Psychologie

Tout remettre au lendemain, ça se guérit !

Adieu plans de carrière, projets, amours. Les procrastinateurs voient leur vie leur passer sous le nez et gâchent souvent celle des autres. Que faire ?

Le mot procrastination a beau peser des tonnes, il fait sourire. Ah, la collègue qui répond : « pourquoi faire aujourd’hui ce qu’on peut faire demain ? » quand on lui réclame un dossier ! Dans un monde en accélération constante, les retardataires chroniques finissent par exaspérer.

Définie comme étant la tendance à tout remettre au lendemain, la procrastination peut être chez certains une simple habitude. Il y a donc moyen de s’en débarrasser. Chez d’autres, par contre, c’est devenu un mode de vie, voire un trait de personnalité. Et là, il y a du travail à faire !

Barry Buteau, un résident de Gatineau de 33 ans, se considère lui-même comme un cas lourd. Josée Clément, qui vit depuis trois ans en famille reconstituée avec ce solide garçon et ses deux enfants, en a long à dire sur les travers de son compagnon. Employée administrative à Gatineau, cette jeune femme de 28 ans, toute menue, est aussi organisée que Barry est brouillon. « Un soir, la police a sonné à notre porte. Il avait accumulé 49 contraventions non payées, pour un joli total de 2 000 $. Comme nous n’avions pas la somme, il a passé la nuit en prison. C’était le jour de la fête des Mères… »

En retard, mais pas paresseux !

Pourtant, Barry souffre d’être perçu comme irresponsable. « Derrière une façade décontractée, dit Dania Ramirez, psychologue à l’Université de Montréal, les procrastinateurs vivent souvent un stress intense. » Barry dirige avec deux associés deux boutiques de tatouage qui emploient 13 personnes à Ottawa. Il se sent constamment débordé. « La nuit, je dors mal. En me levant le matin, je pense à toutes les choses urgentes que j’ai repoussées : les rendez-vous avec les clients, les lunchs des deux enfants. Déjà, je suis épuisé. »

D’après les psychologues américaines Jane Burka et Leonora Yuen, auteures de Comment ne plus être en retard (Pocket), la procrastination peut démolir des carrières, ruiner des relations de couple. Et elle traîne un lourd cortège : sentiment de culpabilité ou d’incompétence, faible estime de soi, parfois dépression.

Paresseux, les procrastinateurs ? Ils peuvent travailler comme des forcenés ! Le problème, c’est qu’ils sont paralysés devant LA tâche la plus urgente — celle qui les attire le moins. En plus de leurs divers prétextes douteux comme : « Je ne travaille bien que sous pression » ou « J’ai encore le temps », les psychologues s’accordent à dire que, en général, ils ont une très mauvaise notion du temps et évaluent fort mal la durée nécessaire à la réalisation d’une tâche.

La voiture de Barry est devenue un cimetière de documents importants, dont sa dernière déclaration de revenus. « Mon comptable m’a dit que j’avais juste un timbre à mettre sur l’enveloppe. Celle-ci est dans la boîte à gants depuis plusieurs semaines, avec le certificat de naissance de ma fille, que je dois remettre à son école, sinon, elle risque de ne pas être inscrite l’an prochain à la prématernelle… Il y a aussi ma demande de passeport, des ordonnances d’examens médicaux urgents. » Il a renoncé à calculer l’argent perdu en pénalités pour les déclarations de revenus, les DVD et les livres de bibliothèque remis en retard. Et la garderie, où il arrive souvent après l’heure. « À 1 $ la minute, ça grimpe vite ! Je suis conscient que cela crée de la tension dans notre couple. »

Des personnalités émotives

Josée a testé diverses stratégies. « Je lui ai acheté un superbe agenda, qui est resté dans le tiroir. » Les listes de choses à faire ? Inopérantes. « Il est aussi vain de dire à un procrastinateur qu’il suffit de s’organiser que de déclarer à un déprimé que la vie est belle », affirmait, il y a quelques années, lors du congrès annuel de l’American Psychological Association, le psychologue Joseph Ferrari, le premier à étudier de près la procrastination, à la fin des années 1990.

« Les ultimatums, ça marche encore moins, poursuit Josée. Les reproches non plus, car il est hypersensible. » Le stress des procrastinateurs dissimule beaucoup d’émotions refoulées. La caractérologie les classe d’ailleurs dans les personnalités émotives. « J’essaie de garder un équilibre en me protégeant, dit Josée. Ce serait injuste que je m’en mette trop sur le dos ! Il y a certaines choses que je fais à la place de Barry, comme payer les factures. Pour le reste, j’ai remarqué que si je mentionnais, sans insister, que mes parents viennent en visite et que la maison est sens dessus dessous, il faisait le ménage au grand complet. »

Au travail, les associés de Barry ont fini par le délester de la gestion et lui laisser les relations publiques. « L’aspect organisation de l’entreprise me passe sous le nez, déplore-t-il. J’ai un peu l’impression d’être relégué dans un rôle secondaire. »

Souvent créatifs, les retardataires chroniques ont l’art de saboter leurs propres chances de succès. Dans les universités, où les examens imposent aux étudiants un intense parcours du combattant, la procrastination est un important facteur d’échec. Selon les chiffres publiés par l’Association des services aux étudiants des universités et collèges du Canada, 95 % des étudiants et étudiantes procrastinent à l’occasion, 75 % se définissent comme procrastinateurs et 30 % ressentent cette habitude comme un handicap.

