Psychologie

L’amitié au microscope

À 75 ans, on aura rencontré 50 000 personnes, paraît-il. Mais seules quelques-unes d’entre elles auront droit au titre d’ami. Pourquoi se lie-t-on à certains êtres plus qu’à d’autres? Et puis, à quoi ça sert, l’amitié? Les explications de la science.

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Vous comptez plus de 730 amis Facebook ? Bravo. Mais, pour vrai, sont-ils tous des amis ? Bien sûr que non. Et vous avez une très bonne excuse : votre cerveau ne peut gérer un tel nombre de relations, disent les scientifiques.

La tribu, le clan, le village. Pour la plus grande partie de son histoire, l’Homo sapiens a vécu dans de petites communautés. Et a développé un cerveau approprié. Selon le Britannique Robin Dunbar, anthropologue et biologiste de l’évolution, nous ne pouvons cultiver plus de 148 relations significatives – c’est ce qu’on appelle le nombre de  Dunbar. Mais nous n’aurions que de trois à cinq amis intimes, à qui nous consacrons 40 % de notre vie sociale par semaine.

Un investissement rentable : les copains sont essentiels pour rester en bonne santé physique et mentale, révèlent quantité d’études récentes. Quitte à s’en fabriquer un imaginaire en cas d’isolement extrême, tel le héros du film Cast Away (Seul au monde), joué par Tom Hanks, qui, naufragé sur une île déserte, baptise un ballon de volleyball Wilson et s’en fait un confident… C’est qu’avoir peu de liens sociaux augmente le risque de mort prématurée autant qu’être trop gros ou fumer, ont analysé des chercheurs américains à partir de données provenant de 300 000 personnes.

Parmi les bienfaits de l’amitié démontrés par la science : moins de décès lors d’un cancer du sein, moins de rhumes, plus de résistance face aux épreuves de la vie. Ça s’expliquerait en partie parce que la présence de copains fait baisser le taux de cortisol – l’hormone produite par le corps quand on est stressé. Le rôle d’un ami serait même plus déterminant que celui d’un amoureux et de parents dans le combat contre la maladie, avancent des chercheurs.

L’union fait la force
Bref, ce n’est pas très romantique, mais on se fait des amis pour sauver sa peau, nous apprend la biologie évolutionniste. En effet, c’est en partie parce qu’il est sociable que l’Homo sapiens s’en est tiré jusqu’ici, ayant été peu choyé côté dents pointues et griffes acérées. « L’amitié est une colle psychologique qui nous soude aux autres pour faire obstacle à l’ennemi », explique Henry Markovits, spécialiste en psychologie du développement à l’UQAM.

Cette « colle » permet aussi de chasser le mammouth, d’éduquer des enfants, de construire des villes. « L’amitié existe parce que les humains ont compris qu’ils étaient plus compétents à plusieurs qu’en solo », dit le philosophe Benoît Dubreuil, dont la thèse de doctorat portait sur la coopération et l’apparition des hiérarchies  chez l’humain. « Pour survivre, ils ont intérêt à partager, à rendre service, à prendre soin des autres. Il faut se faire des alliés. »

C’est toi que j’aime
Soit. Mais pourquoi Clara plutôt qu’Alice ? Antoine et pas Xavier ? Qu’est-ce qui dicte le choix d’un compagnon ? « Parce que c’était lui, parce que c’était moi », écrivait Montaigne au sujet de son amitié pour Étienne de La Boétie. Une amitié qui n’était pas le fruit de « quelque occasion ou commodité », mais d’une « force inexplicable » unissant leurs âmes, disait-il.

