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Les femmes de l’islam

Khadija. Fatima. Aïcha. Trois femmes clés dans la vie du prophète Mahomet. Dans sa nouvelle trilogie, l’écrivain Marek Halter leur redonne la place qui leur revient.

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Photo: Maurice Rougemont / Opale / Éditions Robert Laffont

Marek Halter est un citoyen du monde. Juif polonais de naissance, il était enfant quand, avec sa famille, il a fui son Varsovie natal devant la menace hitlérienne. Il a grandi en Ouzbékistan, en terre musulmane, avant de s’installer définitivement en France en 1950, au seuil de l’âge adulte. Cet activiste pour la paix, au Proche-Orient surtout, a côtoyé tant des chefs d’État israéliens, comme Golda Meir, première ministre d’Israël de 1969 à 1974, que des leaders palestiniens, comme Yasser Arafat.

Personnage public controversé (on l’accuse souvent de pratiquer ce qu’on pourrait appeler l’autobiographie artistique…), il est par contre reconnu comme romancier et essayiste, avec plus d’une trentaine d’ouvrages à son actif.

Il s’intéresse depuis des années à la place des femmes dans les trois religions monothéistes, le judaïsme, le christianisme et l’islam. Au début des années 2000, il a publié la trilogie La Bible au féminin, suivie de Marie, une histoire de la mère de Jésus. L’an dernier paraissaient Khadija, puis Fatima, les deux premiers tomes d’une nouvelle trilogie – le troisième, Aïcha, est attendu pour le mois de juin. Châtelaine l’a joint à Paris.

Châtelaine : Pourquoi cet intérêt marqué pour le rôle des femmes dans l’histoire des religions ?
Marek Halter. Les religions sont les seules grandes idéologies qui subsistent aujourd’hui. Les trois cultes monothéistes représentent plusieurs milliards de personnes. Et, même si ces gens ne vont pas tous à l’église, à la synagogue ou à la mosquée, les religions demeurent pour eux des références. Or, les religions n’ont pas été touchées par les révolutions qu’ont menées nos arrière-grands-parents qui voulaient changer le monde. Et je crois que les femmes sont les mieux placées pour faire entrer ces idéologies dans la modernité. Elles ont été au cœur de leur évolution, mais elles n’y ont plus de place aujourd’hui. Parce que les hommes les ont expulsées de l’histoire.

Vous consacrez le premier tome de votre trilogie à Khadija, la première épouse de Mahomet. Une femme riche et puissante, plus âgée que lui d’une dizaine d’années. En fait, le prophète aurait convolé avec une cougar ?
Oui. Et il l’a aimée passionnément. Elle lui a donné quatre enfants, lui a permis de devenir un homme important et respecté dans sa communauté, et c’est elle qui, la première, a cru aux révélations qu’il relatait. Sans Khadija, l’islam ne serait pas venu au monde. Sans sa fille Fatima, qui a été une grande guerrière, et sans Aïcha, sa dernière épouse, Mahomet n’aurait pu étendre son influence. Je voudrais que tout le monde se rende compte que l’histoire ne serait pas la même sans elles.

Ça doit agacer certains musulmans que vous ressortiez ces personnages historiques…
Pour l’instant, personne ne m’a attaqué. Je fais très attention. Je reconstitue une histoire que peu de gens connaissent, même chez les musulmans, mais je ne fais pas la critique de la religion. Et pour être sûr de ne pas dire de bêtises, je fais toujours relire mon manuscrit par des spécialistes, par des religieux.

Que voudriez-vous que les jeunes musulmanes retiennent de ces récits ?
Si elles acceptaient de les lire, à mon avis, leur attitude changerait. Elles s’apercevraient qu’on peut appartenir à l’islam sans perdre son visage ni son génie. Qu’il n’y a pas de raison qu’on leur interdise les activités de recherche, d’écriture, l’accès aux études, à la technologie. J’ai tenté de leur restituer la puissance qu’on leur a enlevée. Récemment, j’étais au Maroc, un pays musulman. Dans une librairie où je participais à une séance de signature, une jeune femme m’a tendu son exemplaire de Khadija pour que je le lui dédicace. Quand je lui ai demandé son nom, elle a répondu Khadija ! Elle m’a dit que sa mère lui avait donné le prénom de l’épouse du prophète, mais sans jamais lui parler d’elle. Qu’elle l’avait découverte par mon entremise.

Qu’est-ce que les musulmanes peuvent faire maintenant, selon vous ?
Un exemple entre mille : on traite tous les jours de ces attentats commis au nom de l’islam en Irak, en Syrie, en France et même chez vous. Et je pense que les mères, les sœurs, les filles de ceux qui perpètrent ces crimes peuvent jouer un rôle central irremplaçable. Parce qu’elles sont à l’intérieur de ce monde. Nous, nous sommes à l’extérieur.

Dans votre essai Réconciliez-vous ! (Robert Laffont, 2015), vous dites que « là où les hommes piétinent, les femmes avancent ». Comment les Occidentales peuvent-elles appuyer l’avancée des femmes d’ailleurs ?
Aujourd’hui, il est très difficile de faire descendre les gens dans la rue – quoique le mouvement « Je suis Charlie » pourrait nous faire croire le contraire. Mais il y a Internet. J’ai un rêve, et j’ai même contacté Google dans l’espoir qu’il se réalise.

Imaginez que Google offre sa page ­d’accueil et invite toutes les femmes du monde, juives, chrétiennes, laïques, musulmanes, à se manifester au même moment pour demander la paix au Proche-Orient. Et qu’on récolte ainsi 10 ou 20 millions de clics. La force qu’aurait un tel mouvement… Malheureusement, Google a décliné ma proposition. Je me console en me disant que l’espèce humaine vit d’histoires qui nous marquent et qui nous changent. Qui restent. C’est le pouvoir de la littérature.

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