Chroniqueuse du mois

#MoiAussi: au-delà des vedettes…

#MoiAussi a accompli ce qu’#AgressionNonDénoncée n’avait pas permis de faire: démontrer l’ampleur du problème du harcèlement sexuel.

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La preuve n’est plus à faire quant à l’utilité de la campagne #MoiAussi (#MeToo) sur les réseaux sociaux. Au moment où j’écris ces lignes, les gestes de plusieurs hommes influents ont été dénoncés. La vague #MoiAussi, c’est une prise de conscience collective assortie de gestes d’éducation populaire, comme un guide pour démystifier les agressions et le harcèlement sexuel au travail, publié par Le Journal de Montréal.

Ainsi, #MoiAussi a accompli ce qu’#AgressionNonDénoncée n’avait pas permis de faire: démontrer l’ampleur du problème du harcèlement sexuel. Si l’affaire Aubut a été une forme de prologue, cette fois, on sent que ça ne passe plus.

Mais au-delà du «déboulonnage de vedettes», bien avant que La Presse ne publie son enquête sur Éric Salvail, j’avais déjà pu mesurer l’utilité de la campagne en raison de la prise de conscience de nombreux hommes «ordinaires». Certains ont publiquement utilisé les mots-clics #ihave #itwasme ou #ididit sur les réseaux sociaux. D’autres sont tour à tour débarqués dans ma boîte de réception privée sur Facebook, au point où j’ai dû dire à chacun qu’il n’était «pas le seul à passer à la confesse».

Qu’ils aient eux-mêmes commis du harcèlement sexuel par le passé ou qu’ils en aient été les témoins silencieux, ces hommes-là ont non seulement compris quelque chose grâce à #MoiAussi, mais ils ont senti le besoin d’exprimer des regrets. Ce n’est pas rien.

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Mieux vaut tard…

Sur une note plus personnelle, j’ai reçu des excuses de la part d’un homme qui était au courant du harcèlement sexuel que j’ai subi en emploi au tournant des années 2010 et qui ne m’en avait jamais parlé.

Évidemment, son message a ravivé chez moi de douloureux souvenirs, enfouis. Je n’ai jamais été aussi dysfonctionnelle et incompétente que durant ces mois passés à endurer les agissements et paroles déplacées de mon ex-patron à mon endroit. À cette époque, je suis allée chez la coututière à quelques reprises pour faire ajouter des boutons aux cols de mes chemisiers et me suis mise à porter des foulards et des pulls amples. La jeune femme naïve que j’étais a cru que cela pourrait la protéger.

(Âmes sensibles, s’abstenir de lire le paragraphe suivant, qui relate ce que j’ai vécu.)

Je me souviens de ma surprise la première fois où, en route vers une réunion, en voiture, mon patron m’interroge sur mes positions préférées au lit. Ces questions reviendront à plusieurs reprises durant les mois suivants. Je me souviens du sentiment de peur qui s’installe chez moi à l’idée de me retrouver seule avec lui au bureau, parce qu’il arrive souvent par derrière, au moment où je m’y attends le moins, pour me susurrer des paroles à l’oreille ou pour renifler l’odeur de ma nuque. Je me souviens de sa manière de m’enlacer par la taille, de mettre sa main sur le creux de mes reins lorsque je suis à l’ordinateur, de sa façon de me regarder dans les yeux et de mimer un cunnilingus avec ses doigts et sa langue, alors que sa conjointe est dans la même pièce, de dos. Je me souviens de sa manière de me faire sentir que je suis son employée et que je lui appartiens. Je me souviens de mes collègues et supérieurs – à qui je me plains de la situation – qui relativisent ce que je vis («Il fait ça pour rire»; «Il est comme ça, que veux-tu»; «Ignore-le»).

J’ai fini par démissionner. Je me suis arrangée, toute seule.

Je n’attendais plus rien, après toutes ces années… J’ai d’abord versé quelques larmes en lisant ce message d’excuses, mais il m’a fait grand bien. C’est également ça, la vague #MoiAussi.

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Évolution des mentalités

Je comprends, en tout respect, celles qui sont à la fois lasses et en colère, qui ne voient aucune utilité à ce mouvement à long terme, mais il ne faut pas céder au cynisme ou au découragement. Les changements de mentalité sont une chose difficile à quantifier. Or c’est souvent à l’aune de ceux-ci qu’on mesure l’évolution des sociétés.

Dans son livre Le féminisme québécois raconté à Camille, l’historienne Micheline Dumont rappelle que le 12 mai 1982, la première fois qu’il a été question à la Chambre des communes de la violence faite au femmes, ces messieurs parlementaires ont éclaté de rire. Il faut dire qu’à l’époque, l’air du temps faisant en sorte que certains se sentaient bien à l’aise de parodier une vieille annonce de bière (Labatt, n’y a rien qui la batte!), en lançant à la cantonade, suivi d’un gros rire gras: À place de la battre, débouche-toi donc une Labatt! Hilarant, n’est-ce pas?

De nos jours, grâce à une législation plus adaptée, mais aussi au travail de fond des groupes de femmes et aux campagnes publiques de sensibilisation, la violence conjugale n’est plus acceptable socialement.  (D’ailleurs, je me souviens comme si c’était hier de cette publicité qui a marqué mon enfance.)

Bien que le problème du harcèlement sexuel ne disparaîtra pas comme par magie, nous venons de faire un sapré pas en avant sur cette question. Ce n’est plus aux victimes de ressentir de la honte et de la culpabilité. Non seulement les fautifs devront réfléchir, mais j’ose espérer que les témoins ne se tairont plus.

Je sais, j’espère beaucoup, mais on avance, indéniablement. Et il faut continuer, parce que le monde, on est vraiment en train de le changer.


Chroniqueuse du mois

Photo: Philippe Boisvert

Photo: Philippe Boisvert

Journaliste indépendante, conférencière et auteure, Marilyse Hamelin dirige le blogue féministe La semaine rose. Son premier essai, Maternité, la face cachée du sexisme, vient tout juste de sortir en librairie.

 

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