Voyages et escapades

Évasion: trekking au Pérou

Comment diable notre journaliste, qui n’avait jamais fait de trekking de sa vie et qui abhorre le camping, s’est-elle retrouvée au Pérou, munie de deux rouleaux de papier hygiénique pour la semaine?

Photo: Stéphane Brazeau

Photo: Stéphane Brazeau

C’est un peu la faute de mes sœurs, ­exaspérées par mes tergiversations anxieuses : « Euh… Allô ! Tu verrais le Machu Picchu, chose ! Ça fait partie des merveilles du monde ! » Un peu la faute de ma rédactrice en chef, aussi, que ce casting improbable amusait beaucoup : « Oh ! que je flaire les déboires divertissants… Vas-y donc, ça va faire un bon papier ! »

Mais le coup de grâce, c’est mon tendre qui me l’a donné, à grand renfort de battements de cils et d’interprétations (pénibles) de l’indicatif musical des Mystérieuses cités d’or. « C’est mon rêve, le Pérou ! On fêterait mes 40 ans là-bas… » Soupir. L’amour, des fois, ça fait acheter des bottes de marche mauve lilas. Et ça fait atterrir en Amérique du Sud en duo, à l’orée de la Route des carrières incas, prête pas prête pour une randonnée de 26 kilomètres sur des sentiers rocailleux en dents de scie.

Vrai que j’aurais été un peu nouille de manquer ça : lesdits sentiers font partie du patrimoine mondial de l’Unesco, avec le reste du réseau sillonnant l’impériale cordillère des Andes. Ce sont les Incas qui, dès le 13e siècle, en ont tracé les 30 000 kilomètres, érigeant à l’huile de bras des millions de marches, des milliers de ponts suspendus et des centaines de tunnels sous les montagnes. Jadis, des messagers professionnels, les chasquis, les empruntaient en courant pour faire parvenir des vivres et des biens d’un bout à l’autre du pays. En courant, oui : les Incas ne maîtrisaient ni la roue ni le cheval, mais possédaient des mollets d’acier. Les haltes où ils se relayaient, les tambos, jalonnent encore les routes.

Photo: Stéphane Brazeau

Photo: Stéphane Brazeau

Leurs descendants, des Amérindiens qui parlent surtout le quechua, guident aujourd’hui une horde croissante de touristes à travers les Chemins des Incas, surtout depuis que le groupe terroriste Sentier lumineux a cessé ses carnages. La manne tombe à pic, car le réchauffement du climat nuit à la culture du maïs, des pommes de terre et du blé, gagne-pain principal de la population des Andes. Bon nombre de porteurs, cuisiniers et guides touristiques sont des fermiers obligés de multiplier les boulots pour faire vivre leur famille.

C’était d’ailleurs le cas d’une partie du personnel qui nous accompagnait à travers la sierra. Je ne suis pas près d’oublier leur dévouement, leur endurance et leur débrouillardise : à 4 000 mètres d’altitude, sans eau courante ni électricité, sous un abri de fortune que des bourrasques impitoyables malmenaient, ces hommes trouvaient le moyen de nous concocter des repas de roi adaptés à nos goûts et à nos estomacs délicats, après avoir marché aussi longtemps que nous et monté le campement. Au petit matin, alors que le soleil dissipait le brouillard recouvrant les vallées plongeantes, ils déposaient du thé sucré fumant devant nos tentes, ainsi qu’un bol d’eau chaude pour nos ablutions. Du camping de princesse, quoi, si l’on excepte les installations sanitaires rudimentaires (en mots clairs : un sac de plastique posé sur un seau, ou un buisson touffu, commodité hélas rarissime dans ces régions…).

Photos: Stéphane Brazeau

Photos: Stéphane Brazeau

La Route des carrières est un circuit peu fréquenté comparativement au Qhapac Ñan, appelé aussi « trek classique », où l’on risque de croiser une collègue de bureau. Il est considéré comme un prix de consolation quand on n’a pas pu obtenir de permis pour le « classique », qui n’accueille que 500 personnes par jour, par souci de préservation des lieux.

Pourtant, la première n’a rien à envier au second, au dire des randonneurs expérimentés : les paysages y sont aussi bouleversants, et les deux se concluent par la visite du Machu Picchu, grandiose cité inca dont la réputation n’est pas usurpée d’une miette. Quoique j’aie entendu un touriste québécois se plaindre bruyamment que les marches des Incas étaient hautes « en tabarn… ». Un grand moment de fierté nationale.
Pendant les trois jours que durait la randonnée, notre petite bande de nomades du dimanche a donc eu les Andes à elle toute seule, mis à part quelques cochons, vigognes et bœufs en liberté, devant lesquels, surtout les plus cornus, on se composait un air affable.

De temps en temps, on cédait le passage à une paysanne trapue aux longues tresses noires, chapeau melon sur le chef, suivant son âne au pas de course dans les sentiers abrupts. Ou à de petits Quechuas à la peau brune gercée par le vent âpre, qui, moyennant quelques soles et des bananes, posaient timidement devant les caméras des gringos un peu niaiseux en quête de dépassement de soi.

Sinon, c’était le silence absolu des montagnes, sur lesquelles règnent les apus, ces esprits bienveillants qui exigent tout de même une offrande chaque fois qu’on franchit un col ; le ciel aux accents spectaculaires, qu’on scrutait en espérant apercevoir un grand condor ; quelques rares chaumières semblables à celles du village d’Astérix ; et puis des ruines et des tombeaux, et des carrières, bien sûr, d’où le nom du circuit. Ici, les Incas extrayaient la rhyolithe rose dont est construite la ville fortifiée d’Ollantaytambo, tout en bas, dans la Vallée sacrée. On imagine avec compassion la sueur et les tours de reins que coûtait le transport de ces tonnes de roches sur des kilomètres de routes escarpées, sans chariot ni rien.

