drogue. La fabuleuse revanche de Rose sur son destin. La musique de Pierrot qui enveloppe ce conte prodigieux.

Lire au extrait de Hôtel Lonely Hearts

L’auteure

Heather O’Neill

Heather O’Neill est née à Montréal en 1973. Sa maman américaine repartie aux États-Unis, la fillette est élevée par son père. Études à McGill interrompues par une grossesse à 20 ans. Elle dit d’ailleurs que sa fille Arizona et elle sont devenues adultes ensemble. Son premier roman, Lullabies for Little Criminals, bestseller international, était jusqu’à tout récemment le seul à avoir été traduit en français. Depuis, un recueil de nouvelles, La vie rêvée des grille-pain (Alto, 2017), et Hôtel Lonely Hearts (prix Paragraphe Hugh MacLennan) ont été traduits par la talentueuse Dominique Fortier, qui s’attelle maintenant à The Girl Who Was Saturday Night, finaliste au prix Giller en 2014. Alto, 544 pages

Les critiques du club

Raphaëlle Lambert

J’ai aimé: L’univers de ce livre, l’histoire de ces deux orphelins à la sensibilité exacerbée, artistes de l’ordinaire dont l’existence prend place dans la pauvreté banale des années de la Grande Dépression. Malgré tous les écueils de leur vie, leur unicité transcende toujours les vicissitudes. L’écriture d’Heather O’Neill a la légèreté de l’émerveillement d’un enfant dans sa découverte constante du monde, remplie d’images un peu naïves, comme une poésie de la vie… Impossible de passer à côté du rôle de bien des jeunes Canadiennes françaises de l’époque, qui étaient soit bonnes chez les riches de Westmount, soit prostituées, soit un peu des deux. La petite existence peut parfois triompher, mais rarement sans perdre quelques plumes au passage et, quelquefois, ce sont les plus belles, les plus pures.

J’ai moins aimé: Certains passages où les paragraphes de Rose et Pierrot se répondent, en parallèle, ce qui nous laisse espérer des retrouvailles. Ça me faisait par moments penser à certaines scènes de comédies romantiques américaines… Heureusement, ces passages sont rares et l’histoire est vraiment bonne!

Autres commentaires: Ce livre a quelque chose qui rappelle The saddest music in the world, le film de Guy Maddin, ou le roman Serafim et Claire, de Mark Lavorato. L’époque, bien sûr, le Montréal des années 1920-1930, ces décennies où tout le monde crevait de faim dans le bas de la ville, mais où se pavanaient visons, perles et champagne dans les chics maisons du Summit Circle, upper Westmount. Par désir – ou besoin vital – de transcender la tristesse en la transformant en quelque chose de grandiose, les enfants abandonnés peuvent aspirer à s’inventer un destin extraordinaire.

Ma note sur 10: 9

Marie-Claude Rioux

J’ai aimé: L’intrigue, merveilleusement bien ficelée. Je m’attendais à une histoire empreinte de tristesse et de misère, mais j’y ai en plus trouvé de l’enchantement, de la légèreté et une atmosphère envoûtante. C’est avec des doigts de fée qu’Heather O’Neill parvient à enjoliver la dure réalité vécue par Pierrot et Rose. Le style de l’auteure rend la lecture du roman passionnante: ses descriptions, ses métaphores, ses comparaisons et ses petites anecdotes sont grisantes. J’ai trouvé la brochette de personnages – des religieuses prédatrices, des philanthropes, des prostituées… – pittoresque et fascinante.

J’ai moins aimé: Malgré leur caractère bien développé, la plupart des personnages dégagent une certaine froideur, ce qui a eu pour conséquence que j’ai été incapable d’éprouver pour eux empathie et sympathie. Le côté abracadabrant de certaines scènes m’a par moments un peu déroutée. J’ai l’impression que O’Neill a enfoncé le bouchon de certaines coïncidences un peu trop loin, perdant en crédibilité. Mais si le fil blanc dépassait parfois, cela n’a pas été suffisant pour gâcher le portrait d’ensemble.

Ma note sur 10: 8

Karine Martel

J’ai aimé: Ce roman se lit comme un conte de fées, mais pour adultes avertis seulement. Des orphelins maltraités, et plus tard des adultes misérables, trouvent malgré leurs malheurs la force de rêver, de s’aimer et de faire rire. Aucune ombre ne semble capable d’appesantir leurs espoirs. La même histoire racontée autrement aurait pu être très dure, violente et dramatique, mais l’écriture magique et presque féerique de l’auteure arrive à transcender les malheurs et à nous faire voir les personnages et leurs aventures de façon joyeuse. Heather O’Neill a une manière d’écrire qui dédramatise même les pires événements, un peu comme le regard naïf qu’un enfant porte sur le monde. L’histoire d’amour entre Pierrot et Rose – qui constitue la trame principale de l’œuvre – est à l’image du reste du livre: empreinte de magie sans jamais tomber dans le romantisme.

