Santé

En chair et en forme

Être ronde et pétante de santé? Oui, madame ! On a rencontré de ces sportives qui courent des triathlons et sont ceinture noire au karaté. Dans les dents, les préjugés.

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Elizabeth Lallier
38 ans, gérante de boutique
Ses sports : vélo, course, ski alpin, yoga

Elisabeth a toujours de la broue dans le toupet. Atteinte de sclérose en plaques, elle n’a pas eu de crise depuis qu’elle s’est remise en forme, il y a deux ans : « Ma canne traîne dans le fond du garde-robe. »

En plus de travailler comme gérante à la boutique Sportive Plus, seul magasin en Amérique du Nord pour les sportives de taille forte, elle est instructrice de course à pied auprès des femmes en surpoids. Elle en a soupé des préjugés : « Ce n’est pas parce qu’on est ronde qu’on passe ses journées à regarder des séries en bouffant des chips ! »

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Isabelle Paquin
30 ans, conseillère politique
Ses sports : natation, vélo, course, triathlon

Isabelle s’entraîne à fond la caisse en vue de son triathlon annuel, en plus de ses participations à des épreuves de course à pied et à vélo. « Quand je dépasse des filles minces, c’est ma douce revanche sur les statistiques et le fameux indice de masse corporelle ! » lance-t-elle, les yeux brillants de fierté.

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Nathalie Bergeron
40 ans, vice-présidente d’une boîte de relations publiques
Son sport : jogging

Courir 5 kilomètres en moins de 45 minutes, c’est le défi que s’est lancé Nathalie il y a un an. Cette bosseuse infatigable avait tout misé sur sa carrière jusqu’à ce que des soucis de santé la confrontent à l’importance de prendre soin d’elle. Depuis, elle s’entraîne religieusement, moins pour maigrir que pour vivre des « moments de grâce », dit-elle, le vent dans ses cheveux blonds et le soleil dans le visage.

*  *  *

Ça se passe dans un magasin d’articles de sport. D’un côté, une cliente excédée qui poireaute depuis 10 minutes ; de l’autre, un vendeur qui fait semblant de ne pas la voir.

« Excusez-moi, j’aimerais avoir du service.
– Euh… oui. C’est pourquoi ?
– Je cherche des chaussures de course, un produit haut de gamme, je… »

Le vendeur, toisant les formes volumineuses de madame :
« Oh ! Vous savez, ce n’est pas nécessaire de payer si cher pour faire un peu de marche. J’aurais ceci à…
– Non, je veux une chaussure top qualité. Je cours 50 km par semaine. »

Cette histoire, elles me l’ont toutes racontée. Aux préjugés se joignent même parfois les injures. Lors de ses déplacements quotidiens à vélo, il arrive qu’Elizabeth Lallier, 38 ans, se fasse invectiver : « Hey, la grosse, t’as un flat dans ta roue ! » La gérante chez Sportive Plus, à Laval, hausse les épaules : ces avanies ne l’atteignent plus. Elle s’assume. Au point d’avoir dévoilé ses seins généreux et sa peau laiteuse dans l’édition « Les Gros » du magazine Urbania, en 2010. Elle pesait alors 158 kilos (347 lb) – elle en a perdu 68 (150) depuis. « Moi, au moins, je pédale 600 kilomètres par semaine pendant qu’eux sont calés dans leur siège de voiture…

Avis aux sans-génie qui se moquent d’elle : les obèses physiquement actifs sont deux fois moins à risque de mourir prématurément que les gens au poids santé scotchés à leur canapé. « Même que leur risque de mortalité est comparable à celui des personnes minces et actives. Je n’en croyais pas mes yeux quand j’ai découvert ça », raconte Steven Blair, professeur à l’Université de Caroline du Sud, sommité mondiale en sciences de l’exercice.

En 30 ans, le chercheur américain à l’accent traînant du Sud a mesuré l’état de santé de dizaines de milliers de personnes d’âges et de poids variés.
Son constat : on fait grand cas de l’obésité dans les médias, mais c’est surtout la sédentarité qui tue. La télécommande, le lave-vaisselle, les heures interminables devant l’ordi au bureau, la voiture pour aller chercher du lait au coin de la rue atrophient nos corps de chasseurs-cueilleurs bâtis pour parcourir la savane. Qu’on soit mince ou bedonnant. « C’est le pire problème de santé publique du 21e siècle. Il fait même plus de morts que la cigarette. »

Au Canada, plus de 8 personnes sur 10 ne bougent pas assez pour se conformer aux recommandations nationales (voir Éloge de la marche, en fin d’article). Parmi ces gens, des sveltes et des dodus, bien sûr. Reste que les femmes obèses font moitié moins d’exercice que les minces, selon une étude de Statistique Canada. En partie parce que leur surpoids sape leur énergie et leur cause de l’inconfort, explique Paul Boisvert, docteur en physiologie de l’exercice et coach en poids santé. Mais la peur d’être jugée en décourage aussi beaucoup.

