Chroniqueuse du mois

Réflexions d’une (pas si) jeune entrepreneure

Il y a quatre ans, j’ai plongé dans un monde qui m’était inconnu: l’entrepreneuriat. Je n’y connaissais rien, mais je pensais tout savoir.

Photo: iStock.com/DragonImages

À 33 ans, j’avais la naïveté d’une enfant. Je savais ce que je voulais et j’avais la conviction que j’allais y arriver… Mais plus j’avance dans ce milieu, plus je me rends compte… que je ne sais rien.

Un mercredi pluvieux d’avril, en préparation d’un panel sur l’entrepreneuriat au féminin auquel je participe, je réponds aux questions d’une jeune femme : mon parcours, pourquoi l’entrepreneuriat… Mise à part celles portant sur mon expérience passée, je m’aperçois que je ne connais pas les réponses.

– C’est correct ce que je réponds?

– Il n’y a pas de bonnes réponses, voyons!

Les doutes, c’est à cause de l’imposteur?

Bien vite arrive la fameuse question sur le syndrome de l’imposteur. Alors que j’ai encore du mal à me définir comme entrepreneure (pourquoi? Je ne sais pas), ce sujet me tiraille toujours. L’imposteur, je ne le veux pas dans ma vie. J’essaie de le tenir le plus loin possible de moi.

D’ailleurs, il ne vit plus en moi. Je l’ai mis dehors avec les années! En général, j’ai confiance en moi. Je ne doute pas de mes compétences, acquises au fil des ans. Mais l’imposteur revient sournoisement au détour d’un commentaire d’une personne qui doute de mes capacités. Il se pointe le bout du nez, en pleine conversation, alors qu’un doute se lit sur le visage de mon interlocuteur. Il rôde le soir, autour de mon oreiller, quand je repense aux interactions que j’ai eues dans la journée. Dans ces moments, je reprends le combat : « Oui je suis compétente, oui je peux le faire, oui j’ai les qualifications pour réussir. » Ouste, l’imposteur!

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La perception des autres

Je ne sais pas où va l’imposteur quand j’arrive à le dompter. Mais il revient parfois en force, me plongeant dans une paralysie qui m’empêche d’avancer. C’est alors que j’ai peur… de déplaire, de froisser, de déranger peut-être aussi. Est-ce que je peux vraiment me considérer comme une entrepreneure si j’ai aussi peur que le lion poltron du pays d’Oz?

Ces gens qui doutent de moi me donnent tout de même une clé importante. Parce que douter, c’est bien. Ça garde alerte. Ça permet de se questionner, de revoir ses positions, de s’adapter, d’évoluer pour devenir encore meilleure, personnellement et professionnellement.

Y aura-t-il toujours quelqu’un qui se dit meilleur que moi? Ou quelqu’un pour dire que je ne mérite pas le succès que je récolte? Que faudra-t-il que je fasse pour qu’on me prenne au sérieux, moi et mon entreprise? Ce qu’on dit rarement de l’entrepreneuriat — qu’on glorifie à outrance — c’est que la perception des autres entre beaucoup dans le succès d’une entreprise. Si ceux qui doutent de nous amènent des réflexions essentielles, ceux qui nous appuient sans condition donnent des ailes.

Bâtir un réseau

J’ai toujours trouvé tellement cliché d’entendre des entrepreneurs dire « La chose la plus importante quand on est en affaires, c’est de bien s’entourer ». Bien s’entourer m’apparaissait comme une chose bien abstraite au démarrage de mon entreprise. Pas d’argent pour embaucher des consultants en affaires, pas de contacts pour espérer un peu de pro bono. Heureusement qu’il existe des programmes de mentorat pour entrepreneurs.

Je comprends maintenant que s’entourer, c’est convaincre, c’est vendre son idée à d’autres qui voudront la réaliser avec moi. C’est trouver la confiance des autres pour devenir meilleur. En gang, on se sent toujours meilleur. Le réseau, c’est ce qu’un entrepreneur a de plus riche. Plus que l’argent de son compte en banque.

J’ai été fort touchée, récemment, par cette chronique de Rima Elkouri sur la force du réseau : « Le fait est que, dans bien des domaines, le système ne favorise pas ceux qui ont le plus de mérite, mais bien ceux qui ont le plus de privilèges et qui sont dans le bon réseau», écrit-elle. Entendons-nous, je suis privilégiée : issue d’une famille de la classe moyenne, diplômée universitaire, mariée à un professionnel. Je ne peux imaginer à quel point bâtir un réseau peut être difficile lorsque les inégalités sociales s’enfilent sur la brochette d’une entrepreneure…

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Entre la famille et l’entreprise

En tant que mère entrepreneure, c’est un défi supplémentaire de se constituer un réseau parce que je veux aussi passer du temps avec mes enfants. Je veux une vie de famille. Or, le réseautage se passe en général le matin au déjeuner ou le soir au souper. Pas idéal pour une mère de deux jeunes bambins ! Si d’autres activités de réseautage s’organisent, comme le Réseau des Mères en Affaires, c’est parfois le temps qui me manque ou l’énergie d’en faire plus que les opérations de mon entreprise.

Je sens aussi parfois que ma vie d’entrepreneure entre en opposition avec ma vie de maman. Un peu ironique pour une éditrice de magazine sur la famille… Comme si je devais choisir entre la réussite financière de mon entreprise et le bien-être de ma famille.

J’avance donc à tâtons en tentant de ne pas casser trop d’œufs, en espérant voir grandir mes enfants, garder mon couple vivant, assurer la viabilité financière de mon entreprise, garder ma passion pour mon travail, tout ça malgré les embuches et les difficultés. La route de l’entrepreneuriat est longue, parfois cahoteuse. J’apprends à apprécier le paysage, à regarder derrière aussi pour voir tout le chemin parcouru. Mais je ne sais pas où ça me mène.

Je ne sais rien.

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Chroniqueuse du mois

Journaliste dans l’âme et mère curieuse de deux tannants de quatre et sept ans, Mariève Paradis est éditrice de Planète F Magazine depuis 2014. La maternité lui a fait redécouvrir la société dans laquelle elle vit, à travers le prisme de la parentalité. Récipiendaire de deux prix en journalisme, d’un diplôme d’honneur de l’Université de Montréal et d’une médaille d’argent d’éditrice indépendante de l’année 2016 aux Canadian Online Publishing Awards, elle aime réfléchir sur les enjeux de société qui jalonnent son parcours de parent.

Les opinions émises dans cet article n’engagent que l’auteure et ne reflètent pas nécessairement celles de Châtelaine.

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