À bien y penser

Conseil du statut de la femme: plus qu’un nom

La présidente du Conseil du statut de la femme (CSF) a bien peu pris la parole depuis sa nomination en février dernier, et une seule entrevue, il y a quelques jours, aura suffi à démontrer qu’elle doit encore maîtriser l’art du message à livrer. Mais si au fond le message était bel et bien que le CSF n’est plus ce qu’il était?

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Depuis la création du Conseil du statut de la femme en 1973, ses présidentes ont toujours été des références quand les enjeux d’égalité s’emballent dans l’actualité, ou quand il faut se livrer à une réflexion de fond sur la situation des femmes au Québec.

Soutenues par une équipe de recherchistes solide, les huit présidentes qui se sont succédées (notamment Claire Bonenfant, Marie Lavigne, Diane Lemieux, Christiane Pelchat et Julie Miville-Deschênes) avant le passage court et déjà oublié d’Eva Ottawa l’automne dernier, sont à maintes reprises montées au front dans l’espace public et auprès des différents gouvernements pour que la place des femmes, en droit et dans les faits, soit mieux prise en compte.

On les a toutes beaucoup, beaucoup entendues. Normal, cela fait partie du mandat. De plus, elles ont assumé la fonction en s’appuyant sur une bonne dose de convictions personnelles.

Avec Louise Cordeau, c’est une autre approche. Elle a occupé une foule de postes à responsabilité, mais on ne lui connaissait pas d’intérêt particulier pour la question des femmes. Elle a déjà indiqué vouloir faire les choses à sa manière, ce qui peut se comprendre. Sauf que son approche ne manque pas de surprendre, vu le rôle attendu d’une présidente du CSF.

Par exemple, à la fin juin, la ministre de la Condition féminine Lise Thériault, accompagnée des ministres Kathleen Weil et Rita de Santis, rendait publique la «Stratégie gouvernementale pour l’égalité entre les femmes et les hommes vers 2021». J’en ai fait état dans le cadre de ce blogue.

Madame Cordeau était présente à cette annonce. Comme présidente du CSF, c’était sa première sortie publique – d’ailleurs, les groupes communautaires et syndicaux qui se préoccupent de condition féminine se demandaient où elle se cachait depuis son entrée en fonction. Enfin, nous aurions droit à une première prise de position!

Mais en cette occasion qui touchait pile poil au cœur de son mandat, la nouvelle présidente a finalement peu parlé. Elle a affirmé accueillir avec satisfaction la Stratégie en précisant que «c’est le terrain qui fera la différence», sans plus.

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Il y avait pourtant matière à réagir plus abondamment et plus vivement, car si plusieurs points de la Stratégie ne manquent pas d’intérêt, il n’y a guère d’argent frais et d’obligations imposées au programme. Surtout, le statut même du CSF en sort écorché. Sa présidente n’avait rien à dire à ce sujet?

Il faut le souligner, et insister: le CSF est un organisme indépendant du gouvernement. À lui de le rappeler à l’ordre et de le houspiller si nécessaire: c’est son rôle.

Or la nouvelle stratégie gouvernementale touche de deux manières à l’indépendance du Conseil.

D’abord, elle crée un «indice québécois de l’égalité» – ce qui est une excellente idée. Mais le gouvernement s’en est gardé la responsabilité en en confiant le mandat à son Secrétariat à la condition féminine. Ç’aurait dû revenir au CSF, qui techniquement jouit de la distance nécessaire pour inclure l’action gouvernementale dans son analyse de l’égalité. Bien des décisions du gouvernement Couillard ont écorché les femmes ces dernières années: croit-on qu’une instance relevant directement d’un ministère va insister sur ce point?

Mais la distance dont pouvait se targuer le CSF est-elle toujours là? À la suite de la présentation de la stratégie pour l’égalité, l’éditorialiste du Devoir Robert Dutrisac a souligné que les liens seront tissés plus serrés que jamais entre la ministre et le CSF.

Depuis 2012, le Secrétariat à la condition féminine siège comme observateur au Conseil du statut de la femme. Dans la Stratégie, on lit qu’il s’agira maintenant d’avoir «une collaboration plus soutenue et fructueuse», par la voie de projets ponctuels, d’échange d’informations et d’une participation formalisée, mais non votante, du Secrétariat au CSF. Ce que la Stratégie annonce comme «une plus grande synergie» entre les deux organismes…, évidemment «dans le respect de leur autonomie». Gageons que la synergie prendra de plus en plus le pas sur l’autonomie.

Tout cela vous semble bien bureaucratique? C’est pourtant en ayant cela en tête qu’il faut comprendre l’entrevue donnée il y a quelques jours par Louise Cordeau au Journal de Québec, et qui a suscité son lot de réactions.

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Quand celle-ci évoque la possibilité de modifier le nom, un brin suranné, du Conseil du statut de la femme, notamment parce que les hommes ne s’y sentent pas inclus, on peut dorénavant se demander: qui parle? La présidente? qui serait forte d’une réflexion féministe solide? (Au contraire, cette réflexion semble toujours floue, même sept mois après son entrée en fonction.) Ou la ministre Lise Thériault, qui n’aime guère l’appellation féministe, et tient beaucoup, beaucoup à inclure les hommes – au risque de perdre de vue les femmes – dans son approche de l’égalité?

Ce n’est pas tant le nom d’un organisme ou ses projets précis qui sont en jeu, mais le risque réel qu’un chien de garde important en matière de condition féminine grogne de moins en moins fort. Que la collectivité perde un pôle d’analyse indépendant sur la situation des femmes. Et que la population n’entende plus une voix qui jusqu’ici faisait office d’autorité morale pour lui dire où les Québécoises en sont.

En fait, peu importe sa bonne volonté, la nouvelle présidente est déjà piégée.

À bien y penser - copie


 

josee boileau 300x300

Journaliste depuis plus de 30 ans, Josée Boileau a travaillé dans les plus importants médias du Québec, dont au quotidien Le Devoir, où elle a été éditorialiste et rédactrice en chef. Aujourd’hui, elle chronique, commente, anime, et signe des livres!

 

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