J’ai moins aimé: Rien!

Ma note sur 10: 9,5

 

Isabelle Goupil-Sormany

J’ai aimé: La puissante désinvolture de deux artistes au cœur éternellement jeune. Croire à leur douce folie et aux rêves qu’ils réalisent ensemble. L’ascension au-delà du réel d’une femme désireuse de reprendre le contrôle de sa vie de misère. L’écriture est riche d’expressions délicieuses et évocatrices, la poésie qui émane de certains passages descriptifs est superbe. Chapeau à l’excellente traduction de Dominique Fortier.

J’ai moins aimé: C’est un roman aux rebondissements hollywoodiens, plus grands que nature, surréels. Tout devient cliché et, sincèrement, j’ai eu envie d’abandonner ma lecture à plusieurs reprises à partir du moment où l’héroïne aboutit dans une chambre d’hôtel, soutenue par McMahon. La narration déborde d’un érotisme auquel je me refuse de croire et que je n’aime pas trouver dans un livre. J’ai ressenti le même sentiment que dans les romans de Nelly Arcan, que je n’ai jamais réussi à finir. Ce genre n’est vraiment pas pour moi.

Autres commentaires: Il y a deux héroïnes dans ce roman: Marie, alias Rose, et la drogue, qui enveloppe Montréal d’une aura destructrice. Ce roman, au-delà de l’histoire incroyable qu’il propose, comporte plusieurs personnages attachants. L’écriture est d’une efficacité redoutable.

Ma note sur 10: 8 pour l’écriture, parfois sublime. 4 pour l’érotisme dérangeant.

 

Nathalie Thibault

J’ai aimé: La vie des orphelins Rose et Pierrot est un prétexte pour tracer le portrait, très bien fait, du Montréal de l’époque de la Grande Dépression, ainsi que de la situation fragile des femmes et des artistes. Il y est aussi question de mafia, de prostitution, d’amour et de haine, d’authenticité et de manipulation, de réalité et de fantasme. C’est une histoire qui porte bien des leçons de vie: chacun est plein de contradictions et «on se connaît soi-même en embrassant ce qu’on n’est pas; on est à la fois tout et rien, dans ses rêves; nous ne sommes rien de plus que nos défauts et [que], si on éliminait nos failles, il ne resterait rien de nous». Peu convaincue au début, j’en suis venue à apprécier le ton de ce roman, qui va de la chronique réaliste à l’anecdote fantasmagorique, dans une longue quête de liberté et d’enfance retrouvée.

Je n’ai pas aimé: Comme le roman, je suis pleine de contradictions, et ce qui m’a plu m’a aussi agacée. Ces grandes vérités, si nombreuses qu’on dirait qu’il s’agit d’un traité d’épanouissement personnel, ce ton et ce rythme inégaux au gré des volets de cette histoire somme toute prévisible jusque dans la finale. Le manque d’émotions, les nombreux passages où l’on se demande qui parle, au passé ou au présent, ces nombreux tableaux inachevés marqués par des personnages hauts en couleur, mais dont le manque de profondeur nous déçoit. Bref, le tout est assez froid.

Autres commentaires: Un très bon film à venir?

Ma note sur 10: 7

Sandrine Desbiens

J’ai aimé: Je ne suis généralement pas une fan des romans ayant comme toile de fond le Montréal des années de guerre, car je les trouve assez déprimants. Cependant, dans le cas présent, l’auteure n’y fait pas trop souvent allusion. Bien évidemment, cette histoire d’amour entre deux enfants qui se perpétue à travers les années malgré la dépendance à la drogue, l’éloignement et l’emprise des autres relations amoureuses, c’est du déjà-vu. L’histoire est bien écrite et bien organisée, le principe du côté artistique acquis à la naissance lui apportant un petit effet magique, mais sans plus. Les personnages de Pierrot et de Rose sont surprenants à découvrir. À travers leurs épreuves, c’est cette époque qui prend vie et semble réelle.

Je n’ai pas aimé: Les allusions au sexe dans chaque chapitre sont assez redondantes. Souvent, elles ne semblent pas avoir d’autre but que de nous démontrer le côté dégénéré des personnages. Par exemple, la religieuse qui abuse de Pierrot et qui en tombe amoureuse, c’est assez incroyable… L’aspect romantique et les problèmes de l’époque de l’après-guerre (drogue, prostitution et manque d’argent) sont déprimants et ne donnent pas trop envie de continuer la lecture de ce roman. Ce qui sauve le livre, c’est l’espoir de voir Pierrot et Rose se retrouver au prochain chapitre.

Ma note sur 10: 6

 

 

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