Voyages et escapades

Le Cap et ses vignobles

Une tournée des vignobles en Afrique du Sud ? D’accord, ce n’est pas la porte à côté. Mais c’est moins cher qu’on le pense. Et, surtout, spectaculaire. À cause des couchers de soleil sur des plaines que l’homme foulait déjà il y a 110 000 ans, de la ménagerie tout droit sortie du National Geographic, de l’air chargé du parfum de milliers de fleurs exotiques… et, ma foi, de l’excellent vin, qu’on prend plaisir à déguster.

 

Le Cap, surnommé la « Mother City », au pied de la spectaculaire montagne de la Table. Photo: Getty Images / Carine Habib

Oui, c’est loin – 20 heures de vol sans compter les escales. Mais comme les premiers colons hollandais accostant en 1652 dans la baie du Cap, après 105 jours de mal de mer, on est tout de suite saisi par l’extravagante générosité de cet éden à l’extrême sud de l’Afrique. À peine sort-on de l’autoroute qu’on aperçoit des zèbres et des paons qui se dandinent au milieu des lys Callas et des oiseaux du paradis. Ça fait vite oublier l’interminable périple en avion.

J’avais reçu une proposition qui ne se refuse pas, à moins d’être grabataire : -partir en vadrouille sur la fabuleuse route des vins de la province du Cap-Occidental, que l’on surnomme aussi la « Napa Valley d’Afrique du Sud ». Un parcours méconnu des Québécois, pourtant friands des nectars à prix doux cultivés sous le ciel de la nation arc-en-ciel – le Chenin Blanc de Roberston Winery* est le deuxième vin blanc le plus vendu chez nous. Selon la SAQ, on consomme 15 fois plus de vins sud-africains qu’il y a 15 ans, et l’offre s’est multipliée par six. Leur qualité s’est aussi bonifiée, de l’avis de sommeliers. Dans les années suivant l’abolition de l’apartheid, en 1991, les vignerons produisaient surtout du « blanc cheap de bord de piscine », selon le viticulteur Rudiger Gretschel. Mais aujourd’hui, ils n’ont à rougir de rien. Le chenin blanc 2013 de Kleine Zalze s’est même valu le titre de meilleur vin blanc du monde il y a deux ans, au concours mondial de Bruxelles.

Une histoire pas banale

La vigne prospère depuis plus de 350 ans dans le Cap-Occidental. On doit cette culture à une petite colonie de Hollandais chargée d’une mission bien spéciale : faire pousser un jardin en Afrique du Sud ! C’est qu’à l’époque, la Hollande avait le monopole du commerce des épices en Extrême-Orient. Mais voilà que ses équipages, à mi-chemin vers des contrées -lointaines où ils allaient quérir cannelle et clous de girofle, tombaient comme des mouches à cause du scorbut (dû à des carences en vitamines). D’où l’idée de créer une sorte de « halte routière » pour ravitailler les marins en manque de légumes frais. Et, tant qu’à y être, pourquoi ne pas leur fournir des tonneaux de vin ? Quelques années plus tard, près de 200 Français, dont des Duplessis, de Villiers et le Roux – patronymes qu’on entend encore là-bas – se joindront à eux et -raffineront les techniques vinicoles. On trouve des traces de leur héritage, entre autres dans la vallée de Franschhoek, où s’étend le vignoble de Boschendal* et son superbe manoir.

Le pays compte aujourd’hui 565 fermes vinicoles, presque toutes situées dans les « Winelands » du Cap. On y accède en louant une voiture – le réseau routier est impeccable, mais attention : le volant est à droite ! On peut aussi s’offrir une navette, ce qui est plus prudent, car les petites gorgées de pinotage, de chardonnay et de roussanne s’accumulent de façon sournoise… Ça permet aussi de s’abandonner sans souci à la beauté des paysages, où s’épanouissent dragonniers, jacarandas et baobabs. Option pour les sportives : louer un vélo. Comme on a l’embarras du choix des circuits, je propose ici mes coups de cœur.

Le vignoble de Waterkloof Estate, à Somerset, Architecture splendide, paysage grandiose et excellente table tenue par un français. Photo: Waterloo Estate

Des bulles et des zèbres

On peut rayonner plusieurs jours autour de la coquette Stellenbosch. Cette ville universitaire au pied des montagnes d’-Helderberg a été fondée en 1679 par les colonisateurs néerlandais, dont les descen-dants (les Afrikaners) forment aujourd’hui une partie de la minorité blanche d’Afrique du Sud. Nombre d’édifices et de fermes du Cap-Ouest ont conservé leur architecture d’époque, appelée Cape Dutch – de longs bâtiments blancs au toit de chaume, sans autre ostentation que des pignons finement ouvragés.