« “Le monde va penser que je ne suis pas capable”… On l’entend souvent, celle-là », témoigne Martine Calce, cofondatrice de Allez Hop Let’s Go, une entreprise qui offre de l’entraînement spécialisé aux personnes en surpoids, entre autres. Les entraîneurs doivent parfois changer les trajets de course à pied à la demande des participantes, qui craignent d’essuyer des regards méprisants sur les boulevards achalandés.

C’est encore pire au gym et à la piscine, dénonce Isabelle Paquin. Cette conseillère politique à Amqui, dans le Bas-du-Fleuve, se lance chaque année dans un triathlon et plusieurs courses à pied et à vélo. La brunette bien en chair se souvient de l’époque où les nageuses « découpées au couteau » avec qui elle s’entraînait se relançaient à propos de leur performance en l’excluant des conversations, « comme si ça ne se pouvait pas que je sois bonne ». Mais leur attitude a changé quand elle les a dépassées dans la piscine… « Le sport n’est pas qu’affaire de muscles, c’est aussi de la force mentale. Ça fait tellement de bien ! »

Et comment. De l’avis de tous les experts consultés, l’activité physique est un remède « spectaculaire », capable de tenir à distance diabète, hypertension, cholestérol et certains types de cancers. « Les obèses étant plus à risque de développer ces maladies, bouger représente une excellente assurance-vie », affirme le Dr Rémi Rabasa-Lhoret, endocrinologue et chercheur clinicien à l’Institut de recherches cliniques de Montréal.

De fait, la dizaine de sportives interviewées sont presque toutes en parfaite santé, en dépit de leur important surpoids. Certaines ont même des capacités cardiopulmonaires remarquables, confirmées par des tests sur tapis roulant (mesure de la VO2 max).

Et c’est sans parler du prodigieux effet de l’exercice sur leur santé mentale – et leur bonne humeur. « Maintenant, mes collègues peuvent deviner si je suis allée courir avant d’arriver au bureau ! » raconte Nathalie Bergeron, première vice-présidente de High Road Communications, à Montréal.

Sa conversion est récente : il y a un an, l’élégante blonde de 40 ans n’avait jamais fait de sport, à part quelques pas de salsa et un saut à la piscine de temps à autre. « Je ne me trouvais pas bonne, alors je m’abstenais. On est orgueilleuse ou on ne l’est pas ! » Elle a commencé en douceur, marchant beaucoup, courant un peu. Aujourd’hui, elle jogge 20 minutes consécutives et « la patate tient le coup ». Sa pression a baissé, son sourire est éclatant et ses pantalons sont trop grands. « J’ai perdu l’équivalent de deux tailles. Pas mal comme effet secondaire… »

Pas d’illusion, toutefois. « L’exercice prolonge la vie, mais ne transforme personne en mannequin ou en star de cinéma », dit le spécialiste Steven Blair. Il se plaît à répéter qu’avant de courir des marathons il était petit, gros et chauve et qu’il est toujours petit, gros et chauve !

Sauf si on réduit les portions en même temps, se remuer le popotin n’induit pas de perte de poids à tout casser – deux kilos en moyenne. Et encore. « Le tissu adipeux a la tête dure, il ne meurt jamais », explique le cardiologue Paul Poirier, directeur du secteur de prévention et de réadaptation de l’Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec. Les cellules peuvent rapetisser beaucoup, mais, au moindre débarquement de calories, ces gloutonnes en profitent pour stocker. « C’est le party total, comme un ado qui n’a pas d’heure pour rentrer. »

Consolation : même s’il fait peu maigrir, l’exercice a le chic de réduire la « bedaine dure » – la graisse viscérale, logée sous les muscles de l’abdomen –, dont les effets sur les organes ne sont pas rigolos (augmentation de la tension artérielle, du taux de glucose et du mauvais cholestérol, entre autres malheurs). « Et puis, ça raffermit les chairs ! » ajoute Isabelle Paquin, dont le poids est stable depuis longtemps.

Plusieurs spécialistes n’encouragent pas leurs patientes obèses à maigrir si elles sont actives, mangent bien et sont en bonne santé métabolique. « On vit dans un monde où hors des balises du “poids santé”, point de salut, s’indigne Jean-Pierre Després, directeur de la recherche en cardiologie à l’Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec. Sur le plan scientifique, c’est absurde. »

Chez beaucoup de femmes qui font de l’­embonpoint, la graisse se loge dans les fesses, les hanches et les cuisses, explique-t-il. « Pensez aux Baigneuses de Renoir ! » Or, contrairement à la graisse abdominale, ces poignées d’amour ne représentent aucun danger – elles protégeraient même contre le diabète, selon certaines études.

« Si on se fie à l’indice de masse corporelle, ces filles sont certes obèses, avec tous les risques que ça comporte », poursuit Jean-Pierre Després. Mais dans les faits, leur cœur, leur foie, leurs muscles sont propres, a-t-il constaté grâce à des techniques d’imagerie. Pas malades pour deux sous, donc. « Et très belles. » À son goût en tout cas, bien plus que les « mannequins qui se nourrissent de kleenex ».

