À bien y penser

Non à madame la présidente!

À quelques jours du deuxième tour de l’élection présidentielle française, faudrait-il voter Marine Le Pen parce qu’elle est une femme, ce qui donnerait à la France une première présidente? Non. Même madame Le Pen ne le ferait pas.

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Depuis 2011 que Marine Le Pen trône à la tête du Front national, parti d’extrême-droite créé par son père Jean-Marie, elle a eu le temps de se fondre dans le paysage politique français et son statut de femme chef de parti n’étonne plus. Victoire féministe? Dans le sens le plus étroit du terme, certes. Mais ensuite, faut voir le programme! Et rappeler que femme et féministe ne sont pas synonymes.

Contrairement à des Ségolène Royal ou Hillary Clinton (ou Pauline Marois, comme première ministre du Québec), Marine Le Pen n’a d’ailleurs jamais joué la carte «avec moi une première présidente». Elle n’aurait pas pu: elle est contre la discrimination positive! Néanmoins, elle a gagné en popularité notamment parce qu’elle est allée chercher un électorat féminin qui, jusque-là, boudait le Front national. Au premier tour des présidentielles, le dimanche 23 avril, elle est arrivée au troisième rang du vote féminin: 20 % des Françaises ont voté pour elle, révèle la maison de sondages Ipsos. Et quand on décortique ce vote féminin selon l’âge, on constate qu’elle est arrivée deuxième chez les 18 à 34 ans et première auprès des électrices de 35 à 59 ans.

Impossible de croire que ces Françaises ont choisi une battante des droits des femmes tant cette bataille est inconnue du Front national. Ces dernières années, à l’Assemblée nationale française, les deux députés du FN ont voté contre des lois pour contrer le harcèlement sexuel ou prônant une égalité réelle entre les hommes et les femmes. Le programme du parti parle peu des femmes, mais prévoit des mesures pour faciliter le retour des mères à la maison. Quant à l’avortement, il est dénoncé quand il est «de confort», selon les mots de Marine Le Pen.

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Il n’est cependant pas plus étonnant que des femmes votent pour Marine Le Pen que de voir des Américaines appuyer le misogyne en chef Donald Trump. Les motivations électorales sont aussi complexes que la nature humaine, et les femmes (heureusement!) ne sont pas faites d’un seul bloc. En France, les reportages font voir que les électrices sont attirées par le Front national pour les mêmes inquiétudes économiques et de sécurité que les hommes.

Moins rustre que son père, Marine Le Pen a apporté un nouveau ton au FN – elle l’a «dédiabolisé», comme le veut la formule entendue partout. Mais au-delà du ton, c’est une très habile politicienne. Elle a su répondre au sentiment d’isolement et d’abandon de larges segments de la population à qui bien d’autres élus ne parlent plus. Sa campagne sur le terrain au cours de la dernière semaine, alors que l’autre candidat à la présidentielle, le centriste Emmanuel Macron, a tardé à sortir de ses bureaux, témoigne de cet instinct politique redoutable. Ça marche? Évidemment! Et on se demandera ensuite pourquoi le peuple s’exaspère de ces élites qui ne le regardent pas!

Sauf que, comme tous les populistes, Marine Le Pen propose des solutions simplistes à des questions complexes, à quoi s’ajoute la désignation de boucs émissaires, ces «étrangers» à qui il faut fermer les frontières. À la Trump quoi, les éclats de colère et le narcissisme en moins, mais le poids historique d’un parti extrémiste et raciste en plus. L’appel à la contrecarrer au second tour de la présidentielle fait bien état du danger que ses idées représentent.

Or, l’intérêt féministe de l’affaire est là: on s’en prend aux idées et aux discours de Marine Le Pen, pas à sa personne. C’est à saluer, car les femmes qui se présentent dans l’espace public doivent être considérées avec autant de sérieux que leurs collègues masculins.

Mais «la femme» n’est pas en soi bonne, égalitaire, généreuse et cie. Ce n’est d’ailleurs pas pour des raisons essentialistes qu’on doit les voir en politique mais, comme je l’ai dit récemment ici, pour des raisons démographiques. Une fois qu’elles sont candidates, aux électrices et aux électeurs de mesurer les effets concrets d’un vote en leur faveur. Comme féministe, la question est simple: à quoi bon briser le plafond de verre pour l’une si c’est pour nuire à toutes les autres ensuite?

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Ce n’est pas la première fois que cette question se pose dans une démocratie occidentale: il en allait de même à l’époque de Margaret Thatcher, l’intraitable première première ministre du Royaume-Uni. Elle a raconté dans ses mémoires comment elle s’est battue pour avoir personnellement droit au respect en tant que femme chef de parti. Fort bien. Mais elle ne croyait pas aux droits collectifs des femmes et n’a pas non plus favorisé la montée de femmes autour d’elle. Fort mal. (Et on ne parlera même pas ici du reste de ses politiques.)

Conclusion: Marine Le Pen comme chef, c’est une avancée de représentation féminine. Comme présidente, ce serait un recul, tant pour la question des femmes que pour la France en général. Sa candidature soulève toutefois un enjeu féministe bien plus important: pourquoi n’y a-t-il pas de femmes chefs d’autres grands partis ou mouvements à lui opposer?

 

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Journaliste depuis plus de 30 ans, Josée Boileau a travaillé dans les plus importants médias du Québec, dont au quotidien Le Devoir où elle a été éditorialiste et rédactrice en chef. Aujourd’hui, elle chronique, commente, anime, et signe des livres!

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