Les résultats des enquêtes psychosociologiques sur l’amitié lui donnent raison : « On peut s’entendre à merveille avec des relations d’affaires et des gens qu’on rencontre au parc à chiens, indique le philosophe Benoît Dubreuil. Mais on ne les désigne pas comme étant nos “amis” parce que, dans notre culture, ce terme suppose que les deux parties sont réunies d’un commun entendement, de façon volontaire, et non parce que le contexte les y contraint. »

On se lie surtout à des gens du même âge et du même sexe que nous, provenant de milieux socioéconomiques semblables et dont les comportements correspondent aux nôtres. Bref, le proverbe a raison : qui se ressemble s’assemble. Même sur le plan génétique, a découvert une équipe de l’Université de Californie. Mais l’autre proverbe a aussi raison : les contraires s’attirent. Bien que ses travaux en soient encore au stade préliminaire, James Fowler, un spécialiste de la génétique et des liens sociaux, croit même possible qu’on choisisse des copains (et des amoureux) nous protégeant naturellement de certaines maladies. En effet, on aurait tendance à jeter son dévolu sur un partenaire dont le système immunitaire combat des maladies contagieuses auxquelles on n’est pas résistant, diminuant ainsi le risque d’y être soi-même exposé. On n’est jamais trop prudent…

D’amour ou d’amitié?
Affinités, communication, confiance : nos amis et nos amours ont souvent beaucoup en commun, révèlent les enquêtes. Pourtant, notre cerveau réagit bien différemment dans les deux cas, dit le psychiatre suisse Francesco Bianchi-Demicheli, spécialiste de la fonction sexuelle humaine. Depuis 2005, son équipe analyse les réactions des neurones selon que notre cœur batte ou non la chamade. Ils ont découvert que l’amour déclenche un branle-bas pas mal plus complexe que l’amitié. En tout, une douzaine de régions du cerveau s’allument quand on évoque l’être aimé, notamment celles liées à la motivation, à la récompense, à la capacité de socialiser. Pour citer Jules Renard, « L’amitié est un oiseau d’amour qui a la queue coupée. »

Crêpage de chignon
Jusqu’au 19e siècle, l’amitié est perçue comme une « affaire de gars », explique l’historienne Anne Vincent-Buffault dans Une histoire de l’amitié (Éditions Bayard, 2010). Elle naît au combat, dans la sueur et le sang. On pense alors que les femmes n’ont pas le tempérament pour tisser des liens serrés… Si ces préjugés ne tiennent plus, il appert que les deux sexes ont tout de même un rapport différent à l’amitié, soutient la science. Par exemple, les filles valorisent plus que les hommes l’authenticité, l’intimité et la solidarité, selon une vaste enquête américaine. Mais leurs relations résisteraient moins au conflit. Cela tient en partie au fait qu’elles sont en compétition les unes avec les autres pendant leur période de fertilité, explique le psychologue Henry Markovits, qui collabore depuis quelques années à une étude canado-américaine sur l’amitié. Mais c’est aussi parce qu’elles ont des rapports plus intimes entre elles, alors que les gars se tiennent en gang. « Les tensions se noient plus facilement dans une dynamique de groupe. Certains jouent le rôle de modérateur. C’est compliqué dans une relation à deux, les conflits ont plus de poids… »

Copains comme cochons
Les scientifiques ont longtemps cru que les animaux n’avaient aucun intérêt à se faire des amis, que seul le sort de leur famille leur importait. Or, des cas d’amitié solide et durable ont été documentés ces dernières années, entre autres chez les chimpanzés, les dauphins, les hyènes et les chevaux. Il arrive même que des animaux de différentes espèces deviennent amis, la paire la plus improbable étant Mzee la tortue et son inséparable pote Owen l’hippopotame, qui vivent dans une réserve naturelle au Kenya (les photos du couple abondent sur le Web). Mais attention ! Il ne suffit pas que deux chiens sympathisent au parc ou dorment enlacés pour conclure à de l’amitié. Chez les animaux, les vrais de vrais camarades partagent la pitance, se protègent l’un l’autre contre les emmerdeurs, font leur toilette mutuelle, se rendent service sans attendre le retour d’ascenseur. Et traversent des périodes de deuil quand la mort les sépare.

 

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