Ma parole!

Tu seras un homme, mon fils

En pleine angoisse de la page blanche, je reçois de mon fils un bon coup de pied dans les côtes. C’est lui qui me donne la solution. Je parlerai de lui. Et de ma déception d’apprendre, à 22 semaines de grossesse, qu’il est de sexe masculin.

Le Quartanier / Christian Blais

Photo: Le Quartanier / Christian Blais

J’aurais aimé que ma première chronique dans Châtelaine soit publiée dans une période moins chargée de sens : mars, avec sa Journée internationale de la femme, est à prendre avec des pincettes. J’ai le devoir de dire quelque chose, mais en même temps, je ne veux pas en beurrer trop épais. Je ne réglerai pas le sort des femmes en 4 000 caractères, mais je ressens une pression, celle d’écrire quelque chose d’intelligent et qui ferait réfléchir à la condition féminine. Je vire et revire les idées qui se bousculent dans ma tête. Je n’arrive à rien.

La nuit, ça me réveille. Dans mon lit, je cherche l’angle à adopter. J’essaie de trouver le sommeil dans le confort de mes draps en flanelle. C’est une vraie torture. Impensable pour moi d’écrire quelque chose d’ordinaire. Surtout que c’est mon premier rendez-vous avec vous. J’ai envie de vous inspirer, d’entamer une discussion et, surtout, je veux réaffirmer que le féminisme vaut encore quelque chose, qu’il est plus pertinent que jamais.

En pleine angoisse de la page blanche, je reçois de mon fils – que je porte depuis huit mois déjà – un bon coup de pied dans les côtes. C’est lui qui me donne la solution. Je parlerai de lui. Et de ma déception d’apprendre, à 22 semaines de grossesse, qu’il est de sexe masculin. Je dis déception, mais c’est un peu beaucoup exagéré. Disons simplement malaise. Malaise à l’idée de mettre au monde un garçon – j’ai déjà deux filles. J’ai peur. Je ne saurai pas quoi faire avec un gars, moi…

J’ai passé ma deuxième échographie alors que le mouvement #AgressionNonDénoncée battait son plein. Rien pour calmer mon inquiétude. J’ai demandé à mon mari s’il le savait, lui, comment on faisait pour élever ça, un bébé garçon. Je vous le jure, à ce moment-là, j’avais vraiment l’impression de porter l’ennemi. Et ce sentiment très déplaisant s’accompagnait de pensées contradictoires. Parce que cet ennemi, je l’aimais d’amour et je désirais le protéger du monde extérieur et de toute sa violence.

Naître garçon, par les temps qui courent, ne serait pas chose facile. Moins facile qu’avant, en tout cas. Juste retour du balancier, diront plusieurs. Certes. Fiston serait-il considéré comme un agresseur potentiel dès qu’il franchirait le cap de l’adolescence ? Cette idée m’attristait. Comment éviter qu’il grandisse dans une société où il serait perçu comme tel ? Mais, en même temps, comment l’élever pour ne pas qu’il se transforme en un affreux Jian Ghomeshi ? « Tu te casses la tête pour rien, m’a dit mon mari. T’as juste à l’élever comme tes filles. » Pas comme une fille, nuance. Il voulait dire de la même façon que je m’y prends avec mes deux autres enfants, en luttant tous les jours contre les stéréotypes et, surtout, en leur présentant un modèle de mère et de femme assumée, en pleine possession de ses moyens. J’ai fait mine d’acquiescer et suis retournée me coucher. Une femme assumée et en pleine possession de ses moyens. Suis-je vraiment tout ça ? Hum, pas certaine. C’est là que je me suis dit que je devais une chose à mon fils : être une maman mieux dans sa peau et dans sa tête. Et une mère libre. Véritablement. À go, il fallait que j’arrête moi-même de me considérer comme une femme-objet et de me déprécier sans arrêt. Et, surtout, je devais me dégager des stéréotypes féminins. Parce que, pour être honnête, le carcan dans lequel je m’enferme allégrement et cette pression pour être parfaite tout le temps, je ne les dois qu’à moi.

Il faut que je me libère, donc. C’est le cadeau que je souhaite me faire. Et que je souhaite offrir à mon petit garçon et à mes filles. Si j’y arrive, tout ce beau monde sera sur la bonne voie. Non, ça ne leur épargnera pas tout. Mais ils seront bien partis. 

Pour écrire à Geneviève Pettersen: genevieve.pettersen@rci.rogers.com

Pour réagir sur Twitter: @genpettersen

Geneviève Pettersen est l’auteure de La déesse des mouches à feu (Le Quartanier)

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