Chroniqueuse du mois

Check tes privilèges

«Pour bâtir un monde plus juste, il faut commencer par admettre qu’il est rempli d’inégalités. On doit cesser de ne penser qu’à soi-même et à l’impact de l’émancipation des autres sur son propre confort. Parce que, s’il est difficile de se faire mettre ses privilèges dans la face, ne pas en jouir du tout est pire.»

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J’ai eu plusieurs conversations sur le thin privilege au fil du temps. Elles portaient, pour la plupart, sur la différence entre complexes et oppression, comme quoi les gens qui sont gros sont objectivement désavantagés dans la société par rapport à ceux qui sont minces, même si ces derniers reçoivent aussi des commentaires négatifs sur leur apparence – à noter que l’obsession de la beauté découle de la haine des femmes, pas de la haine des minces, merci. Presque sans exception, ces discussions étaient dominées par la personne filiforme qui se justifiait à grands coups de «oui mais». Je devais prendre mille détours et m’armer de patience pour arriver à être écoutée sincèrement. J’utilise cet exemple-là, mais le mécanisme de ces échanges est toujours le même; quand on essaie de parler des façons dont on est désavantagé par le système à quelqu’un qui ne l’est pas, on se heurte souvent à un mur. Vous aurez d’ailleurs peut-être remarqué, selon l’endroit où vous vous situez dans la pyramide des privilèges, que les moins opprimés sont bien souvent les plus fragiles. (Salut les masculinistes et quiconque a déjà osé parler de «racisme inversé»!)

Être confronté à son privilège, quel qu’il soit, c’est inconfortable. Et pour chasser l’inconfort, on fait tous la même chose: on se met sur la défensive, on ramène le sujet à soi en tentant d’utiliser ses propres expériences pour invalider l’oppression subie par un groupe de personnes, on minimise les problèmes que leur cause celle-ci, on accuse son interlocuteur de n’avoir pas exposé son opinion de façon suffisamment polie, on le culpabilise, on se victimise, on se justifie… Toutes les tactiques sont bonnes pour éviter d’entendre la vérité et de devoir gérer ses répercussions. Au lieu d’écouter, on enterre l’autre sous une montagne de «moi, moi, moi» jusqu’à ce qu’il s’épuise. On fait de son propre malaise sa responsabilité en monologuant pour se rassurer… et on n’apprend strictement rien.

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Aucun d’entre nous n’aime se faire prendre en défaut. Tout le monde est convaincu d’être une bonne personne, et refuse de croire que les bonnes personnes puissent faire preuve de racisme, de sexisme ou de transphobie, par exemple. Pourtant, par défaut, presque tout le monde est raciste, sexiste, grossophobe, transphobe, et j’en passe. On est le produit du monde dans lequel on vit – un monde où les êtres humains sont loin d’être traités de façon équitable. Consciemment ou non, on a tous des idées préconçues sur ceux qui sont différents de soi. C’est un fait. La seule façon de changer les choses est de reconnaître le problème, d’avoir des discussions difficiles, d’apprendre à gérer son inconfort, de se remettre en question souvent et, surtout, de laisser à ceux et celles qui ne jouissent pas des mêmes privilèges que nous la place qui leur revient de droit. Une place que nous avons le luxe de tenir pour acquise quand le système joue en notre faveur.

Parce que savez-vous ce qui est encore mieux qu’être un individu de qualité? Être le meilleur individu possible et s’améliorer constamment. Mais pour ça, il faut apprendre à écouter. Et pour écouter, il faut se taire.

Règle générale, se sentir visé et inconfortable en discutant avec une personne moins privilégiée que soi ne signifie pas que celle-ci a tort, mais plutôt qu’on a quelque chose à apprendre. Le temps et l’énergie qu’elle nous consacre en nous expliquant en quoi son existence comporte des défis qui nous échappent ne nous sont pas dus. L’égalité lui revient de droit et elle ne devrait pas avoir à nous convaincre de la lui concéder. Ainsi, nous devrions non seulement nous taire, mais également être reconnaissant que quelqu’un prenne la peine de nous éduquer et de nous faire avancer. Pour bâtir un monde plus juste, il faut commencer par admettre qu’il est rempli d’inégalités. On doit cesser de ne penser qu’à soi-même et à l’impact de l’émancipation des autres sur son propre confort. Parce que, s’il est difficile de se faire mettre ses privilèges dans la face, ne pas en jouir du tout est pire.

En conclusion? Être privilégié n’est pas un travers, mais refuser de le reconnaître en est un.

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Gabrielle Lisa Collard

Gabrielle Lisa Collard gagne sa vie en rédigeant et en traduisant. Elle est la voix derrière Dix Octobre, un blogue taille plus (entre autres), où elle promet sans cesse d’écrire plus souvent. Ces dernières années, elle signait des textes dans Sous la ceinture: unis pour vaincre la culture du viol (un collectif sous la direction de Nancy B.-Pilon, publié chez Québec Amérique) et Ton Petit Look: Guide pour une vie adulte (genre) épanouie (de Josiane Stratis et Carolane Stratis). Elle est un peu grande gueule, mais vraiment gentille, dans le fond. Promis.

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