L'édito

Les hormones prennent-elles le contrôle de nos vies?

Il n’existe aucun consensus scientifique sur la définition, les causes, les traitements, ni même l’existence du SPM. L’édito de Johanne Lauzon.

Illustration: MatiasEnElMundo

Ça doit être mon SPM… » Combien de fois ai-je entendu cette phrase ou l’ai-je moi-même prononcée ? Nos « maux de femmes » sont souvent tournés en dérision. Dans l’imaginaire collectif, l’hystérique comme l’agressive côtoient la déprimée, toutes en proie à leurs terrifiantes hormones.

Qui remettrait en cause que ces substances chimiques produites par le corps minent la vie des femmes dès la puberté ? Et pourtant. On a tout faux, selon Robyn Stein Deluca, psychologue américaine qui s’intéresse à la santé des femmes depuis plus d’une dizaine d’années. Elle a publié, il y a peu, The Hormone Myth, un essai qui dénonce les faussetés qui circulent au sujet du syndrome prémenstruel (SPM), du post-partum et de la ménopause. Un bouquin que j’ai lu au moment où les malheureux  événements d’agressions et d’inconduites sexuelles étaient révélés au grand jour par #MoiAussi.

Une phrase me revenait sans cesse en tête : notre corps nous appartient bien peu. Quel est le lien ? Attendez que je vous raconte.

Dès les années 1940, sans fondement scientifique, des médecins ont avancé que les hormones féminines causaient des bouleversements physiques et émotionnels néfastes. (On a déjà traité l’anxiété généralisée de femmes en leur retirant l’utérus !) D’après des experts patentés, des mères présentaient des signes inquiétants dans les jours précédant leurs menstruations : « Incapacité ou manque d’empressement à s’occuper des autres et à effectuer des tâches domestiques, comme la cuisine et le ménage ». Tiens, tiens.

Il n’existe aucun consensus scientifique sur la définition, les causes, les traitements, ni même l’existence du SPM ! Cinquante ans de recherche ont conduit à inventorier pas moins de 150 symptômes. « Avec autant de symptômes, tout le monde peut avoir un SPM ! » s’exclame l’auteure. Il peut toucher de 5… à 97 % de la population féminine, selon les estimations – troublantes par leur imprécision. (Avec plus de rigueur, on parle aujourd’hui du trouble dysphorique prémenstruel, qui affecte de 3 à 8 % des femmes. Pour recevoir ce diagnostic, il faut notamment présenter 5 des 11 symptômes retenus – surtout relatifs à l’humeur – quelques jours avant les règles.)

Depuis au moins 20 ans, les études confirment que les fluctuations hormonales jouent un rôle négligeable dans notre santé mentale. Quand on mesure la fréquence et la gravité de nos sautes d’humeur, par exemple, elles s’avèrent similaires à celles des hommes. Mais alors pourquoi ne sait-on pas cela ? Pourquoi croyons-nous à tort que notre trop-plein émotionnel s’explique par nos hormones et que nous n’y pouvons rien ?

« Le mythe hormonal alimente le stéréotype selon lequel les femmes sont irrationnelles, ce qui les discrédite et les met à l’écart. Il véhicule l’idée dangereuse que les processus biologiques normaux des femmes sont des maladies qu’il faut soigner –
au risque de les exposer à des traitements excessifs, coûteux et parfois nocifs », précise Robyn Stein Deluca.

Les femmes elles-mêmes contribuent à perpétuer ces idées reçues. Le syndrome prémenstruel leur donne une excuse toute faite pour pouvoir péter une coche ! « Pourquoi les femmes sont-elles si effrayées à la pensée de perdre le contrôle de leurs émotions ? demande l’auteure. Si l’idéal masculin a pour finalité de “faire” – être actif et affirmé –, l’idéal féminin, lui, consiste à “ne pas faire” – ne pas être bruyante, grossière, excessive ni égoïste. “Agir comme une dame”, c’est être polie, calme, élégante et, par-dessus tout, c’est prendre soin des autres sans se plaindre. Jusqu’au sacrifice. »

Une série d’études s’est intéressée à la façon dont les gens percevaient l’expression des émotions chez des professionnels. Comment les participants ont-ils évalué les femmes en colère ? Plutôt mal. Ils les ont jugées incompétentes. Selon eux, elles méritaient un salaire et un statut inférieurs aux hommes qui avaient été tout aussi colériques. (Oui, vous avez bien lu.)

Les élans des femmes sont encore considérés comme inappropriés au travail, dans l’intimité et sur la place publique.

À notre corps défendant, nous avons intégré tous ces non-dits. Quitte à subir l’inacceptable. Mais voilà que des mots-clics comme #MoiAussi nous libèrent. Réapproprions-nous nos mots, nos émotions et nos symptômes – il est grand temps : on est en 2018.

À lire: une entrevue avec l’auteure du livre The Hormone Myth


Johanne Lauzon est rédactrice en chef de Châtelaine.

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