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Marie Gray, une auteure érotique d’ici

Elle est l’auteure québécoise olé olé la plus lue ici et la plus traduite. Après un silence de 10 ans, elle a repris le collier. Mais qui est Marie Gray?

Marie-Gray

Photo: Maude Chauvin

Tout a commencé par une dédicace : « Cher Jean-Yves, Baiser… hum. Comme dans “bisou” ou autre chose ? À vous de choisir ! [dessin d’un clin d’œil possiblement coquin]. Bonne lecture et… au plaisir ! Marie Gray XX. » L’auteure l’avait rédigée dans sa dernière œuvre, au titre évocateur, Baiser, premier tome d’une trilogie qu’elle m’avait envoyé à sa sortie, l’hiver dernier. L’attention était touchante et méritait une réponse. Rendez-vous a été pris au café en bas du bureau.

Baiser-Marie-GrayLa « reine » du roman érotique québécois avait faim. Entre deux bouchées de sandwich, Marie a beaucoup parlé de Baiser et un petit peu de sodomie (« Il y en aura dans le deuxième tome », a-t-elle promis), ce qui a intrigué la table d’à côté. Elle ressemble à sa photo officielle, et à bien des femmes de son âge (début cinquantaine). Je l’aurais croisée rue Sainte-Catherine que jamais je n’aurais pu deviner qu’elle puisse oser écrire, à 15 000 exemplaires avec son visage en quatrième de couverture : « Il fait ressortir la cochonne en moi, celle qui a été trop longtemps refoulée. Ben coudon. Il était temps, faut croire. »

Pour lire les 25 premières pages de Baiser – Les dérapages de Cupidon, cliquez ici. 

Marie Gray a connu ses premiers frissons d’auteure à succès il y a 20 ans, avec Histoires à faire rougir, des nouvelles osées juste assez épicées pour fouetter l’imagination : voyeurisme, trip à trois, lesbianisme d’un soir d’été… Et le sado-maso, très à la mode ces jours-ci ? « Ce n’est pas mon genre, a dit la dame, essuyant ses lèvres. Ni en littérature ni en privé. » Traduites en 14 langues, « dont le croate et le serbe, le roumain et le grec », a-t-elle précisé avec fierté, ces Histoires se sont multipliées comme des lapins : Nouvelles histoires à faire rougir, Histoires à faire rougir davantage, Rougir de plus belle, Rougir un peu, beaucoup, passionnément…

À force de faire rougir d’Athènes à Zagreb, Marie s’est sentie menottée dans ce créneau, à bout de souffle surtout. « J’ai arrêté d’écrire de l’érotisme en 2003, car je trouvais qu’avec 52 nouvelles j’avais fait le tour. J’étais sincèrement saturée du sexe à toutes les sauces, d’être la “spécialiste” invitée à toutes les tribunes dès qu’il était question de sexualité. Et, honnêtement, c’était le fun d’écrire ça à deux (il faut essayer les positions décrites, et mon conjoint aimait bien être le cobaye), mais comme mon couple battait de l’aile, j’étais moins inspirée. » Déjà mère d’un garçon, elle a donné naissance à une fille, mais cet heureux événement n’a pas pu sauver le mariage.

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Sexe, drogue et…

Telle une chatte, Marie Gray a eu plusieurs vies. Dans l’une d’elles, longue d’une bonne décennie, l’auteure s’appelait encore Marie-Claire Saint-Jean, et chantait du heavy metal. On peut d’ailleurs la voir avec son groupe sur YouTube, nippée Pat Benatar, dans son unique vidéoclip professionnel filmé au milieu des années 1980. « On tournait beaucoup, on avait un contrat de disque avec Sony. J’avais une voix puissante, d’où mon surnom : la Poule à gosses. » Wow ! Et pourquoi diantre a-t-elle arrêté ? « Parce que c’était une vie de fou, très rock’n’roll. »

Elle a quitté la scène, remisé ses léotards en élasthanne et joint l’entreprise familiale. Son père, feu Guy Saint-Jean, est l’un des piliers de l’édition québécoise. Fondée il y a plus de 30 ans, la maison Guy Saint-Jean Éditeur a publié des centaines de titres, de la saga doublement millionnaire signée Louise Tremblay-D’Essiambre… aux Histoires de Marie Gray. Donc, à titre d’éditrice, elle s’autopublie ? « Oui, mais sans traitement particulier. On me révise comme on le fait avec tous nos auteurs. »

Pendant que Marie Gray, la scribe, faisait une pause, Marie-Claire Saint-Jean, l’éditrice, restait à l’affût d’une bonne idée. Elle l’a trouvée en feuilletant la littérature jeunesse disponible. « Ça manquait de réalisme. Deux ados s’embrassaient, ça devenait humide et on passait à un autre chapitre. J’ai eu envie d’écrire pour eux, de faire un peu de prévention, de parler de grossesses non désirées, de drogue du viol. Je recevais des courriels de jeunes qui avaient lu mes Histoires et ça me perturbait. Pas que je sois puritaine, mais ce n’était pas adapté pour eux. Et j’avais à la maison un fils qui commençait à me poser des questions… »

Fiston trouvera des réponses dans le tome 1 d’une nouvelle collection fort populaire intitulée « Oseras-tu ? », destinée aux 14-18 ans et arrivée chez les libraires en 2009. Titre : La première fois de Sarah-Jeanne, par Marie Gray. Une adolescente devient chanteuse au sein d’un groupe dans lequel joue Sébastien, un guitariste fa-bu-leux. Lui voudra aller plus loin que les longs baisers. Osera-t-elle ? Ce sera sa première fois… celle qu’on n’oublie jamais.

Baiser, enfin !
Baiser (sous-titré : Les dérapages de Cupidon) donne la vedette à Julie, une traductrice mont­réalaise de 46 ans, fraîchement séparée après 16 ans de vie à deux. Elle ne veut pas vieillir seule, sans sexe. « Je rêve d’un corps encore inconnu, d’un membre à la rigidité appétissante, à la taille imposante. Immense, tant qu’à y être. » En effet. Son cauchemar : le spectre de la cinquantaine. Julie partira donc à la chasse à l’Homo erectus, partageant ses états d’âme et ses aventures tragicomiques (même à Cuba !) autour d’une bouteille avec Maryse et Valérie, ses meilleures copines.

J’ai voulu connaître l’avis d’une lectrice férue de la prose de Marie Gray. Danielle Dion, conseillère en sécurité financière, 44 ans, de Deux-Montagnes, a répondu à mon courriel : « J’aime la lire parce que, érotiques ou pas, ses histoires ressemblent à la vraie vie. Par exemple, dans le roman Baiser, mes amies et moi nous sommes reconnues. Nous avons vécu exactement ce que le livre raconte. Il représente très bien la nouvelle génération des femmes célibataires. »

Marie l’avoue : Julie, c’est elle, plus ou moins, ou plus que moins. « À la différence qu’elle n’a pas d’enfants et a le temps d’aller au gym ! Je suis séparée depuis quatre ans et je voulais écrire là-dessus. Les hommes de mon âge ne veulent pas d’une femme de leur âge, ils désirent en rencontrer une de 30 ans. Selon cette logique, il faudrait nous intéresser aux hommes de 70 ans. Je ne suis pas encore là. » Comme Julie, Marie cherche, ici, là, et espère. « J’y crois, je le veux. » En attendant, sa quête lui donne une tonne de matière à romans : Baiser tome 2 vient de sortir, un troisième est en chantier. « Il y en aura peut-être un quatrième ! »

 

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