À bien y penser

J’aime District 31 aussi parce que…

District 31 a pris fin la semaine dernière et, pas plus originale que 1,2 million d’autres fans finis, me voilà en manque. Les personnages, les intrigues policières, la complicité au travail, l’histoire d’amour: j’ai embarqué dans tout. Mais il y a plus.

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Je ne le fais pas tout le temps, mais il suffit que je tombe sur un film où l’héroïne me semble un peu isolée, ou trop caricaturée, pour que le test de Bechdel me revienne en tête.

Que dit ce test, lancé en 1985 par une bédéiste féministe américaine, Alison Bechdel? Il sert à déterminer le taux de présence féminine à l’écran sur la base de trois constats:

  • Il y a au moins deux femmes et elles ont un nom;
  • Ces femmes discutent ensemble (et plus ça dure, mieux c’est coté!);
  • Elles parlent d’autre chose que d’un homme.

 

Au cinéma, les films échouent souvent à ce test tout simple. À la télévision, je ne m’y étais jamais arrêtée tant l’impression est grande que les personnages de femmes fortes pullulent et que c’est suffisant. Mais un soir, alors que j’écoutais District 31 en décalage sur ma tablette électronique, le test m’est revenu en tête. Nadine Legrand et Isabelle Roy (vous savez bien sûr de qui il s’agit!) étaient en train de bavarder. Longuement. Et strictement de job.

Il y avait là une démonstration éloquente de l’application du test dans une série qui se déroule pourtant dans un poste de police, milieu toujours macho dans la vraie vie; une série par ailleurs pimentée d’histoires d’amour et d’aventures au travail, où les femmes pourraient se contenter de jaser des beaux gars qui les entourent ou qu’elles fréquentent, expédiant en deux phrases les échanges touchant le boulot.

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Or, non seulement le test de Bechdel s’appliquait, mais en plus on croyait totalement à ces personnages de lieutenant-détective et de sergent-détective au féminin qui discutaient de stratégies policières. On avait devant nous, de manière pas du tout forcée, deux femmes qui se parlaient comme des milliers d’entre elles le font tous les jours, mais dont, à bien y penser, on voit très peu le reflet sur les écrans, même dans les séries où les femmes fortes abondent.

J’ai encore plus apprécié quand, plus tard dans la série, Luc Dionne a mis en scène une tension croissante entre Nadine, patronne, et Isabelle, employée. Un accrochage au travail, mais pas du tout traité sur le mode crêpage de chignons, ou patronne mégère, ou employée jalouse, bref pas réduit à une histoire de «bonnes femmes». On était dans le conflit de travail ordinaire, sans étiquette de genre. Moment rare dans la fiction.

Ces scènes s’ajoutaient à des échanges «conscientisés» qui ont émaillé la série depuis ses débuts en septembre dernier jusqu’à la finale – à propos des agressions sexuelles, par exemple. Ou encore, quand Laurent, lieutenant-détective des premières semaines, s’était agacé du caractère «frondeur» de Nadine. Réponse du commandant Chiasson: «Si elle s’appelait Philippe, tu dirais : “oh, y’a du caractère!”». Touché!

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Il y a eu encore cette autre scène, féministement plus surprenante: Nadine raconte à son amoureux, Kevin, l’intense journée de travail qu’elle vient de passer et celui-ci réagit avec une subtile condescendance. Nadine, agacée, finira par lui en faire le reproche. Dans mon salon, je n’en revenais pas: quel auteur sensible que ce Luc Dionne, qui mettait sur la table l’un des non-dits de la communication entre les hommes et les femmes, dont on ne parle jamais et qui, pourtant, oui, affecte celles-ci. Bravo!

District 31 a donc pris le haut de ma liste de petits bonheurs féministes.

Alors moi, pour septembre, j’attends non seulement de Luc Dionne le retour de personnages aimés et d’intrigues enlevantes, mais je souhaite aussi que le sort réservé à Nadine Legrand ne signe pas la fin du test réussi. Avec Isabelle, Sonia, Da-Xia, Mélissa, Martine et, croisons les doigts, toute autre policière à venir, il y amplement de quoi faire!

 

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Journaliste depuis plus de 30 ans, Josée Boileau a travaillé dans les plus importants médias du Québec, dont au quotidien Le Devoir, où elle a été éditorialiste et rédactrice en chef. Aujourd’hui, elle chronique, commente, anime et signe des livres.

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