Santé

Le stress sans détresse

Dur à supporter, le stress ? Peut-être, mais « le mal du siècle » peut aussi permettre de mieux vivre si on sait l’utiliser à son avantage.


 

Le stress, réaction de survie inscrite dans les gènes pour permettre d’échapper au danger, peut également stimuler et aider à solutionner les problèmes. Deux spécialistes expliquent pourquoi : le docteur Serge Marquis, médecin en santé mentale au travail qui reçoit des patients en consultation depuis 20 ans, et la chercheuse Sonia Lupien, directrice du Centre d’études sur le stress humain de l’Hôpital Douglas, à Verdun.

Châtelaine : Le stress peut-il vraiment devenir un élément positif dans notre vie ?
Sonia Lupien : Il faut cesser de croire que le stress est toujours mauvais ! Les hormones, comme l’adrénaline et le cortisol, que l’organisme sécrète en situation de stress sont utiles car elles réveillent, rendent alerte. Grâce à elles, on peut réagir rapidement dans une situation d’urgence ou mieux faire face à une circonstance exceptionnelle, comme de parler en public. D’ailleurs, les recherches démontrent que, sans stress, on ne réalise pas de grandes prouesses. Par contre, trop de stress nuit au rendement parce qu’il écrase au lieu de stimuler.

Serge Marquis : En fait, le stress provoque un inconfort qui pousse à l’action. Si on est stressé parce qu’on a un congrès à organiser, le fait d’agir, de commencer à joindre les conférenciers invités, par exemple, va diminuer le stress. Si on a des problèmes dans sa vie de couple, le stress pourra inciter à tirer les choses au clair…

Comment savoir si on est trop stressée ?
S. Lupien : Certains signes ne trompent pas : avoir des sautes d’humeur, consommer plus d’alcool et de tabac, souffrir de problèmes de digestion, avoir le dos raide… Si on devient irritable ou qu’on se gave de sucre ou de gras, c’est signe que la coupe déborde.

S. Marquis : On doit trouver un équilibre : relever des défis – qui exposent au stress –, mais en respectant ses limites. Tout le monde n’est pas fait pour courir le marathon ou diriger une entreprise. C’est pareil pour la résistance au stress : elle n’est pas la même pour tous. Par contre, si on ne prend jamais de risques, on ne connaîtra jamais ses limites ni ses forces.

Vous dites qu’un peu de stress dans l’enfance serait bénéfique…
S. Lupien : La neuropsychologue Karen Parker, de l’Université de Stanford, aux États-Unis, l’a démontré avec des bébés singes. On a divisé les jeunes primates en deux groupes. Dans le premier, les petits singes ont grandi en ne quittant jamais leur mère ; dans le second, ils en étaient séparés de temps en temps. Une fois adultes, les singes qui avaient été éloignés de leur mère savaient mieux faire face aux épreuves de la vie que les rejetons surprotégés, plus vulnérables au stress.

S. Marquis : Cela se vérifie également chez les êtres humains. Si quelqu’un règle toujours les problèmes de l’enfant à sa place, celui-ci n’apprendra jamais à utiliser ses ressources pour y faire face. Surmonter les difficultés augmente la résistance au stress car on développe ainsi la confiance en soi.

Certains artistes prétendent que le stress les rend plus créatifs…
S. Lupien : Pour survivre, l’être humain a dû faire preuve de créativité : mettre au point des techniques d’agriculture, inventer des outils, etc. Je crois qu’on a tort de dire aux gens d’éviter le stress à tout prix. On conseille toutes sortes de trucs pour y échapper : les massages, le yoga, la méditation… Toutes ces techniques sont utiles pour réduire les effets du stress sur le corps. Mais ce n’est pas parce qu’on va au spa durant le week-end que la collègue qui représente le facteur de stress numéro un au bureau aura disparu le lundi suivant. Il faut faire face.

Alors, que faire pour affronter le stress ?
S. Marquis : Je suggère à mes patients de noter ce qui les stresse et, ensuite, de faire l’inventaire de toutes les pistes d’action possibles. On ne peut pas changer les gens de son entourage, mais on peut leur faire part de ses besoins. Si on a une engueulade avec une collègue, on peut la rencontrer pour s’expliquer, consulter un autre collègue ou aviser son supérieur. On peut aussi demander conseil à un responsable du personnel, à un psychologue. Toutes ces solutions sont valables.

S. Lupien : Je suis d’accord ! Il faut affronter les stress un à un, à mesure qu’ils se présentent. Mais pour cela, il faut d’abord en comprendre la cause. Une situation stressante comporte au moins une des caractéristiques suivantes : elle est nouvelle, imprévisible, donne l’impression qu’on est menacé ou qu’on ne maîtrise plus les événements.

Tous les stress ne sont pas semblables. Au bureau, Ginette met les nerfs de ses collègues en boule parce qu’elle menace leur ego en critiquant chacun de leurs gestes ; mais un horaire trop chargé, lui, a pour conséquence qu’on n’a plus la maîtrise de sa vie. Une fois qu’on a compris le stress, on peut y faire face, chercher ce qu’on peut faire pour regagner une impression de contrôle, atténuer l’impression d’être menacé, etc. À cet égard, la créativité de chacun est aussi valable que la mienne.

