Société

Couple : l’union libre

Sommes-nous protégées par la loi québécoise après trois ans d’union libre ? Pas sûr du tout. Les conjoints de fait ont intérêt à s’informer de leurs droits et de ceux qu’ils n’ont pas.

Union libre


 
Union libre

En 2007, la vie de Sylvie prend un nouveau virage. Cette mère de famille monoparentale a le coup de foudre pour un beau et jeune célibataire sans enfant. Les tourtereaux décident bientôt d’emménager ensemble.

Mais si la cohabitation rapproche les cœurs… elle éloigne les dollars. En effet, après un an de vie commune, la Loi de l’impôt sur le revenu au Québec tient compte du salaire des deux conjoints dans le calcul du revenu familial. Conséquence : tous les programmes sociaux et crédits d’impôt auxquels Sylvie avait droit auparavant pour ses deux adolescents ne lui donnent plus un sou, ce qui représentait près du tiers de ses rentrées d’argent. Son nouvel amoureux, par contre, n’a essuyé aucune perte financière cette année-là.

Sylvie ne se plaint pas trop : après tout, vivre à deux coûte moins cher puisqu’on partage les coûts du logement, ce qui compense en partie la baisse de revenus. Toutefois, si l’idylle prenait fin dans quelques années (comme la moitié des unions au Québec…), pourrait-elle récupérer le manque à gagner accumulé pendant tout ce temps ?

Sylvie l’ignore peut-être mais, dans cette éventualité, la loi ne la protégerait absolument pas. « En fait, le Québec tient aux conjoints de fait un double discours : vous n’avez pas droit au patrimoine familial ou à un encadrement légal en cas de rupture mais, aux yeux de l’impôt, vous formez une famille ! » indique Josée Jeffrey, planificatrice financière et fiscaliste chez Focus Retraite, qui compte plusieurs « Sylvie » parmi sa clientèle.

Le fisc n’est pas le seul à entretenir cette confusion dont les femmes font malheureusement souvent les frais. « Le régime des rentes, l’assurance automobile, les normes du travail et une multitude d’autres lois à caractère social au Québec considèrent les conjoints de fait comme des gens mariés », rappelle Hélène Belleau, sociologue et professeure à l’INRS – Urbanisation Culture et Société. Il suffit de vivre trois ans en couple – un an seulement, quand on a un enfant qu’il soit issu ou pas de la présente union –, pour se voir accorder le même statut que les gens mariés. D’où l’idée reçue, dit la sociologue, du « mariage automatique ». Puisque, socialement, le gouvernement traite les deux types d’union de manière identique, une majorité de la population se croit légalement protégée si l’union tourne mal. Or, il n’en est rien.

4 points à retenir
Quand on vit en union libre :
• Prévoir des ententes claires sur les biens qui ne sont pas à notre nom, incluant les héritages et les cotisations au REER du conjoint.
• Fixer une compensation pour la perte économique engendrée par la naissance des enfants et liée à un retour tardif sur le marché du travail ou à une réduction des heures travaillées (salaire, promotions, caisse de retraite).
• Vérifier si on est prête à payer la totalité des prêts contractés en couple si son partenaire n’a plus les moyens de rembourser sa part.
• Penser à une éventuelle vie après le couple et planifier sa retraite. Bref, planifier un contrat de vie commune !

Lorsqu’une rupture ou un décès survient, le réveil est souvent brutal. Au Québec, les conjoints de fait n’ont pas droit au partage du patrimoine familial, peu importe la durée de vie commune, et la loi ne prévoit pas de versement de pension alimentaire au conjoint (contrairement à la législation ailleurs au Canada).

« On ne choisit pas de se marier ou de vivre en union libre pour des raisons juridiques », a constaté Hélène Belleau au fil de ses recherches. On se marie parce qu’on s’aime et pour faire une fête. On vit en union libre parce qu’on n’est pas croyant ou pour échapper au divorce. Ceux qui cohabitent pour la première fois idéalisent l’amour. « Les gens ne veulent pas anticiper une rupture puisque ça ne les concerne pas », explique la sociologue.

Résultat : au moment d’une séparation, les conséquences financières sont importantes pour les femmes. Des données recueillies de 1994 à 2005 et tirées de l’Enquête nationale sur la santé de la population indiquent que 43 % de celles qui ont vécu une rupture conjugale ont connu une baisse substantielle du revenu de leur ménage, comparativement à 15 % des hommes.

Le problème est encore plus préoccupant à la naissance des enfants, selon Hélène Belleau. Lorsque les conjoints travaillent à plein temps, la conciliation travail-famille alourdit très vite leur quotidien. Le couple décide alors, d’un commun accord, que celui ou celle qui gagne le moins restera à la maison ou réduira ses heures de travail pour faciliter la vie familiale. Ce sont souvent les femmes qui mettent leur carrière en veilleuse à des âges où les possibilités d’avancement sont importantes. « Le danger, précise la chercheuse, survient s’il y a rupture, moment où ces choix de couple seront réinterprétés comme des choix individuels. Les couples en union libre repartiront chacun avec ce qu’ils ont payé : madame, avec ses sacs d’épicerie, et monsieur, avec la voiture ! »

Le Québec est le champion mondial de l’union libre : plus d’un couple sur trois vit sa relation hors des liens du mariage, civil ou religieux – dans les autres provinces et territoires du Canada, ils sont un peu plus de 13 %. Plus des deux tiers des bébés québécois naissent de parents vivant en union de fait – jusqu’à 80 % dans certaines régions. C’est énorme. Si les parents se séparent, les enfants risquent du jour au lendemain de déménager dans un quartier plus modeste. Le parent qui a la garde, habituellement la mère, ne peut plus leur assurer un train de vie équivalent à celui d’autrefois puisque le sien se trouve fortement diminué.

