À force d’exposer ici et là notre binette et nos états d’âme sur Twitter, Facebook ou Instagram, sommes-nous en train de devenir narcissiques sans nous en apercevoir?
Ah, les photos de 5 à 7 avec le Tout-Montréal, les récits de voyages sur la côte Ouest des États-Unis, les nouveaux looks qui rajeunissent de 15 ans, Photoshop aidant… Facebook me tombe sur les nerfs. Et je ne suis pas la seule. « Ce n’est plus l’album de souvenirs que l’on partage avec ses amis, c’est une mise en scène de soi où l’on ne présente que la meilleure image. » Celui qui le dit a déjà été un grand adepte de ce média social, notamment à titre de consultant.
Mais il a déchanté. Alexandre des Isnards a écrit en collaboration avec Thomas Zuber un livre à la fois comique et impitoyable sur le phénomène, Facebook m’a tuer (sic) chez NiL éditions. Il y raconte comment ce réseau de plus de 600 millions d’utilisateurs a bouleversé les relations entre amis, conjoints et fratries. Et le rapport à soi.
« On vit dans une période désenchantée, sans projet collectif, déclare avec aplomb le Français de 39 ans. Alors, notre projet, c’est nous-mêmes. Les réseaux sociaux sont un exemple flagrant de notre société narcissique. »
Narcissique. Voilà, le mot est lâché. Deux étudiants sur trois le concèdent : leur génération est plus encline à l’autopromotion et au narcissisme que la précédente, selon une étude américaine menée en 2009. Près de la moitié d’entre eux attribuent ce changement aux réseaux sociaux comme Facebook, MySpace et Twitter. Et ce sont des jeunes de 20 ans qui l’affirment ! Dans The Narcissism Epidemic, Jean Twenge et Keith Campbell font le même constat. « Nous élevons nos enfants en leur disant : “Tu es une princesse, tu es spécial, tu es merveilleux”. On devrait également leur montrer à ne pas taper sur le voisin et à partager leurs jouets. »
Ces deux chercheurs en psychologie américains utilisent l’image de la table pour décrire le narcissisme de nos sociétés : la première patte est une éducation permissive où l’on apprend à prendre sa place, et tant pis pour les autres. La deuxième repose sur la culture de la célébrité instantanée – si on fait quelque chose d’assez déjanté, on passera à la télé. La troisième, le crédit, qui permet de réaliser dès maintenant tous ses rêves, quitte à déclarer faillite demain. La quatrième, les réseaux sociaux, où l’on tourne la caméra vers soi. « On vit dans un monde axé sur la cupidité, les relations superficielles et l’isolement, constate Keith Campbell. Dommage. » Les réseaux sociaux n’en seraient-ils pas le reflet plutôt que la cause ?