Psychologie

Quelles sont les crises de la vie adulte ?

À 30, 40, ou 50 ans, la vie adulte est ponctuée d’orages et d’embellies. Le corps change, bien sûr, mais aussi les valeurs, les préoccupations et la conception de l’existence. Des experts nous en parlent.

C’est au cours d’un reportage en Irlande du Nord, alors en pleine guerre civile, que la journaliste américaine Gail Sheehy a amorcé sa crise de la quarantaine. Un homme qu’elle interviewait sur le balcon d’un immeuble a été interrompu au beau milieu d’une phrase; il venait d’être tué d’une balle en plein visage.

Ce face-à-face avec la mort allait bouleverser la vie de la jeune femme. Jusque-là, sa carrière avait pris toute la place. Désormais, plus rien n’avait d’importance. Elle se demandait pourquoi elle n’avait pas de vie privée, de maison, de conjoint. C’est à la suite de ce choc qu’elle a écrit un livre qui allait devenir un best-seller mondial: Les passages de la vie – Les crises prévisibles de l’âge adulte. «Tout le monde ne se retrouve pas, à 30 ans, confronté à la mort en direct, dit-elle. Mais au cours de l’âge adulte, chacun de nous traverse des crises ou des remises en question, qui nous transforment et qui nous font avancer.»

Tout change

Car la vie adulte n’est pas un long fleuve tranquille. Nous ne sommes pas les mêmes à 30, 40 et 50 ans. La transformation n’est pas que physique: nos valeurs et notre façon de voir la vie changent aussi. Certains psychanalystes comme Carl Jung, Erik Erikson ou Daniel Levinson ont découpé la vie adulte en tranches de 5 ou de 10 ans.

«Chaque nouvelle étape est précédée d’une crise ou plutôt d’un choc qui conduit à une prise de conscience, explique Simone Landry, psychologue et chercheuse à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Ce peut être un événement ordinaire comme la naissance d’un premier enfant, la première relation amoureuse, la première rupture ou des accidents de la vie comme une maladie, un congédiement…»

Parfois, on ne vit qu’un vague malaise existentiel. Ce qui faisait son bonheur à 30 ans laisse tiède 10 ans plus tard. On cherche autre chose. Quoi? Avant de le découvrir, on traverse une période de doute et de questionnement, on a l’impression d’avancer à tâtons.

Puis un jour, on a une «révélation». On vient de comprendre quelque chose.

Qui sera-t-on à 30, 40 et 50 ans? Les frontières entre les âges sont plus floues qu’avant. Autrefois, le parcours de la vie adulte se déroulait en ligne droite: on obtenait son diplôme, on trouvait un job, on se mariait, on faisait des enfants, on prenait sa retraite. Aujourd’hui, on peut avoir un enfant avant de se marier, décrocher un boulot avant d’avoir terminé ses études ou entreprendre des études après avoir travaillé des années. Tous les scénarios sont possibles.

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L’âge des tumultes

Si la vingtaine est la décennie de l’exploration, des essais et des erreurs, la trentaine est celle des choix. Et comme aujourd’hui on est jeune plus longtemps, le cap des 30 ans est considéré comme l’entrée dans la vie adulte.

«Au début de la trentaine, la plupart du temps, on est engagée dans une relation de couple, on commence à s’enraciner, on a un travail qui convient», explique la psychologue Sonia Nadeau, qui reçoit en consultation des femmes de tous âges. Au travail, c’est la décennie de la performance. On veut faire sa place et on ne ménage ni son temps ni ses forces.» On est remplie d’énergie.

«La trentaine est une des décennies les plus intenses, dit pour sa part Gilles Pronovost, professeur de sociologie et chercheur à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR). On fonde une famille, on achète sa première maison, on commence à accumuler les dettes.» Pour les femmes s’ajoute la question des enfants. «Si elles en ont, poursuit le chercheur, elles devront choisir entre freiner leur carrière pour se rendre plus disponible et tout mener de front, quitte à s’épuiser! Dans le cadre d’une étude, j’ai mesuré la quantité de stress au cours de la vie: celles qui en supportent le plus sont les femmes qui ont de jeunes enfants et qui travaillent.»

