Ma parole!

La retraite, ça sert à quoi?

Magasiner moins. Éviter les restos. Couper dans sa consommation de cafés au lait. Les conseillers financiers sont formels: il faut qu’on se mette à éco-no-miser en vue de notre retraite. Et si le concept même de retraite était à revoir?, demande plutôt Geneviève Pettersen.

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Depuis que j’ai compris qu’il me serait sans doute impossible d’arrêter de travailler avant mes 99 ans, j’ai commencé à réfléchir sur le principe même de retraite. Je me suis demandé d’où ça venait, cette folle idée-là, depuis combien de temps ça existait et, surtout, si c’était encore viable aujourd’hui. J’ai donc pris mon clavier à deux mains et j’ai fait appel à mon ami historien Laurent Turcot. Dans un message Facebook enflammé, je lui ai parlé de mon intuition, à savoir qu’à une époque pas si lointaine, on travaillait jusqu’au jour de notre mort. Laurent l’a confirmé.

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Photo: iStock

À LIRE: Je ne pourrai jamais prendre ma retraite

Le concept de « prendre sa retraite » est bel et bien quelque chose de récent dans notre histoire. On voit apparaître quelques heureux retraités dès le début du 20e siècle, mais c’est vraiment entre 1945 et 1975, avec l’arrivée de l’État providence et de la syndicalisation, que l’idée de retraite se répand. Et même si au début elle touchait des milieux précis (militaires, policiers, ouvriers, manoeuvres), où les travailleurs étaient soumis à une forte pression physique et/ou psychologique, elle s’est vite étendue aux autres professions.

C’est bien beau tout ça, mais pas besoin de creuser bien loin pour se rendre compte que le plan de retraite n’est hélas plus accessible à tous. «Compte tenu des bouleversements en cours (structure de l’emploi, émergence des pays asiatiques, crise climatique, désindustrialisation)»[1], la liberté 55 est appelée à disparaître. Car la retraite telle qu’on l’a connue pendant quelques décennies ignore «les bouleversements que vit le monde du travail avec la fin des grandes entreprises paternalistes et la multiplication des emplois précaires [et ne prend] pas en compte la diversité des situations, laquelle exige un maximum de souplesse[2]».

Qui plus est, dans la plupart des discours sur la retraite, on occulte complètement la notion de plaisir lié au travail. On nous dit plutôt d’accumuler de l’argent le plus rapidement possible pour cesser de travailler au plus tôt de notre vie. On va même, dans certains cas, parler d’indépendance financière plutôt que de retraite. Par ceci, on entend qu’un individu peut continuer à travailler par choix et non par obligation. C’est un bien joli concept, mais tout aussi inatteignable pour le commun des mortels qui a des dettes d’études et occupe des postes précaires.

Il est clair dans ma tête qu’un travailleur dont l’emploi n’est pas la principale passion envisage la retraite le plus rapidement possible dans sa carrière. Il est aussi vrai que, dans certaines sphères, il est impossible d’exercer son métier au-delà d’un certain âge, passion ou pas. Pour ces gens, la retraite devrait être un droit inaliénable. Mais pour nous, qui exerçons un métier plus «facile», un métier qui nous passionne, est-ce vraiment nécessaire? Pour moi, l’idée de cesser d’écrire et de communiquer à 55 ans est tout simplement farfelue. Et je ne suis pas la seule puisque je connais bon nombre de travailleurs qui, arrivés à leur retraite, prennent un emploi à temps partiel pour se désennuyer et se sentir utiles dans leur communauté. C’est vrai que le spectre de la maladie pèse sur nous et, qu’idéalement, on devrait avoir un peu d’argent de côté en cas d’imprévu, mais reste qu’il y a quelque chose de foncièrement aliénant dans cette quête effrénée de retraite.

À LIRE: En amour, trop de possibilités c’est comme pas assez

[1] https://www.herodote.net/Histoire_sociale-synthese-537.php

[2] https://www.herodote.net/Histoire_sociale-synthese-537.php

Pour écrire à Geneviève Pettersen: genevieve.pettersen@rci.rogers.com
Pour réagir sur Twitter: @genpettersen
Geneviève Pettersen est l’auteure de La déesse des mouches à feu (Le Quartanier)

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