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Marie Laberge, ses romans, le doute, le suicide

La prolifique Marie Laberge présente cet automne deux nouveaux livres, Treize verbes pour vivre et Ceux qui restent. Le premier, un essai, traite du doute qui l’accompagne toujours malgré ses 40 ans de carrière, et le second, un roman, du choc créé par un suicide inexpliqué. Rencontre.

Marie-Laberge

Photo : Michel Cloutier

« Eh oui, 40 ans de carrière. Et en novembre, j’aurai 65 ans ! Tout un party ! » Son rire joyeux éclate sur cette terrasse où je la retrouve, histoire de faire le point sur son fabuleux parcours. Devant un thé vert au jasmin, on saute du coq à l’âne en revenant sans cesse à l’essentiel : l’écriture, encore et toujours.

Marie Laberge parle aussi du doute, ce lancinant « À quoi ça sert ? » « Je continue quand même, acharnée que je suis », affirme-t-elle dans Treize verbes pour vivre, un essai qui l’a hantée au cours des 20 dernières années. « On n’a pas 40 ans de vie professionnelle si on n’a pas de lecteurs. Ce sont eux qui nous font continuer, approfondir… J’aurais pu réfléchir toute seule dans mon sous-sol, mais je n’aurais pas avancé autant sans l’amour du public qui m’a nourrie. »

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Treize verbes, donc. De jouir à mourir, en passant par apprendre, douter, quitter, aimer, vieillir… Fouiller leur sens profond, le sens profond de la vie, et aussi de la mort, de l’amour, de la vieillesse. En y ajoutant une touche personnelle, ce qui lui coûte de grands efforts. « Mes secrets me sont précieux… Pas question de me déshabiller toute nue dans la rue, mais il y a des choses que je n’ai jamais dites, comme la mort de mon père, ces deux derniers mois passés près de son lit d’hôpital, où il m’a donné un cadeau de vie. »

Quant à Ceux qui restent, son nouveau roman, intense, il aborde un sujet sensible, le suicide. Un jeune homme s’enlève la vie sans avoir auparavant envoyé de signaux de détresse. « J’ai choisi de ne pas m’étendre sur ses raisons. Ce qui m’a intéressée, ce sont ceux qui restent et comment chacun réagit face à cette violence. » Un à un, ses proches vont s’adresser au disparu, crier leur colère, leur incompréhension, leur douleur. Et reprendre le fil brisé de leur vie…

Marie-Laberge-Treize-Verbes-Pour-VivreDes débuts à 11 ans
« Quand tu commences à écrire à 11 ans, c’est qu’il y a quelque chose en toi… », évoque-t-elle. Son premier manuscrit, rédigé « à la mine de plomb et avec un transparent [pour écrire droit] », racontait la vie de ses parents. Façon pour la fillette de « se rapprocher de soi ». Car le fait de grandir entre cinq sœurs et un frère est un terreau fertile pour faire germer autonomie et solidarité. D’ailleurs, chez les Laberge, on ne se fréquente pas qu’à Noël. Marie n’a pas eu d’enfants, mais elle adore ses nombreux neveux et nièces, qui font partie de sa vie.

Vie professionnelle rayonnante. Vie familiale riche. Vie amoureuse avec ses fulgurances et ses ruptures. « Quatre mariages, ça vaut la peine, non ? » Tout un bagage, transformé par sa sensibilité « démesurée » [elle souligne], qui se retrouve dans ses livres et son théâtre.

C’est sur les planches que l’aventure a commencé. À sa sortie du Conservatoire d’art dramatique de Québec, en 1975, Marie devient tour à tour comédienne, professeure et auteure. Elle interprète de grands rôles et signe des pièces marquantes comme C’était avant la guerre à l’Anse-à-Gilles, prix du Gouverneur général 1981, L’homme gris, Oublier

Un jour, elle ressent le besoin de faire une pause du théâtre, sans toutefois décider d’arrêter pour toujours… Elle met en scène sa dernière création, Charlotte, ma sœur, chez Duceppe en 2005. Puis, rideau ! « Le théâtre ne m’a pas manqué. J’ai un immense contact avec le public, et le roman est un territoire absolument libre. Tu crées avec ta vérité, ton élan, puis la personne qui le lit fait son propre roman avec le tien. »

Marie-Laberge-Ceux-Qui-RestentNaissance d’une auteure chouchou
Le croira-t-on ? Son premier livre, Quelques adieux, a été refusé en 1984. Nullement découragée, elle le range dans un tiroir, en concocte un autre, Juillet, qui sort en 1989 et obtient un grand succès. Trois ans plus tard paraît finalement le rejeté !

Celle qu’on repère facilement au Salon du livre grâce aux foules qui se pressent devant son stand se souvient de moments creux à ses débuts. « À côté de Victor-Lévy Beaulieu, qui avait de longues files d’attente, moi, rien… je contemplais mon stylo. »

Très vite, ça explose, chaque nouvelle parution gagnant un public toujours plus enthousiaste et des tirages toujours plus gros.

Puis arrive le raz-de-marée. Tout le Québec, ou presque, lit sa trilogie – Gabrielle, Adélaïde et Florent – et adopte ces personnages comme des êtres de chair et d’émotions faisant partie de son entourage. « Un cadeau d’amour que je ne pensais pas recevoir de mon vivant », me confiait à l’époque Marie.

La passion, oui. Le succès, elle n’y pensait pas. D’où son incompréhension quand des journalistes lui demandent la recette d’un best-seller. « Si on la connaissait, la fichue recette, tout le monde l’utiliserait. » Ses yeux lancent des éclairs dorés. « L’authenticité, c’est plus payant que d’essayer de deviner ce que l’autre veut entendre. »

À la terrasse, le temps a filé. Comme il file dans nos vies. Angoissant ? « Ça me fouette, plutôt ! La vie est incroyablement rapide, alors je déteste perdre du temps. J’ignore combien il m’en reste, pour l’instant je déborde d’énergie, j’ai des envies, des défis et le swing pour les relever… »

Ceux qui restent, 504 pages, et Treize verbes pour vivre, 256 pages, tous les deux publiés chez Québec Amérique et en librairie le 26 octobre.

Autres œuvres

· Huit romans (La cérémonie des anges, Le poids des ombres), en plus de sa trilogie

· Treize pièces de théâtre (Jocelyne Trudelle trouvée morte dans ses larmes, Ils étaient venus pour…)

· Des nouvelles de Martha (156 lettres envoyées par la poste à ses lecteurs de 2009 à 2011)

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