Sans compter que toutes les études montrent que ces dernières années, dans les postes de responsabilité, le travail s’est intensifié et les horaires se sont allongés.

Mais le parcours n’est pas le même pour toutes même si, à cet âge, les femmes sont en général prêtes à s’engager dans un couple. «Au début de la trentaine, celles que je reçois en consultation ne sont pas encore fixées dans la vie, ajoute la psychologue Sonia Nadeau. Et ça “urge”, car elles veulent trouver leur place.»

À la fin de la trentaine, par contre, on consulte pour des raisons totalement différentes. «Ce que j’entends, c’est: je suis essoufflée, je n’arrive pas à tout concilier, j’ai besoin d’aide.» À cet âge arrivent la fatigue et les premiers bobos qui annoncent parfois un épuisement professionnel.

«Celles qui sont malheureuses dans leur travail ont alors beaucoup de problèmes de santé. Des problèmes qui finissent en “ite”, fait remarquer Sonia Nadeau. Comme des tendinites, des bronchites, des pharyngites…» On n’est plus invulnérable et le corps le fait savoir. Non seulement le travail prend beaucoup de place, mais en plus, ces femmes tiennent la vie domestique à bout de bras. C’est là que les problèmes conjugaux apparaissent.»

C’est aussi quand s’achève la trentaine que se pose la question à 1 000 $: «Coudon, ai-je fait tous ces efforts pour en arriver à ÇA?»

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L’âge des doutes

Selon le psychologue Daniel Levinson, entre 40 et 45 ans, on vit la transition du milieu de la vie. Comme une deuxième crise d’adolescence, qui mène à un second âge adulte: l’âge mûr, de 45 à 60 ans.

D’une part, on récolte ce qu’on a semé. «On a eu ses enfants, on a investi dans sa carrière, les enfants sont plus grands, on a plus de liberté», explique Sonia Nadeau.

D’autre part, les premiers signes de l’âge apparaissent. On se fait de plus en plus souvent appeler «madame». On n’arrive pas à comprendre comment on a pu se blesser un tendon en voulant battre son adversaire au tennis. Et si on résiste à l’idée de porter des lunettes, on doit se munir d’une loupe pour lire les petits caractères.

Mais c’est aussi l’âge des premiers doutes; les choses en lesquelles on croyait dur comme fer paraissent tout à coup moins sûres. Des amis ou des membres de la famille éprouvent des problèmes de santé. On commence à comprendre que l’on n’est pas éternelle.

C’est l’âge du premier regard en arrière, selon la psychologue Simone Landry. «On repense à ses 20 ans et on se demande si on a fait les bons choix. Et puis c’est le temps ou jamais de faire un enfant. «Même celles qui n’en voulaient pas se posent de nouveau la question… et découvrent parfois qu’elles ont changé d’idée.»

C’est aussi le moment où bien des couples montrent des signes de fatigue. Les tensions accumulées dans la trentaine peuvent dégénérer. Le couple écope.

Mais si la famille est lourde à porter, les femmes qui ont tout misé sur leur carrière et qui se retrouvent sans enfant ni conjoint ne sont pas plus heureuses. «Elles consultent souvent pour un épuisement professionnel lié au travail, dit la psychologue Sonia Nadeau. La déception causée par les conflits ou le manque de reconnaissance prend énormément d’importance parce qu’elles ont mis tous leurs œufs dans le même panier.»

De toute façon, la vision de la carrière change à cet âge. «Ce qui semblait excitant a tout à coup l’air moins intéressant, dit Gilles Pronovost, de l’UQTR. On constate qu’il reste encore 20 ou 25 ans à travailler, peut-être plus. On se demande: je change de job ou je reste là?»

