La belle vie d'Anne-Marie

La belle vie d’Anne-Marie : Leonard et les bagels

Anne-Marie Withenshaw a fait un pèlerinage au Bagel Etc. et à la maison de Leonard Cohen, sur la rue Vallières, à Montréal. Ses souvenirs se mélangent à la musique du chanteur disparu la semaine dernière.

Anne-Marie Withenshaw

Jean, Mia et moi, on dîne ensemble une fois par mois. On se connaît depuis vingt ans. À l’époque, on travaillait tous chez le même disquaire; sans faire exprès, on parle presque seulement que de musique lors de ces lunchs mensuels. «On se rencontre chez Bagel Etc, en l’honneur de Leonard 🙁 ?», leur ai-je texté en amont de notre rendez-vous. Même pas besoin d’attendre leur retour, je connaissais la réponse.

belle.vie.anne.marie.withenshaw.bagel.galerie.À une cinquantaine de pas de sa petite maison de la rue Vallières, que Cohen a toujours gardée malgré ses retours de moins en moins fréquents à Montréal, se trouve cette ancienne dinette devenue institution, où le poète aimait prendre son allongé, assis au bar. Tout le monde le savait. Aller chez Bagel Etc., c’était risquer de croiser la légende, tout en mangeant le meilleur deux oeufs-bacon de la Main. Je ne l’ai jamais vu. Un ami à moi, si. Mais Leonard est quand même partout au resto, discrètement. Derrière la caisse, une édition vinyle de son avant-dernier album, Popular Problems, côtoie une photo d’Elvis et devant, à côté d’un autographe de Daniel Bélanger, son disque de 2001 Ten New Songs est dédicacé: «To the Bagel with Love, Leonard».

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J’ai toujours été la genre de fan de musique qui aime les pèlerinages, les anecdotes reliées aux oeuvres, les petits artéfacts. Les deux autres membres du lunch trio aussi: on a déjà pris une photo sur Cypress Avenue à Los Angeles, pour immortaliser notre amour de Cypress Hill, on se donne des vieux mixtapes  – sur cassette – en cadeau. De la même façon, j’ai commencé à fréquenter le Bagel Etc. il y a une vingtaine d’années, parce qu’on disait que c’était que le «spot» de Cohen. Pour l’universitaire mélomane franglaise que j’étais, un endroit où Leonard Cohen mangeait des bagels et sirotait des espressos, c’était plus montréalais que de manger un smoked meat de chez Schwartz sous le mat du stade olympique, habillée en Youppie. J’y ai donc brunché presque chaque semaine pendant des années, autant pour la mythologie musicale que pour ses bagels, ses blintzes (petites crêpes farcies) et son déjeuner «Europe de l’Est» (oeufs, choucroute et saucisse Knackwurst) servi jusqu’à 16h.

Après notre visite douce-amère de cette semaine, on a fait un détour obligatoire vers la résidence de Cohen, où une semaine après l’annonce de sa mort, une cinquantaine de personnes se recueillaient devant le parc du Portugal, tout près de Saint-Laurent. Un océan de chandelles, des fedora, une tasse de thé avec une petite orange, et des fleurs sont déposés devant la porte depuis une semaine. Mais aussi, une immense croix illuminée, des billes bouddhistes, ainsi qu’une note où on peut lire «Shalom, Leonard», pour le pluraliste rassembleur qu’il était. Sa musique flottait dans l’air grâce à un petit radio qu’on avait mis devant la porte, et la foule l’écoutait en silence. Étrangement, je ne m’y étais jamais arrêtée auparavant. Dorénavant, après chaque visite au Bagel Etc., j’irai saluer en silence notre cher Leonard.

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