Photo: Stéphane Brazeau

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Il faut être relativement en forme pour parcourir la Route des carrières, dont le plus haut sommet s’élève à 4 450 mètres au-dessus du niveau de la mer. Mais tout l’entraînement du monde ne prépare pas au défi principal de l’aventure : la raréfaction de l’oxygène en altitude. À 3 000 mètres, il diminue du tiers ; à 5 000 mètres, de moitié. Par conséquent, le cœur pompe beaucoup plus vite pour faire fonctionner la machine. Gravir un escalier, transporter des sacs, même digérer est plus épuisant.

Certains s’adaptent sans difficulté, alors que d’autres ne s’y font pas. C’est le mal aigu des montagnes, ou soroche en quechua. Il frappe indistinctement jeunes et vieux, hommes et femmes, peu importe la condition physique. Même des randonneurs d’expérience peuvent en être affectés. Mâcher des feuilles de coca n’y fera rien, malgré ce qu’on raconte. Parmi les symptômes : maux de tête, nausées, nuits agitées, essoufflement. L’affaire peut dégénérer jusqu’à l’œdème mortel au cerveau ou aux poumons.

Photo: Stéphane Brazeau

Photo: Stéphane Brazeau

Pas de panique, toutefois : les guides sont bien préparés à intervenir. Je le sais pour avoir bénéficié de soins quand j’ai « frappé mon Waterloo », à 4 400 mètres. Je ne pouvais plus faire 20 pas sans devoir récupérer pendant plusieurs minutes, et j’avais l’impression que des mains invisibles m’écrabouillaient le crâne. Un cheval m’a donc transportée sur son dos pendant une portion du voyage. (J’ai bien peur qu’il m’en veuille encore, d’ailleurs.) Et j’ai pu recevoir de l’oxygène en bouteille. Les accompagnateurs ont aussi des walkies-talkies pour communiquer avec un médecin en cas d’urgence.

Ça m’a tout de même fendu le cœur de devoir me séparer de mes compagnons pour redescendre de 1 000 mètres, juste avant d’atteindre le deuxième col. Pas de négociation possible : les guides ont autorité totale en cette matière.

Avec le recul, ça a pourtant été le moment le plus marquant de mon périple : une sorte de communion absolue avec la beauté mystique du Nevado Veronica, le plus haut sommet de cette partie de la cordillère. C’était si poignant que j’en pleurais, sous le regard perplexe d’Emilio, le cuisinier de notre groupe, qui veillait sur moi pendant la ­descente. À un moment donné, on s’est assis tous les deux, aux limites d’un plateau, contemplant les neiges éternelles qui dominent la Vallée sacrée. Je lui ai tendu des biscuits à la vanille, il était content. Il me parlait en espagnol en montrant du doigt les eaux rugissantes de la rivière Urubamba. Je ne comprenais pas grand-chose, mais je lui souriais. Ai-je été envoûtée par les esprits des montagnes ? Je lui ai dit que je reviendrais.

 

Photo: Stéphane Brazeau

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Itinéraire de la Route des carrières

Jour 1. Arrivée à Cuzco. Je recommande d’y rester quelques jours de plus que ce que prévoit l’agence de voyage Intrepid Travel, la seule à offrir le circuit de la Route des carrières (Inca Quarry Trail, en anglais). Ce séjour prolongé permettrait de s’acclimater à l’altitude, la ville étant située à 3 400 mètres au-dessus du niveau de la mer.

Jour 2. Visite d’une communauté quechua, puis départ pour Ollantaytambo, dans la Vallée sacrée. C’est un point saillant du voyage ; là aussi, je serais restée plus longtemps. L’architecture, les ruelles pavées, la configuration de la ville : à peu près rien
n’a changé depuis l’époque inca. Certains habitants font visiter leur maison aux voyageurs. Souvent, il s’agit d’une seule pièce emboucanée, où trône un fœtus de lama en guise de porte-bonheur. La famille partage les lieux avec des cochons d’Inde grassouillets, cuys, en espagnol. Rôti sur la broche, ce n’est pas mauvais. Mais j’aurais préféré qu’on enlève la tête – et les yeux ! – du pauvre bougre dont le destin s’est achevé dans mon assiette.

Jours 3, 4 et 5. Trekking le long de la Route des carrières. Au jour 5, on prend le train pour Machu Picchu Pueblo (ou Aguas Calientes), où l’on passe la nuit.

Jour 6. Visite du Macchu Picchu aux aurores. Retour à Cuzco en milieu de soirée, où l’on passe une dernière nuit avant de clore l’aventure.

* La Route des carrières est une expédition d’environ 1 220 $ par personne, excluant les vols, quelques repas et les pourboires aux accompagnateurs. Il faut prévoir une caisse d’urgence de 500 $ US comptant, à la demande de l’agence. La meilleure période de l’année pour y aller est de mai à octobre, car c’est la saison sèche.

Les musts

De la crème solaire, un chapeau et un baume à lèvres à FPS élevé.

Des bas, des petites culottes et des t-shirts en laine de mérinos, parce qu’on peut les porter plusieurs jours d’affilée sans dégoûter ses compagnons.

De la ciprofloxacine, antibiotique recommandé pour soigner les diarrhées d’origine infectieuse. Et ce n’est pas un luxe. Pour lutter contre le mal des montagnes, les comprimés d’acétazolamide (le Diamox) sont réputés efficaces, même si, dans mon cas, ils n’ont pas fait de miracle.
* L’agence Intrepid Travel a assumé les frais d’une partie de ce voyage.

Photo: Stéphane Brazeau

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