Blogue de la rédac

Luka Rocco Magnotta est-il criminellement responsable?

L’avis de Hugues Parent, expert en aliénation mentale et professeur en droit criminel à l’Université de Montréal.

 Luka Magnotta

Alors que l’enquête préliminaire de Luka Rocco Magnotta entame sa troisième et dernière semaine au Palais de justice de Montréal, une question me hante : Luka Rocco Magnotta a-t-il des « chances » d’être jugé criminellement non responsable, au même titre que Guy Turcotte, qui a poignardé ses deux enfants en 2009 ? J’ai demandé l’avis de Hugues Parent, expert en aliénation mentale et professeur en droit criminel à l’Université de Montréal.


Châtelaine : Luka Rocco Magnotta a plaidé non coupable à l’ensemble des accusations qui pèsent sur lui – meurtre prémédité de Lin Jun, outrage au cadavre, production et envoi par la poste de matériel obscène, harcèlement contre le premier ministre Stephen Harper… Ses avocats ont-ils une chance de gagner en plaidant l’aliénation mentale ?

Hugues Parent : En droit criminel, un des seuls troubles mentaux qui peuvent entraîner un verdict de non-responsabilité criminelle, c’est la psychose, une maladie mentale extrêmement grave qui entraîne chez l’individu une perte de contact avec la réalité, des idées délirantes et des hallucinations. La schizophrénie paranoïde en est la forme la plus aiguë, et celle qui correspond le mieux à la défense d’aliénation mentale.

C’est probablement ce que la défense va plaider. S’il est démontré que Luka Rocco Magnotta souffre de schizophrénie paranoïde, techniquement, il a de très bonnes chances de l’emporter.

Châtelaine : Sauf que la poursuite va tenter de prouver le contraire…

H. P. : Oui. Les psychiatres du Ministère public vont procéder à une expertise, laquelle peut conclure que :

a) Magnotta n’était pas psychotique au moment du crime, mais souffrait d’un autre trouble mental (trouble de la personnalité ou sexuel). Ce qui expliquerait son geste (un des symptômes du psychopathe est de ne pas avoir d’empathie pour les autres), mais ne l’excuserait pas, selon le droit criminel.

b) Magnotta est schizophrène. Les psychiatres reconnaissent que l’individu était psychotique au moment du crime, mais arrivent à la conclusion que ses gestes n’étaient pas associés à sa maladie. Ce n’est pas parce qu’on est schizophrène qu’on a un permis de tuer !

Châtelaine : Si l’accusé est jugé « criminellement non responsable », cela risque de soulever un tollé, comme ce fut le cas pour Guy Turcotte, non ?

H. P. : Oui. La perception négative que la population entretient de la défense d’aliénation mentale découle d’ailleurs de l’arrêt Turcotte. Or cette cause n’est pas représentative. La maladie dont souffrait le cardiologue ne suffit pas à elle seule à obtenir un verdict d’aliénation mentale. C’est la combinaison de trois facteurs – trouble d’adaptation avec humeur dépressive, idées suicidaires et intoxication volontaire au lave-glace – qui a mené à ce jugement. Mais il n’y a jamais eu de perte de contact avec la réalité (psychose). Il n’est pas certain que cette décision soit maintenue en appel.

Dans l’affaire Magnotta, l’horreur du crime fera peut-être en sorte que, même si au point de vue juridique, la défense pourrait passer, elle ne sera pas acceptée. L’accusé fera face à un jury de 12 personnes, qui devront trancher en fonction de la preuve et non de ce qu’elles croient être le droit criminel.

Châtelaine : Dans un cas comme dans l’autre, quelle serait sa peine ?

H. P. : Si on conclut que Luka Rocco Magnotta n’est pas psychotique, il sera probablement reconnu coupable pour un meurtre au premier degré. Il écopera d’une peine de prison à vie, sans possibilité de libération conditionnelle avant 25 ans.

Si, au contraire, il obtient un verdict de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux, on le dirigera vers une institution psychiatrique où il fera l’objet d’une évaluation périodique par un comité chargé de déterminer son niveau de dangerosité. À partir du moment où il ne sera plus considéré dangereux, on le laissera aller.

POUR TOUT SAVOIR EN PRIMEUR

Inscrivez-vous aux infolettres de Châtelaine
  • En vous inscrivant, vous acceptez nos conditions d'utilisation et politique de confidentialité. Vous pouvez vous désinscrire à tout moment.