Chroniqueuse du mois

Lettre à Hélène David, nouvelle ministre de la Condition féminine

Hélène David devra affronter beaucoup de vent de face au sein de ce gouvernement qui n’accorde pas d’importance aux enjeux de la Condition féminine.

Photo: La Presse canadienne

Photo: La Presse canadienne

Chère madame David,

Vous n’aurez pas beaucoup de temps pour mener à bien vos dossiers d’ici les élections, prévues dans un an à peine. Et vous devrez affronter beaucoup de vent de face au sein de ce gouvernement qui n’accorde pas d’importance aux enjeux de la Condition féminine. Malgré tout, c’est un soulagement de vous voir là après les 20 mois du mandat houleux de Lise Thériault, qui m’en ont paru le triple, et durant lequel a eu lieu la tragicomédie de mars 2016.

Aussi, de prime abord, j’ai envie vous demander: êtes-vous féministe?

C’est une boutade, évidemment. Vos prises de position dans le dossier des agressions sexuelles sur les campus parlent d’elles-mêmes. Votre rapide intervention et les consultations qui l’ont suivie en vue de l’adoption d’un plan d’action destiné à contrer les violences sexuelles au cégep et à l’université prouvent que vous prenez le dossier au sérieux. Mais, que voulez-vous, je suis restée un peu échaudée…

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Cela dit, sans nécessairement vous croire vertueuse par association, je m’encourage en me disant que vous pourrez probablement compter, durant votre mandat, sur une personne de votre famille qui en connaît un rayon sur les enjeux féministes, elle qui a mené deux grandes marches des femmes pendant son mandat historique à la tête de la Fédération des femmes du Québec. Eh oui, je parle de votre grande sœur, Françoise, qui vous voit aujourd’hui occuper un siège qui lui serait allé à merveille.

Elle pourra sûrement vous parler de nos angles morts comme société se disant égalitaire, tels que les inégalités vécues par les femmes au travail et à la maison en raison de la maternité, la pauvreté des aînées, le problème irrésolu de la violence sexuelle et conjugale – que certains médias s’entêtent à qualifier de drames familiaux et passionnels – et de la situation des femmes autochtones, immigrantes, issues des minorités culturelles.

Je voudrais aussi vous parler de démobilisation. Eh oui, paradoxalement, alors qu’on n’a jamais autant discuté de féminisme, qu’il n’a jamais été aussi populaire auprès de beaucoup de jeunes femmes et de jeunes hommes, alors que ses enjeux tendent enfin à être abordés dans les grands médias, les groupes de femmes se trouvent pour leur part affaiblis, faute de financement. D’ailleurs, votre sœur n’aurait jamais pu réaliser ses grandes marches dans le contexte actuel, où le gouvernement a laissé tomber le milieu communautaire.

La démobilisation atteint également votre nouveau ministère et le Conseil du statut de la femme (CSF), et cela n’est assurément pas étranger au règne de votre prédécesseure, qui se disait «égalitariste» plutôt que féministe et qui a fait des nominations à son image. C’est bien dommage, car il se trouve au sein du personnel des têtes fortes et bien faites, capables de nous faire avancer encore plus loin collectivement dans la quête d’une société plus juste. Je pense par exemple à l’excellent boulot du service de la recherche du CSF.

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Ainsi, question de démarrer votre mandat de la bonne manière, ces gens pourraient vous entretenir d’un dossier crucial à remettre sur les rails: l’analyse différenciée selon les sexes (ADS) dans les orientations et décrets gouvernementaux. Le concept est très simple: il s’agit d’évaluer les différents projets en fonction de leurs effets distincts sur les femmes et les hommes.

Fort malheureusement, l’ADS n’a pas été utilisée dans l’élaboration du fameux Plan Nord, un projet qui bat toujours son plein, même si on en parle un peu moins dans les médias. Mes petites abeilles m’indiquent que ça fourmille dans les régions minières de la province, où des hommes continuent d’occuper des emplois très rémunérateurs.

Or, le Plan Nord n’a pas eu les mêmes effets pour les femmes. Dans son mémoire intitulé Les femmes nord-côtières et le développement nordique, le Regroupement des femmes de la Côte-Nord parle de harcèlement, de discrimination à l’embauche et en emploi, de sexisme, d’horaires peu adaptés aux enjeux de conciliation travail-famille, de prostitution et conclut à un projet qui «creuse les inégalités entre les hommes et les femmes».

Aussi, le navettage (fly-in fly-out) d’hommes seuls – de plus en plus présent – coïncide avec une hausse du nombre d’agressions sexuelles dénoncées par des femmes, plus particulièrement des femmes autochtones.

Voilà qui est assez parlant, n’est-ce pas?

C’est exactement pour tenir compte de ce genre d’écueil et pour trouver des solutions en amont que l’ADS a été créée. Comme on peut le lire sur le site de votre ministère, pour «discerner de façon préventive les effets distincts sur les femmes et les hommes que pourra avoir l’adoption d’un projet à l’intention des citoyennes et des citoyens, et ce, sur la base des réalités et des besoins différenciés des femmes et des hommes».

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Oui, c’est écrit tel quel dans un document du Secrétariat à la condition féminine datant de 2006, époque lointaine où le gouvernement du Québec semblait encore se préoccuper de l’égalité des chances pour les femmes, ne serait-ce que pour faire bonne figure. Le fait que ce dossier semble n’avoir aucune importance pour l’actuel premier ministre nous permet de mesurer l’ampleur du recul qu’ont vécu les Québécoises depuis l’élection de 2014.

Je terminerai néanmoins sur une note positive. Justement parce que les affaires de «bonnes femmes» n’intéressent en général pas les messieurs du Conseil exécutif – après tout, on ne parle que de la moitié de la population –, j’ose croire que vous aurez une bonne marge de manœuvre dans le choix de vos orientations.

Bien cordialement,

Marilyse


Photo: Philippe Boisvert

Photo: Philippe Boisvert

Journaliste indépendante, conférencière et auteure, Marilyse Hamelin dirige le blogue féministe La semaine rose. Son premier essai, Maternité, la face cachée du sexisme, vient tout juste de sortir en librairie.

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