Qu’entend-on par une menace à l’ego ?
S. Marquis : C’est probablement le plus grand élément de stress de notre époque. Au temps des mammouths, l’ego n’était pas un gros problème : les humains étaient des petites bêtes poilues qui essayaient de survivre. Aujourd’hui, le Moi occupe une place énorme. Si, au cours d’une réunion, quelqu’un tourne ce qu’on dit en ridicule, on se sent menacé car on a l’impression d’être diminué. Dans les pays industrialisés, la peur de la mort sociale – autrement dit, être rejeté par ses semblables – est plus intense que celle de la mort physique. D’autant plus que, dans le monde actuel, le Moi dépend en grande partie du regard des autres.

S. Lupien : Par exemple, on est devant la machine à café avec une collègue et le patron. La collègue lance : « Es-tu certaine que la méthode que tu utilises pour analyser tes dossiers est efficace ? Il me semble que c’est une vieille façon de faire, mais c’est vrai que je suis plus jeune que toi… »

Que faut-il faire devant une telle menace ?
S. Marquis : On peut commencer par se demander : « Vais-je en mourir ? » La réponse est évidemment non car, même si le corps envoie des signaux de détresse (mal de tête, souffle court, transpiration…), l’intégrité physique n’est pas menacée. Alors, dans une telle situation, qu’est-ce qu’on craint de voir disparaître ? Sa réputation ? L’estime de ses patrons ? Cette réflexion peut permettre de mettre les choses en perspective. On réalise souvent que ce que l’on croyait être une menace n’est pas si grave et qu’on possède les ressources pour y faire face. Ensuite, on dresse la liste des pistes d’action possibles – affronter la personne qui attaque, se confier à un autre collègue, rétablir les faits auprès de son patron… Puis il faut agir !

Pourquoi passer à l’action est-il si important ?
S. Marquis : En fait, la pire chose à faire, c’est de ne rien faire. On tombe alors dans la rumination. « J’aurais dû faire ceci… », « Il a osé me dire cela… »

S. Lupien : C’est vrai. Le simple fait, par exemple, d’acheter un livre sur la façon de négocier avec son patron, son conjoint ou son adolescent augmente le sentiment de contrôle et, par conséquent, diminue le stress. Les parents d’un enfant atteint de cancer qui s’informent ou qui cherchent de nouveaux traitements sont moins dévastés par le stress parce qu’ils font un geste qui leur permet de regagner une certaine maîtrise de la situation. Si on ne peut évacuer le stress dans l’action, on ressent de la colère parce que l’impulsion de combattre ou d’agir n’est pas satisfaite.

On a forcément l’impulsion de combattre quand on est stressé ?
S. Lupien : Sous l’effet du stress, oui, on est en quelque sorte fâché ! Lorsque le cerveau perçoit une menace, il déclenche la production d’adrénaline et de cortisol, qui mobilisent le corps pour combattre ou pour fuir. Comme ce système est conçu pour défendre le corps des agressions physiques, les poils se hérissent (pour donner un air plus imposant face à un prédateur), le cœur bat plus rapidement, les muscles se tendent et la digestion cesse ; en danger de mort, ce n’est pas le moment de digérer ! Pas étonnant qu’ensuite on ressente des douleurs musculaires ou des troubles digestifs. Si les hormones de stress ne sont pas évacuées dans l’action, elles finissent par nuire à la santé. À la longue, par exemple, le système immunitaire peut devenir moins efficace et les taux de cholestérol et d’insuline se détraquer et entraîner une maladie de cœur et du diabète.

Que faire pour évacuer cette énergie accumulée ?
S. Lupien : On peut faire de la marche rapide ou grimper des escaliers, même au bureau. Si on est coincé dans la circulation, quelques respirations profondes peuvent suffire. Je conseille la respiration abdominale : on gonfle l’abdomen le plus possible, ce qui détend le diaphragme et réduit la tension.

S. Marquis : Par ailleurs, résoudre les difficultés a un effet positif sur le corps. Plusieurs de mes patients qui se plaignaient d’épuisement ont vu leur fatigue disparaître lorsqu’ils ont découvert des solutions à leurs problèmes ! Ne plus se sentir impuissant a décuplé leur énergie.

Qu’arrive-t-il si, après qu’on a tout tenté, la cause du stress persiste ?
S. Marquis : Hélas ! ce sont des choses qui arrivent. Il faut alors « lâcher prise », c’est-à-dire diriger son attention ailleurs. Mais il ne faut pas confondre « lâcher-prise » et « abandon ». L’abandon, c’est de laisser tomber avant d’avoir essayé, c’est d’abdiquer en se disant : « Ça ne donnera rien, il (elle) ne m’écoutera pas. » Par contre, si on a la satisfaction d’avoir tout tenté, il est plus facile de décrocher et de poursuivre sa route.

De quelle façon poursuit-on sa route, comme vous dites ?
S. Marquis : Au travail, on peut choisir de se concentrer sur la tâche à accomplir plutôt que sur les conflits. On peut aussi développer des relations d’entraide avec certains collègues. On peut investir davantage dans sa vie personnelle. Parfois, quand tout va trop mal, au travail ou dans une relation de couple, il faut songer à partir. Cela demande du courage, mais c’est souvent meilleur pour la santé que de rester là, à supporter l’insupportable. Parfois on pense que c’est au-dessus de nos forces, mais il faut se faire confiance. Comme médecin, je rencontre tous les jours des gens qui ont essayé de nouvelles choses et qui se sont ainsi découvert des ressources et des talents qu’ils ne soupçonnaient pas.  

POUR TOUT SAVOIR EN PRIMEUR

Inscrivez-vous aux infolettres de Châtelaine
  • En vous inscrivant, vous acceptez nos conditions d'utilisation et politique de confidentialité. Vous pouvez vous désinscrire à tout moment.