À bien y penser

Qui donc a lâché les femmes d’Arabie saoudite?

L’exemple vient de haut pour démontrer que l’égalité entre les hommes et les femmes, ça ne compte pas. L’Arabie saoudite, on se pince!, a obtenu un siège à la Commission de la condition de la femme des Nations unies. Et les jeux de coulisses révèlent surprise et déception.

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Le 19 avril dernier, l’Arabie saoudite a été élue à la commission vouée aux droits des femmes de l’ONU, pour un mandat de quatre ans qui débutera en 2018. Oui, l’Arabie saoudite où la mixité est strictement interdite dans les lieux publics, où les femmes sont cachées sous le voile intégral, où elles n’ont pas le droit de conduire, où elles sont soumises à l’approbation d’un « tuteur » (le père, le frère ou le mari) pour pouvoir voyager ou obtenir des soins médicaux (mais plus pour aller travailler, vient de décréter le gouvernement).

Photo : Fayez Nureldine/Getty Images

C’est une blague? Non, plutôt la marche à suivre des «vraies affaires». Qui veut se mettre à dos la puissante Arabie, qui contrôle les flots d’argent du monde en dictant la production mondiale de pétrole, en détenant des actifs partout, en achetant massivement de l’équipement militaire qui rapporte gros à l’Occident? L’enfermement des femmes, et les autres dérogations aux droits de la personne, est de peu de poids dans ces calculs.

Depuis que la nouvelle a été rendue publique par l’organisation UN Watch, les milieux féministes et de défense des droits d’un peu partout dans le monde se sont donc mobilisés: des pétitions, faciles à trouver sur Internet, circulent pour bloquer une nomination aussi dangereuse que ridicule.

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Signer fait du bien mais restons réaliste: cette révolte risque peu d’être entendue. L’ONU y a d’ailleurs déjà répondu par voie de communiqué, disant que l’intérêt de l’Arabie saoudite à siéger à la commission était en soi un progrès. Misère!

Il faut toutefois constater que «révolte» il y a déjà eu: une brèche importante a entouré cette histoire dans le monde codifié et sans vague de la diplomatie. C’est la journaliste Amanda Erickson, spécialiste de politique étrangère, qui a relaté le déroulement des événements la semaine dernière dans le Washington Post.

Normalement, les nominations à la Commission de la condition de la femme relèvent de l’automatisme. Les statuts de l’organisme prévoient une distribution précise des 45 pays membres: 13 de l’Afrique, 11 de l’Asie, 9 de l’Amérique latine, 8 de pays occidentaux, 4 de l’Europe de l’Est.

Les sièges deviennent vacants par bloc et chaque région du monde soumet alors ses candidats au Conseil économique et social des Nations unies, qui compte pour sa part 54 pays membres. La commission des droits des femmes relève du Conseil (où le Canada ne siège pas, il n’a donc pas participé à l’élection impliquant l’Arabie saoudite). Règle générale, les postulants sont acceptés à l’unanimité, sans même qu’un vote soit demandé.

Or, pour l’Arabie saoudite qui faisait une première demande, surprise! Il y a eu demande de vote. Au scrutin secret. À seulement quelques heures d’avis. De quoi affoler tout le petit milieu onusien.

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Qui a bousculé la tradition? Les États-Unis. Oui, ce pays dirigé par Donald Trump, qui fera d’ailleurs dans quelques jours le premier voyage officiel de sa présidence en Arabie saoudite. Les États-Unis, allez savoir pourquoi (pour les femmes, vraiment?), envoyait ainsi une claire critique à l’encontre de l’Arabie saoudite.

Vote il y a donc eu et des 54 pays votants, 47 (dont cinq des 11 pays de l’Union européenne présents au Conseil) ont appuyé la candidature de l’Arabie saoudite.

Énorme? Oui… et non. Car la nouveauté de l’affaire – ou la consolation! –, c’est que jamais un pays postulant n’avait eu droit à autant de rejets.

Les sept pays réticents n’ont pas pour autant voté contre l’Arabie: selon le protocole onusien, ça ne se fait pas. Ils se sont plutôt abstenus, ce qui dans le monde feutré de la haute diplomatie équivaut à un non retentissant.

L’intérêt est donc de savoir qui a eu l’audace de ne pas suivre la voie pavée d’avance et de défier un pays universellement craint. Le vote étant secret, les réponses sont difficiles à obtenir, mais l’hebdomadaire français Le Canard enchaîné a appris que la France n’a pas appuyé l’Arabie saoudite, même si elle y brasse de très très grosses affaires. Bravo! La Belgique, elle, a raconté s’être emmêlée dans ce vote imprévu et regrette ouvertement aujourd’hui d’avoir dit oui. C’est mieux que rien.

Par contre, la Suède, pays de référence pour les progressistes, refuse de donner sa position. Le bureau de la ministre des Affaires étrangères, féministe affichée, a toutefois fait savoir qu’il est de coutume d’accepter sans protester les noms soumis par chaque région du monde. Or, dans le groupe Asie, cinq sièges étaient disponibles et il y avait cinq pays postulants, parmi lesquels l’Arabie saoudite. Donc…

Donc, pinçons-nous encore en se demandant à qui se fier.

Décidément, il y a de quoi méditer dans cette affaire, et pas seulement sur le faux féminisme de l’Arabie saoudite.

 

 

josee boileau 500x316

Journaliste depuis plus de 30 ans, Josée Boileau a travaillé dans les plus importants médias du Québec, dont au quotidien Le Devoir où elle a été éditorialiste et rédactrice en chef. Aujourd’hui, elle chronique, commente, anime, et signe des livres.

 

 

 

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