À bien y penser

Un film gagne un grand prix? Un monsieur ira le chercher

Entre le Festival de Cannes qui se termine et le Gala Québec Cinéma qui arrive, une question: où sont les réalisatrices? Elles sont sur le terrain, nombreuses. Mais quand vient l’heure des prix, aujourd’hui comme hier, elles disparaissent.

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Belle conférence de presse au Festival de Cannes la semaine dernière: la cinéaste Sofia Coppola y présentait son dernier film, The Beguiled (Les proies), relecture personnelle d’une histoire déjà tournée en 1971 où un soldat blessé durant la guerre de Sécession se retrouve dans un pensionnat de jeunes filles.

Autour de la cinéaste, ses vedettes: un seul acteur et plusieurs actrices, un mélange déjà détonnant. Vu le propos du film, la conférence de presse roule d’ailleurs sur l’approche adoptée par la cinéaste: féministe ou pas? Au public de juger, répond Coppola.

En fait, l’essentiel féministe de cette rencontre était ailleurs. C’est l’une des stars du film, Nicole Kidman, qui l’a cerné. La Presse la cite longuement: «Seulement 4 % des réalisateurs de films en 2016 à Hollywood étaient des femmes, a indiqué l’actrice. Des femmes ont réalisé seulement 183 des 4000 épisodes de séries télévisées aux États-Unis. C’est important de le dire. Jane Campion [seule femme lauréate d’une Palme d’or au cours des 70 ans d’existence du Festival] et Sofia sont ici, heureusement. Nous devons, en tant que femmes, soutenir les femmes réalisatrices. Cela est entendu. Tout le monde dit que c’est bien différent maintenant, mais ce n’est pas vrai.»

C’est moi qui souligne. Non, il ne faut pas trop se gargariser d’avancées. Les pas sont souvent bien plus petits qu’on ne le croit, et la mémoire nous fait défaut. Le cinéma en offre des exemples éclatants, reflet de ce qui a cours dans tant d’autres secteurs.

Ni en Amérique ni en Europe, il ne manque de réalisatrices. En France, des chiffres démontrent même que, depuis 1990, hommes et femmes sont quasi à égalité dans les formations en réalisation. C’est après que ça se gâte. Peu de femmes arrivent à faire un long-métrage ou une série télé, encore moins à se positionner pour un prix.

Ainsi, à Cannes, en 70 ans, 96% des films présentés en sélection officielle étaient signés de cinéastes masculins. Bravo donc à Sofia Coppola d’avoir remporté dimanche le Prix de la mise en scène avec Les proies, mais c’était seulement la deuxième fois de l’histoire qu’une femme gagnait ce prix (ce qui nous ramène à… 1961!). Plus globalement, on a vu depuis 1946 à Cannes qu’une seule Palme d’or féminine; trois réalisatrices qui ont obtenu le Grand prix; quatre femmes qui ont eu le Prix du jury (deux d’entre elles plus d’une fois); et deux femmes récompensées pour un scénario – la Française Agnès Jaoui, en duo avec Jean-Pierre Bacri, en 2004 et, cette année, la Britannique Lynne Ramsay, mais pas seule: ex-æquo avec le film de deux cinéastes masculins. Faut-il dire merci?

À Hollywood, c’est pire! Depuis la création des Oscars en 1929, jamais une femme n’a gagné l’Oscar du meilleur film. Une seule a déjà reçu un prix pour la meilleure réalisation: Kathryn Bigelow en 2010 – quatrième fois seulement qu’une femme était mise en nomination dans cette catégorie!

Le plus troublant, c’est la catégorie «meilleur scénario». Onze femmes ont reçu cet Oscar depuis 1929 (dont Sofia Coppola en 2004), mais six d’entre elles l’ont eu entre… 1932 et 1956. Il faudra ensuite 30 ans avant qu’une femme l’obtienne à nouveau, en 1986! En fait, depuis les années 1930, les mises en candidature de femmes dans cette catégorie n’ont cessé de se raréfier. Progrès, vous dites? Notons encore que la dernière lauréate d’un Oscar du meilleur scénario est Diablo Cody pour son film Juno en… 2008.

Est-ce mieux au Québec? À peine. Depuis la création en 1999 d’un gala consacré aux films québécois, une seule femme a remporté le prix du meilleur film: Léa Pool, avec La passion d’Augustine. C’était l’an dernier, et le gala en était alors à sa 18e édition. Du côté de la meilleure réalisation, on arrive à 3 victoires féminines en 18 ans.

passion daugustine

Les réalisatrices sont-elles au moins nombreuses parmi les finalistes? Durant toutes ces années, 9 œuvres réalisées par des femmes en ont affronté 70 signées par des hommes pour obtenir le trophée du meilleur film. Un gros 11%. Plus que des miettes, mais une bien maigre part.

Le Gala Québec Cinéma 2017 se tient ce dimanche 4 juin. Il y a une finaliste pour le meilleur film, Chloé Leriche pour Avant les rues, aussi en compétition pour la meilleure réalisation et le meilleur scénario. Mais elle n’est pas favorite.

avant les rues

Un groupe d’ici, les Réalisatrices Équitables, milite depuis 2007 pour que les femmes obtiennent un meilleur financement de leurs films, ce qui permet les fictions de poids, donc d’augmenter la notoriété et la possibilité d’un prix. Mais le chemin de l’équité est interminable.

Et on ne parle ici que de cinéma…

 

 

Josée Boileau

Journaliste depuis plus de 30 ans, Josée Boileau a travaillé dans les plus importants médias du Québec, dont au quotidien Le Devoir où elle a été éditorialiste et rédactrice en chef. Aujourd’hui, elle chronique, commente, anime, et signe des livres.

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