Chroniques

Mères de la Nation?

Les Filles du Roy ont 350 ans cet été.

Photo: Archives BAnQ

Photo: Archives BAnQ (2663301)

Sept hommes pour une femme. Ça fait peut-être des enfants forts, mais ça n’en fait pas beaucoup. Surtout quand on rêve de peupler un continent. C’est ce que s’est dit Louis XIV vers 1660 au sujet de sa Nouvelle-France, aux prises avec ce léger problème.

Sa solution : recruter une petite armée de ventres féminins. De jeunes Françaises en bonne santé mais qui, orphelines ou trop pauvres, n’avaient aucun avenir devant elles. Il leur offrait une dot, parfois, un trousseau et un billet de bateau pour le Nouveau Monde. Là, elles pourraient choisir leur mari parmi des centaines d’hommes propriétaires de leur bien. Une offre tentante pour elles, nées dans un pays où la noblesse et la bourgeoisie possédaient 80 % des terres.

En 11 ans, 770 Filles du Roy – c’est le nom qu’on leur a donné – se sont embarquées, plus ou moins volontairement, dans cette aventure. Les premières ont accosté à Québec le 7 août 1663, après 111 jours d’une traversée si difficile qu’une soixantaine de passagers n’y avaient pas survécu.

On a dit beaucoup de choses sur les Filles du Roy. Qu’elles étaient des prostituées. Qu’elles étaient venues sous la contrainte et devaient épouser le mari qu’on leur désignait. « C’est faux, dit Irène Belleau, fondatrice de la Société d’histoire des Filles du Roy. Elles pouvaient choisir leur mari, certaines ont même changé d’idée une, deux ou même trois fois… Et quelques-unes ne se sont jamais mariées. »

Sur les 770 arrivantes, 25 n’ont pas aimé et sont reparties. Les autres se sont installées à Québec, à Trois-Rivières ou à Montréal. La grande majorité d’entre elles se sont mariées, en général moins de six mois après avoir débarqué, et ont eu une flopée d’enfants. Moins de 50 ans après leur arrivée, le déséquilibre des sexes qui plombait le développement de la colonie était réglé en Nouvelle-France. Louis XIV avait gagné son pari. Si vous vous appelez Gagnon, Tremblay, Vincelette ou Grandmaison, bref si vous êtes québécoise « de souche » comme on dit, vous avez 85 % de chances d’avoir une Fille du Roy perchée quelque part dans votre arbre généalogique, dit Marcel Fournier, historien et généalogiste qui s’intéresse à la question depuis des années.

Elles ont ramé, rappelle Sylvie Dépatie, historienne à l’UQAM. Surtout celles qui arrivaient à Montréal, où la majorité des terrains n’étaient même pas défrichés et où elles habitaient toute l’année dans des cabanes sur terre battue. Avec leur mari, elles ont dû travailler 15 ou 20 ans avant que la ferme puisse faire vivre la famile. « C’était un travail d’équipe, dit-elle. Les hommes aux champs. Les femmes à la maison, au potager, au poulailler, à l’étable. Elles ont beaucoup contribué à l’essor économique de la Nouvelle-France. »

Cet été, plein d’activités sont prévues pour célébrer le 350e anniversaire de l’arrivée des premières « Mères de la Nation ». C’est le titre que leur avaient décerné des historiens aux 19e et 20e siècles. C’est comme ça que les appellent encore les organisateurs des festivités et de nombreux médias.

Mères de la Nation ? Le terme me chiffonne. Après tout, nous avons tous des aïeules qui ont vécu quelque chose d’approchant. À des époques et dans des conditions différentes, selon qu’on soit d’origine irlandaise, maghrébine, ukrainienne, juive, malienne, vietnamienne ou guatémaltèque. Mais tout le monde vient d’ailleurs. Même les Premières Nations. Et traverser le détroit de Béring il y a 20 000 ou 30 000 ans n’a pas dû être une partie de plaisir.

Je veux bien commémorer l’arrivée des Filles du Roy. Mais Mères de la Nation ? Une petite gêne, peut-être ?

 

 

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