Ma parole!

L’apparence comme une prison

Comment se libérer de cette image de la femme jeune, au corps et au visage lisses? La féministe intérieure de Geneviève Pettersen se demande bien si elle pourra sortir de la prison des apparences.

Ma_paroleJe crois que la première fois que ça m’a frappée, j’étais dans ma voiture. J’écoutais CHOM et j’ai brusquement réalisé que j’avais l’âge de ma mère. Pas l’âge de ma mère en ce moment. Son âge quand j’avais 11 ou 12 ans et que je la trouvais donc vieille. 34 ans. J’écoutais All Apologies de Nirvana. Quand la musique que tu aimais adolescente joue à CHOM, c’est que tu n’es plus jeune pantoute.

Il est devenu rare qu’on s’adresse à moi en utilisant mademoiselle. On m’appelle madame à tour de bras à l’épicerie, à la SAQ, au garage et à l’école des enfants. Ça ne me dérange pas, remarquez. Longtemps, j’ai eu hâte au moment où on me désignerait ainsi. Dans ma tête, ce serait le signe que j’ai atteint le stade supérieur de l’existence. Quand on nous appelle madame, c’est qu’on est véritablement adulte, qu’on a une vraie carrière, qu’on voyage dans le sud, qu’on a des enfants, des REER, une maison bien décorée. J’étais loin de me douter qu’on m’appellerait madame bien avant que je puisse avoir tout ça. Je n’avais pas anticipé non plus ce petit pincement au cœur quand j’ai compris qu’on me donnait de la mademoiselle que pour me faire plaisir ou me flatter dans le sens du poil.

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Photo: iStock

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J’ai toujours trouvé ridicules les femmes qui craignent de vieillir. J’ai juré que je ne me ferais jamais remplir la face avec toutes sortes d’affaires, que je ne m’injecterais jamais de botox dans le front et que je ne me ferais jamais remonter rien. Mais depuis trois ou quatre mois, au rayon cosmétique de ma pharmacie et sur internet, je me surprends à lorgner du côté des crèmes antirides hors de prix, celles qui promettent des résultats sans chirurgie. Oui, ces mêmes crèmes contre lesquelles j’ai pesté, contre lesquelles j’ai écrit plusieurs fois. Et je dois vous avouer que, après trois enfants et trois allaitements, l’envie de passer chez le chirurgien plastique pour un redressement de la boule me titille un peu trop souvent à mon goût. Même que certains matins, quand j’ai trop peu dormi, que j’ai le teint vert et des restes de mascaras de la veille étampés dans la face, j’imagine la douce caresse de la seringue qui viendrait me redonner de la mine dans le crayon.

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Non, je ne suis plus une jeune fille. Et je trouve ça terrible de trouver ça difficile. Je me contredis, et je le sais. Je dis partout qu’il faut s’accepter telle que l’on est. Je vous répète dans cette chronique qu’il faut cesser d’essayer à tout prix de se conformer à cette image de perfection que l’on nous renvoie constamment. Malgré ça, je ne suis pas capable de me sacrer de ma petite joue moins rebondie qu’avant et de mes premières rides dans le front.

Et cette angoisse face aux changements que mon visage et mon corps subissent est en conflit avec mes valeurs profondes et ma féministe intérieure.

Je le sais que c’est ridicule d’avoir peur d’être vieille à 34 ans. Mais je ne peux pas m’empêcher de songer que si j’ai cette peur au ventre, c’est que malgré tout ce que j’essaie d’être, je suis encore pognée avec cette représentation de la femme dont j’essaie de me débarrasser. C’est que je suis encore sous l’emprise de cette figure tellurique au corps et au visage lisse. J’espère me libérer bien vite. Pour le moment, ce n’est vraiment pas gagné.

Pour écrire à Geneviève Pettersen: genevieve.pettersen@rci.rogers.com
Pour réagir sur Twitter: @genpettersen
Geneviève Pettersen est l’auteure de La déesse des mouches à feu (Le Quartanier)

 

 

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