Société

Deux femmes et 1 couffin

Comme des centaines d’enfants au Québec, le petit Mérik a deux mamans. Bienvenue dans sa famille.

Quand Mérik est sorti du ventre de Mélanie, c’est Katie, son autre maman, qui lui a donné le sein. Depuis, les mères se partagent l’allaitement. La maman biologique, Mélanie, l’allaite durant la journée. Katie, elle, le nourrit matin et soir, grâce à un médicament qui provoque des montées de lait. Katie Duhamel, 36 ans, Mélanie Richer, 34 ans, et Mérik, 6 mois, forment une famille homoparentale… et recomposée. Car il y a aussi Manu, 15 ans, le premier fils de Katie, et Éléa, 17 ans, qui vit aujourd’hui chez son père.

Les deux femmes se sont rencontrées à Saint-Hyacinthe, au moment où elles étaient animatrices pour le groupe Jeunes adultes gais et lesbiennes. Dès le début, un grand désir les animait, celui d’avoir leur propre enfant. En 2006, un cadeau inoubliable attendait Mélanie sous le sapin : un rendez-vous dans une clinique de fertilité. A commencé alors le parcours des combattantes. Comme tous les candidats au traitement de fertilité, le couple a passé des tests psychologiques et médicaux. Après quoi, la clinique leur a remis une liste de sites Web pour qu’elles puissent consulter les banques de sperme et ainsi choisir leur donneur. Selon quels critères ? « On voulait que le bébé ressemble aussi à Katie », dit Mélanie. Comme Katie ne participait pas biologiquement à la conception, il était important qu’elle et le donneur présentent des caractéristiques physiques communes. Dans la mesure du possible, il devait accepter de rencontrer l’enfant si celui-ci, dans le futur, demandait à connaître son géniteur. Le coût d’un échantillon : entre 500 $ et 700 $. Elles en ont acheté quatre.

Quand tout a été prêt pour l’insémination, la petite famille a déménagé à Mont-Joli, dans le Bas-Saint-Laurent, où Katie venait de décrocher un emploi d’ambu­lancière et de pompière. L’Hôpital de Rimouski a donc pris le relais de la clinique de fertilité. Mélanie est devenue enceinte au second essai. « Mérik ne pouvait pas être plus désiré », dit cette travailleuse de rue et massothérapeute.


 

Katie tenait mordicus à allaiter. Pourquoi ? Parce que l’allaitement de ses deux premiers bébés s’était mal déroulé, qu’elle voulait réessayer et y parvenir. Avant tout, la maman souhaitait donner un peu d’elle-même au petit que sa conjointe avait porté. Leur médecin de famille, la docteure Geneviève Poulin, d’abord surprise, a tout de suite été d’accord : « Pourquoi pas ? C’est un moyen de créer un lien privilégié avec le bébé qui n’a pas ses gènes. » Elle a prescrit à Katie de la dompéridone, médicament qui aide à diminuer les reflux gastriques. Ce produit a comme effet se­condaire de stimuler la prolactine, une neurohormone qui déclenche la production de lait.

Un mois avant la naissance, Katie a dû tirer son lait tous les jours. « Je n’ai pas lâché, même si ça faisait très mal. C’est grâce à mon travail de préparation que j’ai pu l’allaiter quelques minutes après sa naissance », explique-t-elle. La petite famille coule maintenant des jours tranquilles à Mont-Joli. La vie en région n’est pas plus difficile qu’ailleurs. Excepté ce jour où elles se baladaient main dans la main en bordure de la route et que les passagers d’une voiture les ont huées. Elles évitent les câlins en public, sans pour autant se cacher. Positives et confiantes, les jeunes mariées, unies depuis plus d’un an, ont réalisé que leur attitude désamorçait les réactions négatives des autres.

Même Manu, le grand adolescent de Katie, a fait son coming out auprès de ses camarades. « Je suis lesbien… J’aime les filles ! » a-t-il dit. Manu n’était pas né quand ses parents se sont séparés. Il a donc grandi avec « maman 1 » et « maman 2 ». (Son père habite en Ontario et il le voit rarement.)

Si vous voulez voir les deux mamans réagir, posez-leur LA question. « Qui est le père ? » « Le donneur de sperme que nous avons choisi est le géniteur. Mais le père, c’est moi ! » répond Katie, du tac au tac. L’homoparentalité soulève bien des interrogations. Danielle Julien, professeure en psychologie du développement à l’UQAM, a trouvé des réponses. Les parents de même sexe sont-ils aussi bons que ceux qui sont hétéros ? Oui, les études concluent que les mères lesbiennes ont les mêmes attitudes face à l’éducation des enfants que les autres. « L’homosexualité n’est pas un désordre psychologique », dit la chercheuse.

Quant aux enfants, ils n’ont pas tendance à confondre les genres et sont tout à fait capables d’identifier leur sexe. Enfin, leurs intérêts sexuels – envers le sexe opposé ou le même sexe – équivalent à ceux des enfants élevés par des parents hétéros. Bref, c’est du pareil au même. La différence, c’est que, tôt ou tard, ces enfants devront gérer l’homosexualité des parents, selon la psychiatre Karine Igartua. C’est ce que fait Manu. « Face aux insultes, je ne baisse jamais les yeux », affirme-t-il. Il a dû maintenir une ligne ferme dans les premiers temps, mais aujourd’hui, à part quelques flèches à l’occasion, les autres ne l’agacent pas avec ses deux mamans.

Est-ce que ce sera aussi facile pour Mérik, le poupon du couple ? Peut-être pas. « Pourrons-nous voyager ? » se demande parfois Mélanie. Comment réagiront les autorités d’autres pays en voyant le nom de deux femmes sur le passeport du petit ? Après tout, si l’homosexualité est reconnue dans 20 pays, elle reste illégale dans plus de 80 États ! « Nous avons de la chance. Le Québec est en avance sur le reste du monde… » conclut Katie.

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