Contrat garanti
Depuis 20 ans, au Québec, le partage à parts égales du patrimoine familial est obligatoire pour tous les couples mariés.

Bien que l’union libre ne soit pas assujettie aux dispositions sur le patrimoine familial, il est possible de signer un contrat de vie commune. Ratifiée librement par les deux conjoints, cette convention cristallise leurs ententes financières et établit la philosophie du couple. Il aura force de loi en cas de rupture ou de décès de l’un des conjoints. Si on veut, on peut y prévoir une pension alimentaire au conjoint, détailler le partage des caisses de retraite ou le désir d’envoyer ses enfants à l’école privée. On peut rédiger à deux sa convention de vie commune ou, encore, demander conseil à un notaire ou à un avocat. Les coûts varient entre 500 $ et 1000 $, selon la complexité du cas.

Quelle est la solution alors ? Pour Sylvie Schirm, avocate en droit familial et auteure du livre Être conjoints de fait – pour une vie à deux sans soucis, celle-ci réside dans le contrat de vie commune. Bien que le Code civil du Québec ne reconnaisse pas l’union libre, rien n’interdit aux couples de prendre en charge leur protection. En plus de mettre les partenaires à l’abri des injustices, cette convention permet d’éviter une multitude de poursuites judiciaires. Des conjoints de fait qui se croyaient à tort protégés par la loi réclament régulièrement leur dû devant les tribunaux. En fait, actuellement, l’un des seuls recours possibles est d’invoquer « l’enrichissement injustifié de son conjoint », autrement dit prouver à un juge qu’on s’est appauvrie à cause de sa contribution au conjoint. Si on y parvient, on a droit à une indemnité, mais jamais au partage du patrimoine familial.

Il est clair qu’il faut informer davantage les citoyens sur les limites du Code civil actuel. Selon Hélène Belleau, un encadrement légal est nécessaire pour les conjoints de fait, du moins pour les couples non mariés avec enfants parce que leur présence pèse différemment sur le portefeuille des deux conjoints.

Devant la cause opposant Lola à son ex-conjoint, beaucoup se sont écriés que si on en arrivait à « marier » des conjoints de fait contre leur gré, on risquait de voir des tas de concubins se séparer avant que le coup de trois ans de vie commune ne retentisse… L’union de fait en séduirait plusieurs à cause, justement, de cette possibilité de contourner le partage du patrimoine familial.

Pour Sylvie Schirm, le débat social actuel est légitime. Il ne s’agit pas de marier de force les couples qui ne le veulent pas. Mais il doit y avoir une volonté politique à l’Assemblée nationale d’étudier les conséquences de l’absence de cadre légal entourant les conjoints de fait et leurs enfants. « Il faut repenser l’ensemble du portrait conjugal québécois à la lumière de la société des années 2000. Peut-être que certaines règles du mariage sont trop rigides », conclut Hélène Belleau.

Lola déboutée en cour

Le 16 juillet dernier, celle qui réclamait à son richissime ex-conjoint de fait une pension alimentaire de 56 000 $ par mois et une somme forfaitaire de 50 millions de dollars a été déboutée en Cour supérieure du Québec. Surnommée Lola par les médias, la jeune femme d’origine brésilienne conteste la validité constitutionnelle de la loi québécoise des droits des conjoints de fait séparés. Selon la mère de trois enfants, le Code civil du Québec est discriminatoire.

La juge Carole Hallée a rendu un verdict clair : rien dans la preuve qui a été présentée en cour ne montre que les conjoints de fait au Québec sont victimes de discrimination. La loi québécoise, en permettant depuis 30 ans de « préserver la possibilité d’opter pour une union dite libre, au nom de l’autonomie et de la volonté des personnes, relève plutôt du respect de la dignité et de la liberté humaine essentielle ». L’arène politique serait un forum plus approprié pour un tel débat, a également ajouté la magistrate.

L’avocate de Lola, Me Anne-France Goldwater, portera la cause en appel et ira jusqu’en Cour suprême, s’il le faut.

RESSOURCES
Pour télécharger un modèle de contrat de vie commune :
Réseau juridique du Québec (39,45 $ – version simplifiée et récente)
• Les Publications du Québec (3,95 $) – Sous la rubrique « Catalogue », cliquez sur « Recherche par mot clés ». Entrez « Contrat de vie commune », puis « Lancer la recherche ».

Les Éditions Protégez-Vous ont également publié en 2008, aux Publications du Québec, un livre de 72 pages que l’on peut commander en ligne (6,95 $). Titre : La vie à deux, Droit, contrats et obligations.

Pour avoir l’heure juste sur l’union libre :
Justice Québec : L’union de fait
Réseau juridique et de Jurismedia : L’union de fait, votre couple et la loi
Éducaloi, le carrefour d’accès au droit : L’union de fait
Commission des services juridiques : Votre union de fait, un choix réfléchi ?
Ministère de la justice : Union de fait au Québec
Le blog du mariage et des futurs mariés du Québec

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