« Vous l’écrirez, insiste-t-il. C’est beau, une femme forte qui mange et qui bouge. »

Un grand merci à toutes les filles qui m’ont accordé des entrevues et que je n’ai pu citer, faute d’espace, notamment Myriam Jean, Isabelle Bolduc et Caroline Denis.

Éloge de la marche

Quelque 150 minutes d’exercice par semaine, c’est tout ce qu’il faut pour réduire de moitié la possibilité de mourir d’une maladie du cœur, peu importe son poids. Idéalement, on pousse la machine jusqu’à 300 minutes pour optimiser les bénéfices sur la santé, comme le contrôle de la glycémie, du cholestérol et de la tension artérielle.

Pas besoin de suer sa vie au gym : cumuler trois tranches de 10 minutes de marche rapide par jour fera l’affaire. On insiste sur le « rapide » – 5 km à l’heure ou plus, selon sa condition physique.

C’est quand on atteint au moins la zone « modérée » que l’activité devient salutaire – par exemple, passer l’aspirateur, faire du vélo, nettoyer la voiture. Il faut ressentir un léger essoufflement. Tant mieux si on peut faire pomper le cœur plus vite, par exemple en joggant.

Un autre bon truc : tenir compte de son nombre de pas quotidien. À partir de 10 000, on est en affaires.

Je l’ai testé, podomètre rose nanane à la ceinture : c’est assez facile à atteindre, même pour une personne comme moi, que le boulot confine à la sédentarité. En ajoutant à ma routine une marche rapide d’une heure, j’ai réussi à faire entre 12 000 et 15 000 pas par jour – précisons que je marche déjà une vingtaine de minutes pour prendre le train.

Sources : Paul Boisvert, docteur en physiologie de l’exercice, coach poids santé, et Jean-Philippe Chaput, professeur à l’École des sciences de l’activité physique à l’Université d’Ottawa.

Le point sur le poids

L’indice de masse corporelle (IMC) permet de savoir si on est en surpoids ou non. On l’obtient en divisant le poids par la taille au carré d’une personne. Un poids santé correspond à un ratio entre 18,5 et 24,9 ; l’embonpoint, entre 25 et 29,9 ; l’obésité, de 30 et plus. En principe, plus l’IMC est élevé, plus on court après le trouble : diabète, phlébite, maladies du foie et du cœur, etc. Mais, en réalité, l’outil fait un « travail misérable » pour prédire les risques de mortalité, selon les médecins Jean-Pierre Després et Paul Poirier, professeurs à l’Université Laval.

« Prenons deux hommes de taille et de poids identiques ; l’un est un tas de muscles et l’autre a une bedaine équivalant à sept mois de grossesse, explique le cardiologue Paul Poirier. Les deux ont le même IMC. Et pourtant, le deuxième est bien plus en danger. »

L’IMC ne dit rien non plus de la « sorte » de gras qui nous enveloppe ; la graisse molle est assez bénigne, surtout logée dans les fesses, les cuisses, les hanches. Tandis que le gras abdominal peut faire des ravages (la fameuse « bedaine dure », qui apparaît chez la femme après la ménopause).

Vaut mieux se fier à la circonférence de la taille, révèle une récente étude américaine menée auprès de 600 000 personnes. Les scientifiques de la clinique Mayo y ont démontré que, après 40 ans, une femme dont le tour de taille dépasse 95 cm a une espérance de vie de cinq ans de moins que celle qui se maintient sous les 70 cm. Les hommes perdent trois ans d’espérance de vie quand leur ventre dépasse les 110 cm.

Sport, huile d’olive et vin

Pas de doute, l’exercice réduit les risques de mortalité précoce. À ses patients obèses qui souffrent déjà de maux divers, l’endocrinologue Rémi Rabasa-Lhoret répète toujours que maigrir est le meilleur investissement. « Sauf que si c’était facile, ça se saurait ! Plusieurs n’y arrivent pas. En se mettant au sport, ils gagnent déjà beaucoup. »

Le spécialiste propose aussi l’alimentation méditerranéenne, qui réduit de 30 % les risques de problèmes cardiaques chez les gens qui y sont plus exposés à cause du surpoids, de la cigarette, du cholestérol, d’antécédents familiaux, etc. Et ce, même si on ne perd pas le moindre gramme.

C’est ce qu’a démontré une étude espagnole menée pendant cinq ans auprès de 7 447 personnes, parue l’an dernier dans le New England Journal of Medicine. Des quantités généreuses d’huile d’olive et de noix, fruits, légumes, légumineuses, vin, poisson, volaille étaient au menu quotidien, tandis que viande rouge et mets transformés étaient tenus à distance. Les effets bénéfiques ont été si éloquents que les chercheurs ont interrompu
la recherche – elle était préjudiciable à l’autre groupe de l’étude, soumis pour sa part à une diète faible en gras.

Bien sûr, bien sûr, le mieux est de faire les trois : manger sainement, couper les portions et s’activer 150 minutes et plus par semaine. « Mais personne n’est parfait. Si on arrive à respecter au moins deux de ces prescriptions, il y a de quoi se féliciter. On aura déjà fait une grande partie du boulot », conclut le Dr Rabasa-Lhoret.

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