Blogue La course et la vie

La course: faut-il toujours aller plus loin, plus vite?

Votre corps est-il un bolide fait pour le sprint ou un tracteur tenace conçu pour la course de fond?

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«Un peu plus loin, un peu plus haut», chante Ginette.

Lors d’un atelier offert par Spinal sur la planification d’une saison de course, l’une des participantes a eu une réflexion fort intéressante. Elle portait sur la pression de passer à des distances plus grandes que des « simples » 5km ou 10 km.

Je vous rassure tout de suite, il n’y a pas de pression.

On peut, toute sa vie, courir des 5 km ou des 10 km et en être parfaitement heureux.  Et si on augmente l’intensité et qu’on les court vite, ce sont des distances capables de nous faire souffrir autant (sinon plus) que la course de fond.

J’entends aussi la phrase suivante : « Ouin, mais y’a pas une forme de snobisme ? On dirait que les marathoniens se vantent, et que le marathon, c’est mieux qu’un « petit » 5 km ».

Courir un marathon, est-ce mieux ? Non.

Mais est-ce plus long ? D’oh (comme dirait Homer Simpson)!

Qu’on se le dise, il n’y a pas de « petites » courses, il n’y a que de « petites » façons de voir les choses.

Est-ce que ça existe des coureurs snobs et désagréables ? Bien sûr, mais on ne les fréquente pas, ceux-là. Les marathoniens que je connais sont tous d’adorables lurons, vaillants, modestes, et généreux de leurs conseils. Surtout, ils ne diminuent jamais les autres. C’est la marque des champions.

S’ils racontent leurs exploits ? Oh que oui ! Et ils font bien.

C’est dur, un marathon. Ça vaut la peine d’en courir un juste pour trouver que finalement, ceux qui l’ont fait ne se vantent pas assez.

Blague à part… Si une âme innocente me demande mon avis (vous voilà avertis, ne me demandez pas mon avis), et qu’elle maîtrise déjà une distance, je l’encourage toujours à essayer une distance plus longue.

Je ne présume jamais que la personne en face de moi n’en sera pas capable. À dire vrai, ça ne me traverse pas l’esprit.

Le corps s’adapte. La tête aussi. Et les longues distances m’ont ouvert trop d’horizons pour  que je n’aie pas envie de partager ces voyages.

On répète à nos enfants qu’ils doivent au moins essayer avant de déclarer qu’ils n’aiment pas quelque chose et tout à coup, quand il s’agit de nous, on resterait bien tranquille dans notre petit confort ?

Ahhhhh. C’est bien ce qu’il me semblait…  Il faut essayer, ne serait-ce que par pure curiosité.

Photo: Geneviève Lefebvre

Photo: Geneviève Lefebvre

Qu’est-ce que je vais trouver au bout de la fatigue ? De la douleur ? De la force ? Qu’y a-t-il au-delà du « connu » ?

De quoi suis-je faite ? Mon corps est-il un bolide pour le sprint exigeant des courtes distances ou un tracteur pour le diesel tenace de la course de fond ? Et si la distance qui me convenait parfaitement, autant physiquement que par tempérament, était ce 21.1km que je n’ose envisager de peur que ce soit « trop » ? Et si le « trop » devenait mon « meilleur » ?

Qui sont ces autres humains à mes côtés, mes compagnons de route et de bravoure ? Quels sont leurs rêves ? Leurs aspirations ? Leurs défis ?

Lors de mon tout premier marathon à Charleston, j’ai partagé plusieurs kilomètres avec un jeune vétéran, amputé d’une jambe et portant un t-shirt de la US Army.  Il courait avec une prothèse de titane. Nous n’avons pas échangé un  mot. Mais j’entendais son souffle à mes côtés et je savais qu’il entendait le mien aussi. Alors que nous n’avions rien en commun sauf cette route à courir, nous accordions nos souffles dans une intimité à nulle autre pareille.

Lui. Moi. Et la mer à perte de vue derrière les marais de la Caroline du Sud…

Je me souviens de la couleur de son short – rouge ! –, mais je n’ai jamais vu la couleur de ses yeux.  Quand il a senti, juste à ma respiration, que j’allais le quitter, il a simplement levé la main et j’ai levé la mienne. Bon vent, compagnon !

Je ne saurai jamais ni le nom, ni l’histoire de ce jeune vétéran, et pourtant, il fait partie des rencontres marquantes de ma vie, comme souvent nos frères et sœurs d’aventure.

Les kilomètres sont des frontières.  Nous sommes poussés par le désir de découvrir de nouveaux mondes, hantés par la crainte de l’inconnu, mais toujours remplis d’espoir que le meilleur est au bout.

Alors on embarque dans un marathon comme autant de joyeux tatas d’intrépides voyageurs, ceux d’avant la « modernité »,  ceux qui montaient à bord de bateaux en bois, défiant les pirates, les tempêtes et le scorbut, pour aller voir si la terre était vraiment plate, si le pain poussait dans les arbres, si les Indes étaient au bout de la traversée.

Les Indes n’y étaient pas. Mais l’Amérique, oui.

Et dans cette Amérique, est né l’écrivain Normand Mailer, qui a écrit une phrase mémorable : « If you don’t go, you’ll never know ».

Geneviève Lefebvre est l’auteur de deux romans noirs, Je compte les morts et La vie comme avec toi, tous deux salués par la critique. Son dernier roman, Va chercher, vient d’être acheté par la maison d’édition Robert Laffont, et sortira en France en avril 2015. 

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