Féminin universel

Leonard Cohen: une rencontre qui fait du bien

À l’ère Trump, l’œuvre de Leonard Cohen est une lanterne qui nous éclaire dans la nuit.

Photo: Old Ideas, LLC

J’écris ces mots en écoutant You Want It Darker, l’ultime album de Leonard Cohen. Au moment où vous les lirez, je serai probablement au Musée d’art contemporain de Montréal, en train de visiter pour une dernière fois l’exposition qui lui est consacrée.

J’ai mis du temps. Je ne sais pas trop pourquoi. Je suppose que je voulais laisser passer la cohue. J’ai fini par m’y rendre un vendredi après-midi de février bien gris et humide. J’avais le cœur en charpie comme seuls les ados savent nous le mettre, sans jamais en avoir conscience, trop pris par la boule d’angoisse qui leur tord le ventre. L’empathie vient plus tard, dit-on. J’ai fait l’expo à l’envers, question d’arrimer la visite à mon état émotif.

J’ai trouvé un premier apaisement dans une petite pièce, assise seule devant un grand écran blanc, une installation de l’artiste Olivia Boudreau intitulée L’Étuve.

«Il n’y a rien, rien qu’un écran blanc?» me suis-je demandé intérieurement. Ne pas se fier aux apparences, jamais. Le blanc de l’écran était de la fumée, de la vapeur, en fait. La buée s’estompant, un sauna est apparu devant moi abritant cinq femmes, immobiles et imperturbables. C’est tout. Aussitôt apparues, aussitôt disparues au son d’un psssich, et l’écran était à nouveau complètement blanc. Au bout d’un moment, quand l’image du sauna est revenue, il était vide, offert pour moi toute seule. Je respirais calmement, du ventre, apaisée.

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J’étais enfin prête pour aller à la rencontre du grand Leonard en personne, grâce aux extraits vidéo d’archives. Il était là, à l’écran, vivant, plein d’humilité, de sagesse, d’humour, de bienveillance, de furieuse intelligence. Comment se fait-il qu’il y ait si peu d’humains d’une telle qualité que l’on doive les appeler «êtres d’exception»? Ceux-là, il est difficile d’accepter de les voir partir une fois leur temps écoulé. Je sais, il ne faut pas chercher un sens à la mort, mais l’absurdité n’est jamais aussi patente que devant une gigantesque perte.

Dans la grande salle, un long montage, qui m’a paru le clou de l’expo, célébrait la vie de Cohen. C’est là où j’ai ressenti un peu d’espoir. On était si nombreux, debout, assis ou couchés sur la moquette, émus, parfois silencieux, parfois hilares, à communier avec l’œuvre du grand Leonard.

Sur les écrans, morcelés en différentes époques, il y avait ces foules en liesse à chaque montée sur scène de l’artiste et leurs ovations, de plus en plus tonitruantes, jusqu’à la toute fin. Tous ces gens ont aimé, aiment encore Cohen. On ne peut pas apprécier l’œuvre et être un parfait idiot. Pas possible. Tous ces gens, de tous les âges, à l’écran, dans la salle, ils étaient là. Il fallait bien qu’il reste un peu d’espoir, ne serait-ce qu’une modeste lueur.

«Mais pourquoi, bon sang, cette exposition doit-elle finir? ai-je pensé. Sommes-nous des fous égarés, nous qui avons besoin de venir nous recueillir ici?»

Je sais, il ne sert à rien de retenir une poignée de sable, elle vous file entre les doigts. Tout bouge, tout change et finit par disparaître. Leonard Cohen est disparu la semaine même où un pantin disgracieux à la chevelure d’épis de maïs devenait le roi de la montagne.

La nuit était tombée lorsque je suis sortie du musée. J’ai marché jusqu’à la station de métro la plus près sous une pluie torrentielle.

Au moment où vous lisez ces lignes, je suis probablement de retour au Musée, en train de dire adieu au grand Leonard et à son exposition.

«A million candles burning for the love that never came
You want it darker
We kill the flame»

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Marilyse Hamelin est journaliste indépendante et conférencière. On peut notamment la lire dans Le Devoir, la Gazette des femmes et le magazine spécialisé Planète F. Elle blogue également pour la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) et est l’auteure de l’essai Maternité, la face cachée du sexisme, publié chez Leméac.

Les opinions émises dans cet article n’engagent que l’auteure et ne reflètent pas nécessairement celles de Châtelaine.

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