À mettre au programme : une visite du splendide domaine De Morgenzon*, où les vignes poussent au son de la musique baroque 24 heures sur 24 – la proprio croit dur comme fer que ça intensifie le goût des raisins… Balivernes ou pas, la vue y est à couper le souffle. Autre must : le Villiera, où j’ai bu un délectable Méthode Cap Classique – du champagne sud-africain – à 8 h 30 le matin, avant de rencontrer des girafes et des grands koudous sur les terres du vignoble, qui abrite une réserve d’animaux sauvages. Wow ! Les proprios ont aussi installé sur place une clinique et une école pour les ouvriers et leur famille. Cela mérite d’être souligné, car certains vignerons blancs exploiteraient encore leurs employés noirs de façon honteuse, comme le soulève le journaliste danois Tom Heinemann dans le documentaire Bitter Grapes. Les townships de la région, où la misère fend le cœur, témoignent d’ailleurs du lourd passé du pays en matière de ségrégation raciale.

Pour les fins connaisseurs : Reyneke Wines*, qui fait dans la biodynamie. Je n’ai pas trop compris le principe, sinon que ça implique la force gravitationnelle de la lune et des cornes de vache enterrées pendant l’hiver. Son vinificateur en chef, Rudiger Gretschel, qui se qualifie de « wine geek », est obsédé par la santé de ses vignes. Il préférerait crever plutôt que d’y épandre des pesticides. Toujours est-il que ses vins sont excellents. Idem au vignoble Jordan, où j’ai bu un chardonnay à se rouler par terre, le Nine Yards – c’est une hérésie que la SAQ n’en tienne pas. On y va pour y goûter, mais aussi pour y passer la nuit : l’endroit est tout à fait sublime.

Le moment idéal pour s’y rendre

Pour le tourisme viticole, c’est à l’année. Mais tant qu’à faire tout ce chemin, on voudra sans doute visiter d’autres splendeurs. J’y suis allée en automne – leur printemps à eux –, saison idéale pour voir s’épanouir la Région florale du Cap. Cette aire protégée figurant au patrimoine mondial de l’UNESCO abrite plus de 9 000 variétés de fleurs, notamment 350 sortes de protées, emblématiques de l’Afrique du Sud. C’est également lors du printemps austral qu’on observe les baleines de l’Antarctique près des côtes. Prévoir une p’tite laine, car il fait souvent moins de 20 degrés.

Pour les safaris, on privilégie juillet à septembre, soit l’hiver sud-africain. La végétation est alors moins luxuriante, ce qui favorise l’observation des lions, rhinocéros, éléphants et autres gros toutous. Il faut prévoir au moins 1 000 $ par personne pour un safari de quatre jours. L’entreprise Go Cape (gocape.co.za) en organise une version « poule de luxe » pour 7 200 $ par personne – trois nuitées dans un chalet design, repas et vins compris. À ce prix, on espère en voir, des lions !

Une liberté conquise à la dure

Il y a plusieurs bonnes raisons de visiter  Wellington, une paisible bourgade agricole où de nombreux colons français se sont installés au 17e siècle. Mais la principale s’appelle Denise Stubbs, l’une des seules vigneronnes noires en Afrique du Sud, également administratrice du charmant domaine Diemersfontein*. Jusqu’à 21 ans, elle a connu l’horrible régime de l’apartheid. « Jamais je n’aurais imaginé devenir entrepreneure, m’a-t-elle raconté. Les Noirs étaient forcés de fréquenter un système scolaire à part qui les condamnait à certains types de métiers seulement. Les mots “business” et “succès”, c’était une terminologie pour les Blancs ! » Si aujourd’hui l’empowerment économique des Noirs est encouragé par l’État, dans les faits, ces derniers en bavent encore. Denise a dû changer le nom de ses produits, qui s’appelaient Thokozani à l’origine, pour Ovation*, qui sonnait moins zoulou. C’est qu’un sondage réalisé par une chaîne d’alimentation a révélé que la majorité des consommateurs ne sont pas tentés d’acheter des vins faits par des Noirs… « Ils ont le préjugé que ce qu’on produit est moins bon, dit Denise. Alors on a changé d’-approche : goûte d’abord, je te dirai ensuite qui on est. » Des difficultés qui n’entament pas son enthousiasme, d’autant qu’elle a réussi l’exploit de percer le marché québécois cette année avec son sauvignon blanc. Et qu’elle vient de remporter une médaille pour la qualité de son vin. Tiens donc !

À une demi-heure de voiture de Wellington, il ne faut pas manquer les jardins extraordinaires du vignoble Babylonstoren. Une véritable orgie botanique. Ni le vaste domaine Spice Route*, juste à côté, pour ses restos, sa distillerie, sa chocolaterie et son très joli magasin d’artisanat local, The Trading Company.

