L'édito

Une mère prise entre l’inquiétude et la gratitude

Être mère est sans doute l’une des plus belles aventures. C’est un périple jalonné de petits et de grands soucis, de minuscules et d’immenses joies. Que nos enfants soient des poupons ou des ados. Quel privilège tout de même…

Photo: iStock.com/trumzz

Je les observe parfois à la dérobée. Quand elles mangent leurs céréales ou discutent entre elles. Mes filles vont dans la vie avec une audace et une insouciance toutes juvéniles. Un jour, volubiles, elles s’enthousiasment de tout. Le lendemain, c’est un silence obstiné qui remplit la maison. En guise de réponses à mes questions, elles grommellent des onomatopées de l’âge de pierre. Dans un même élan, elles quémandent des câlins et me repoussent sans ménagement. L’adolescence ballotte les parents, du désert aride du Sahara aux pics enneigés de l’Himalaya. Vaut mieux avoir l’âme aventurière pour sortir indemne de cette étape de la vie. Sans boussole ni guide de survie. « M’man, j’ai un party chez la blonde d’un de mes amis. J’vais prendre le dernier métro ! » lance l’aînée. Je ne connais ni l’ami, ni la blonde de l’ami, qui habite à l’autre bout de la ville, pas plus que l’heure du dernier métro.

Nos enfants… Dès qu’on les expulse dans la vie, on ne les protège plus de rien. Devenir mère, c’est sortir de soi. Et ne plus jamais voir le monde du même œil ; il apparaît soudain moins sécuritaire et plus cruel. Quand mes filles étaient de petites pousses, je pouvais chasser les monstres sous leur lit ou guérir leurs bobos avec un bisou. Mais avec les années, mes superpouvoirs maternels se sont estompés. Comment soustraire ses petits aux horreurs ordinaires ? Ici, un garçonnet disparu, là, une fille victime d’un accident. Comment fait-on pour les préserver sans les étouffer ? Les soucis des mamans et des papas gonflent avec les années.

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Que pensent les mères des communautés autochtones quand elles regardent leurs fillettes ? Craignent-elles le pire ? Au pays, les Inuites, les Amérindiennes et les Métisses sont de trois à quatre fois plus à risque d’homicide ou de disparition que les autres femmes, selon la Gendarmerie royale du Canada. Il y a quelques semaines, notre journaliste Andréanne Moreau a couvert, à Montréal, les audiences publiques de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. Elle en est revenue bouleversée : tant de victimes restées dans l’anonymat en raison de l’indifférence des autorités, des médias et des corps policiers – pire encore, certains agents sont eux-mêmes impliqués dans les agressions sexuelles.

Jeune journaliste, j’ai interviewé l’une des pionnières du cinéma québécois, Anne Claire Poirier (la réalisatrice de Mourir à tue-tête, film qui mettait en scène un viol du point de vue de la victime). Elle sortait à ce moment-là le documentaire Tu as crié LET ME GO qui portait sur sa fille, Yanne, morte à 26 ans. Quelques années plus tôt, cette dernière, toxicomane, avait été retrouvée assassinée dans une ruelle de Montréal. C’était la première fois que je rencontrais une personne qui vivait pareil drame. Je l’écoutais en essuyant mes larmes. J’en garde un souvenir ému tout comme de son film, que j’ai revu récemment sur le site de l’Office national du film (ONF). La narration d’Anne Claire Poirier y est poignante. « Je n’ai su ni te retenir, ni te préserver du mal. Il m’aurait fallu porter ta douleur, prendre ta place devant la peur ultime. Comment ai-je pu faillir au secours de ma préférée entre toutes les femmes ? » confie-t-elle en s’adressant à cette enfant partie trop tôt.

Discuter avec cette femme digne malgré son immense peine a changé ma vie. Je n’étais pas mère à l’époque, mais j’ai tout de même retenu le message qu’elle cherchait à me transmettre. « Il ne faut pas oublier de regarder nos enfants, de passer du temps avec eux… », disait-elle de sa voix grave. Aujourd’hui, je ne me lasse pas de voir grandir mes ados. J’aime tous les moments partagés en famille, même ceux qui mettent à l’épreuve ma patience. Parce que je sais combien j’ai de la chance.

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Photo: Andréanne Gauthier

Johanne Lauzon, rédactrice en chef

Écrivez-moi à  johanne.lauzon@chatelaine.rogers.com

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