Si à 30 ans on luttait pour faire sa place, à 40 ans, on veut se réapproprier tous les aspects de sa personnalité négligés pendant la course au succès, selon Catherine Morneau, conseillère en orientation. «Parfois ce sont des qualités de leader, parfois c’est la créativité ou un désir d’entrer en contact avec des gens.» Certaines vont changer de carrière. Mais la plupart vont plutôt modifier leur trajectoire, tout en gardant la même identité professionnelle. Par exemple, une infirmière qui rêvait de travailler en communication suit une formation qui lui permettra de superviser la production de vidéos éducatifs à l’intention d’autres infirmières.

Car intellectuellement, on est au sommet de sa forme. Même si la mémoire commence à jouer des tours, on comprend plus de choses à 40 ans qu’à 20. «L’intelligence évolue: on met les événements en contexte quand on vieillit, explique Sonia Nadeau. À 20 ans, pour chaque problème, il y a une solution. À 40, on découvre qu’il y a en plusieurs! On a une vue d’ensemble qu’on ne peut pas avoir avant.»

L’âge de la créativité

À 50 ans, on comprend que la petite crème à 50$ qui promet des miracles n’en fera plus. C’est l’âge où l’on cesse d’arracher ses cheveux gris par crainte de se retrouver chauve! On se sent gonflée et de mauvaise humeur. «Est-ce que la ménopause dure longtemps?» demande prudemment le conjoint.

Hélas! On a peu de temps pour pleurer sur ses rides. Car on est mise en présence de quelque chose de plus grave: la fin de l’existence. À cet âge, rares sont celles qui n’ont pas perdu un parent ou un ami. La mort n’est plus quelque chose de lointain et, pour la première fois, on sait que le temps est compté.

«Entre 50 et 60 ans, on se rend compte que ses forces physiques diminuent, dit la psychologue Simone Landry. Pour moi, ça s’est produit lors d’un voyage au Guatemala avec ma fille. Nous voulions escalader le volcan San Pedro, mais aux deux tiers de la montée, j’ai dû accepter le fait que j’étais incapable de continuer. Je venais de rencontrer le volcan de mes limites!»

Déprimant? «À cet âge, il est très important d’avoir des projets, répond Simone Landry. Pour trouver l’inspiration, on peut se remémorer ce que l’on voulait faire quand on était jeune.» Car la cinquantaine réserve aussi de belles surprises. «Beaucoup de femmes développent alors leur créativité, dit Sonia Nadeau. Elles commencent à peindre, à écrire. Les enfants ont grandi, elles ont plus de temps. Après des années passées à gérer la maisonnée, elles s’ouvrent sur le monde extérieur.»

La majorité des femmes de 50 ans qui consultent Sonia Nadeau vivent la vie qu’elles veulent: «Elles s’entraînent, surveillent leur alimentation et sont en forme.»

Même constatation chez Gail Sheehy. «À 50 ans, nombre de femmes se sentent bien dans leur peau. La plupart de celles que j’ai interviewées étaient au plus bas à 47 ans. Pourtant, six ans plus tard, à 53 ans, c’est l’âge où elles se sentent le mieux.» Un exemple? La chanteuse Tina Turner qui, à 53 ans, disait: «Une vieille femme ne peut pas faire de rock’n’roll.» C’est pourtant à cet âge qu’elle a connu ses plus grands succès; son spectacle live a été télédiffusé partout dans le monde. Quel retour pour une femme battue pendant des années par son mari et associé!

Et après?

Surprise! Il y aurait une vie après la cinquantaine! À 75 ans, Naomi Kahane est professeure de sciences humaines à l’Université Concordia, à Montréal. Après avoir élevé ses trois fils et traversé un divorce, elle s’est inscrite en relations humaines à la même université. Elle avait alors… 62 ans. Trois ans plus tard, elle passait son baccalauréat. À 67 ans, elle obtenait sa maîtrise. «La vieillesse n’est pas obligatoirement une dégringolade, dit-elle. J’enseigne à mes étudiants qu’il est possible à chacun d’entre eux de réaliser ses rêves. Mais pour cela, on doit accepter de faire face au changement.»

On peut dire qu’elle prêche par l’exemple: une semaine après notre conversation, elle partait à l’aventure en Amérique centrale…

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