Qu’est-ce qu’on mange?

Une délicieuse odeur de feu de bois flotte en permanence dans les villes et les campagnes du Cap. J’ai fini par en découvrir l’origine : les Sud-Africains sont de grands amateurs de viandes grillées, qu’ils font cuire dehors sur des sarments de vigne ou des branches d’acacia. C’est ce qu’ils appellent le braai – un barbecue, quoi –, où steaks, côtes levées, jarrets d’agneau et boerewors (saucisses) sont à l’honneur. Le week-end, les potjiekos, des ragoûts à base de viande et de légumes arrosés d’alcool, cuisent tout l’après-midi sur les braises.

La vigneronne Denise Stubbs, à l’avant-plan sur la photo, un vibrant exemple de l’émancipation des Noirs après l’horreur de l’apartheid. Photo: Waldo Kellerman (D. Stubbs)

Grandiose « Mother City »

Deux détours obligés avant de se rendre au Cap, capitale du Cap-Occidental. Tout d’abord, le Waterkloof Estate, à Somerset. Un bijou d’architecture moderne juché sur une colline, offrant une vue imprenable sur la côte de la baie False. On mange fort bien au restaurant du vignoble, tenu par Grégory Czarnecki, un Français qui prend toujours plaisir à faire la causette dans sa langue maternelle. Puis, on s’arrête au Cheetah Outreach, un refuge pour guépards, dont la survie est menacée – ils ont la réputation de décimer le bétail, alors les fermiers les abattent. Avis aux intéressés : on peut flatter (avec précaution !) ces gros matous tachetés en présence d’un gardien qu’on espère vigilant. Je ne me suis pas attardée longtemps…

Stocksy: Holly Clark

Si les guépards nous ont épargné – il paraît qu’ils prennent certaines personnes en grippe –, on s’aligne vers la saisissante route panoramique qui longe la côte de l’Atlantique, la fameuse Chapman’s Peak Drive. Un grand moment du voyage, ça en était presque fatigant pour les yeux. De là, il faut compter 45 minutes avant d’arriver au très cosmopolite Cap, l’endroit le plus visité au pays. C’est néanmoins une ville qui respire, peut-être grâce au « Cape Doctor », ce vent frais qui vient de l’océan. Galeries d’art, musées, jardins, marchés aux fleurs – les touristes ne se tournent pas les pouces ici ! Parmi les attractions les plus populaires : l’ascension de la montagne de la Table, qui s’auréole en fin de journée de nuages blancs ; la visite du port Waterfront, à partir duquel on peut prendre un traversier jusqu’à Robben Island, où Nelson Mandela a croupi en prison pendant 27 ans ; et une balade dans le coloré quartier des Cape Muslims, ces descendants d’esclaves déportés par les Néerlandais au 17e siècle.

L’Afrique du Sud sans se ruiner

Le Cap et ses environs sont abordables. À l’exception de l’avion, bien sûr – il faut compter au moins 1 300 dollars pour un aller-retour Montréal-Le Cap, avec une escale assez longue à Francfort. Mais une fois sur place, on peut profiter de la vie sans y laisser sa chemise. J’ai souvenir d’une tapenade et de deux verres de Méthode Cap Classique savourés dans un bar de Stellenbosch pour l’équivalent de 10 dollars canadiens (1 dollar vaut 10 rands, la devise du pays). Même les tables réputées d’Afrique du Sud ne sont pas hors de portée. À l’excellent resto Aubergine du Cap, par exemple, il en coûte 130 dollars par personne pour un accord mets-vins cinq services, soit ce qu’on paie parfois dans des restos québécois autrement plus ordinaires.

L’hébergement est aussi raisonnable, en particulier quand on loue chez des particuliers : sur HomeAway, j’ai vu des logements d’apparence fort respectable à 60 $ la nuit. On se sent lousse ? On a l’embarras du choix dans les hôtels et vignobles de la région. Notamment au domaine Spier et à l’époustouflante propriété Delaire Graff. Pour ma part, j’ai séjourné au Oude Werf Hotel, à Stellenbosch, dont les tarifs oscillent entre 200 $ et 300 $ la nuit, selon la saison. Au petit matin, du balcon de ma chambre, j’avais droit à un récital d’oiseaux tout à fait inusité. Il y a plus de 850 espèces d’oiseaux en Afrique du Sud, dont certaines au plumage et au ramage spectaculaires.

* Les vins des vignobles marqués d’un astérisque sont vendus à la SAQ.

Notre journaliste était l’invitée de Wines of South Africa.

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