À bien y penser

Les hommes aussi ont besoin d’aide

Certains l’ont qualifiée d’«avancée historique», d’«annonce extraordinaire», de geste «absolument nécessaire» alors qu’elle a été présentée avec discrétion, à la fin août. À l’image du sujet dont elle traite? L’adoption de la première politique québécoise de santé et de bien-être des hommes mérite pourtant d’être soulignée.

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Les disparités hommes-femmes ne manquent pas et les chiffres pour les illustrer encore moins. On sait à quel point ils sont au désavantage des femmes en matière économique, de représentation dans l’espace public, de place dans les postes de pouvoir, de répartition des tâches, de violence conjugale…

Du côté des hommes, le portrait noir existe aussi. Mais il a beaucoup à voir avec un mal-être qui sort brutalement. À eux les chiffres négatifs en matière de suicide, de toxicomanie, d’itinérance, de criminalité, d’hyperactivité… À quoi s’ajoute cette donnée qui ne varie pas: leur grande, leur immense difficulté à demander de l’aide.

Car, comme pour les femmes, on note quand même des améliorations sur certains fronts. Oui, les hommes se suicident plus que les femmes, mais les jeunes hommes le font beaucoup moins qu’il y a 15 ans. Oui, les tâches domestiques reposent d’abord sur les épaules des femmes (sans oublier le hamster qui s’agite constamment dans leur tête!), mais les hommes d’aujourd’hui en font plus, particulièrement auprès des enfants. Oui, les hommes sont bien plus nombreux à se blesser au travail que les femmes, mais le taux de lésions professionnelles va diminuant.

Par contre, qu’ils aient 15 ou 65 ans, aujourd’hui comme par le passé, les hommes gardent leurs ennuis pour eux. Aucune amélioration de ce côté. Demander de l’aide signifie perdre le contrôle. Or, une enquête récemment menée par le sociologue Jacques Roy, de l’Université du Québec à Rimouski, révèle que 92 % des hommes sondés détestent se sentir contrôlés. La moitié d’entre eux se disent même agacés quand quelqu’un s’offre pour les aider s’ils ont l’air tristes ou préoccupés!

D’une génération à l’autre, le réflexe reste donc de s’arranger tout seul. Une armure pour se protéger qui devient carapace où l’on s’enferme en souffrant.

Senior man embraces mature son in sunny kitchen with a proud smile.

Photo: iStock

C’est en ayant ce fait troublant en tête qu’il faut applaudir, eh oui!, le ministre de la Santé et des Services sociaux, Gaétan Barrette.

Depuis 2009, des gestes ont été faits par Québec pour soutenir les organismes d’aide aux hommes. Le budget a peu à peu grimpé pour atteindre 10 millions de dollars par année. Le 22 août dernier, le ministre Barrette  a annoncé une étape de plus, structurante.

D’abord, son ministère bonifie son soutien financier qui passera, au cours des 5 prochaines années, à 18 millions de dollars par année. Québec ajoute ainsi 31 millions sur 5 ans au budget existant, et 90 % de l’augmentation ira directement aux organismes communautaires. La marque de confiance envers le travail de terrain est nette.

L’autre volet, c’est que Québec a lancé un Plan d’action ministériel – Santé et bien-être des hommes, qui couvre la période 2017-2022. Ce premier plan «de l’histoire du Québec», comme a dit le ministre, se déploie en trois orientations très simples:

  • Rejoindre les hommes en sensibilisant le personnel de la santé à mieux dépister les problèmes cachés;
  • Améliorer les services déjà offerts par les groupes d’aide;
  • Mieux comprendre les dynamiques à l’œuvre, notamment en soutenant des travaux de recherche.

Tout cela m’apparaît prometteur et je trouve dommage qu’on en ait si peu parlé dans les médias. Je n’ai pas vu non plus de réactions à ce sujet, si ce n’est du côté des intervenants qui donnent déjà du soutien aux hommes, très soulagés que leur travail soit ainsi reconnu.

Il faut croire que s’occuper des hommes reste un tabou, pas seulement pour eux, mais aussi sur la place publique – comme si le rôle de victimes sociales ne pouvait être tenu que par les femmes. L’égalité entre les hommes et les femmes étant largement inachevée, il s’ensuit un malaise: fournir de l’aide aux hommes voudrait-il dire en retirer aux femmes? Est-ce que ça encourage les masculinistes qui déversent leur colère sur le dos des femmes?

Pourtant, et ce sont les intervenants eux-mêmes qui le disent, c’est souvent à cause d’une femme, généralement leur conjointe, que les hommes se décident enfin à consulter.

En début d’année, le journaliste du Soleil Normand Provencher, qui suit de près ce dossier, a publié une intéressante série d’articles intitulée «La détresse silencieuse des hommes». Son premier texte s’ouvre sur une conférence qui avait pour thème «Pourquoi les hommes ne veulent pas être aidés?». Dans la salle, plein de femmes!

C’est que, dans l’intimité, on est loin de la théorie: la femme sait qu’aider «son» homme, c’est aussi l’aider elle, et ses enfants. Alors, elle le pousse, se renseigne pour lui, ou bien le met au pied du mur: s’il ne bouge pas, c’est elle qui partira.

C’est dans ces moments de crise que l’homme se décide à faire quelque chose. Mais il faut qu’il y ait quelqu’un à la porte le jour où il y frappera. Parce qu’il n’y retournera pas deux fois!

De même, si le premier contact se passe mal, ça risque très fort de s’arrêter là. «Avec un homme, si tu commences à faire de la psychanalyse, ça n’ira nulle part», résumait au Soleil Gilles Rondeau, professeur à l’Université de Montréal (et auteur, en 2004, d’un rapport remarqué sur la santé masculine qui avait été commandé par le ministre de la Santé de l’époque, un certain… Philippe Couillard).

D’où l’intérêt que le premier plan d’action ministériel insiste tant sur l’approche à mener auprès des hommes, pour voir au-delà de leur gêne et de leurs résistances.

Avec sa manière carrée habituelle, le ministre Barrette disait, à la conférence de presse du mois d’août: «Les hommes ont la caractéristique de ne pas aller chercher spontanément des ressources. C’est un problème. Les hommes, que voulez-vous, sont comme ça.»

Oui, ils sont comme ça. Mais ce n’est pas une fatalité. Et l’expertise québécoise qui se développe à cet égard depuis quelques années, et qui est maintenant formellement reconnue par Québec, est à l’avantage de toute la société.

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Journaliste depuis plus de 30 ans, Josée Boileau a travaillé dans les plus importants médias du Québec, dont au quotidien Le Devoir où elle a été éditorialiste et rédactrice en chef. Aujourd’hui, elle chronique, commente, anime et signe des livres.

 

 

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