« La procrastination n’est pas liée au sexe, dit la psychologue Dania Ramirez, qui donne à l’Université de Montréal des ateliers intitulés La folie de la dernière minute. Cependant, hommes et femmes ne remettent pas les choses au lendemain pour les mêmes raisons. Les garçons vont perdre du temps en s’éparpillant. Plus organisées, les filles se bâtissent des horaires très ambitieux… mais réagissent par la paralysie ! » Et une fois sur le marché du travail ? La psychologue a constaté que les procrastinateurs diplômés ont tendance à continuer à se traîner les pieds : il n’est pas rare qu’ils reviennent la consulter.

Ultraperfectionnisme

À l’Université de Sherbrooke, la psychologue Ginette Cloutier donne aussi des ateliers pour aider les procrastinateurs dans leur combat quotidien. « L’un des premiers exercices que je leur propose, c’est de se rappeler la première fois où ils ont repoussé quelque chose au lendemain. Ils trouvent tout de suite ! »

Cette mauvaise habitude date généralement de l’enfance. « Les procrastinateurs, dit Ginette Cloutier, ont souvent eu des parents très perfectionnistes qui leur imposaient des cours de danse, de piano, de hockey. Et cela les a profondément marqués. »

C’est le cas de Charles, 23 ans, étudiant en administration à l’Université de Sherbrooke. « Mon père était architecte, dit-il. Je l’aidais à faire des travaux dans la maison mais il était extrêmement exigeant. Et je ne comprenais pas pourquoi il n’était jamais content de moi ! Aujourd’hui, quoi que je fasse, j’ai toujours l’impression que je vais être en dessous de la perfection. »

La personne qui temporise préfère l’inaction à la remise d’un travail imparfait, entretenant ainsi l’illusion de pouvoir accomplir des merveilles. Les psychologues Burka et Yuen soulignent qu’il y a beaucoup de peurs derrière la procrastination. Peur d’être évalué, peur de l’échec, dur à encaisser pour l’ego, mais aussi peur de la réussite, qui risque d’apporter un surcroît de travail et peut-être de susciter des jalousies. « Il y a aussi la peur que les autres prennent trop de place dans sa vie, dit Ginette Cloutier. Quand on reporte ce qu’on a à faire, on évite de s’engager, tout reste possible. »

Stimuli à la pelle

Que les éternels retardataires se rassurent un peu : il y a aussi des causes sociales à la procrastination. Aucune étude n’a encore prouvé qu’elle soit en expansion, mais les occasions de temporiser, de plus en plus nombreuses, peuvent même toucher les personnes qui, normalement, sautent sur l’action. Les fautives ? Les nouvelles technologies, très « procrastinogènes ». Hyperstimulés par les informations qui fusent de partout, nous finissons par ressembler à des poules sans tête. « Avec le courrier électronique, le Net, les SMS, on pourrait passer sa vie à communiquer virtuellement, dit la psychologue Dania Ramirez. Les étudiants peuvent passer trois heures à naviguer, perdant ainsi complètement la notion du temps ! Dans mes ateliers, je leur demande de fermer leur ordinateur pendant les pauses. À un moment donné, il faut savoir faire le deuil de tout ce qu’on ne peut pas apprendre. »

François Gamonnet, qui dirige à Montréal l’Institut de gestion du temps et est consultant depuis 26 ans pour de grandes firmes comme Bell Canada et le Groupe L’Oréal, remarque que, dans les entreprises, on considère de plus en plus la procrastination comme un problème sérieux. « Les réductions d’effectifs ont accru la charge de travail des individus, dit-il. Parfois aussi, ceux-ci préfèrent se mettre en attente avant de passer à l’action car ils sont bombardés de directives contradictoires, ce qui, alors, n’est plus de la procrastination mais de la prudence… »

À son avis, l’action a peut-être été un peu trop privilégiée par rapport à la réflexion. « Idéalement, on devrait consacrer un jour par semaine à réfléchir sur le long terme. Sinon, c’est action-réaction ! Et, à la longue, le court terme tue le long terme. »

François Gamonnet ajoute que, pour les authentiques procrastinateurs, il y a un premier pas à faire : prendre conscience que leur inaction a des répercussions sur les autres, et apprendre à mieux travailler en groupe, quitte à confier des tâches à d’autres. Selon la psychologue Dania Ramirez, l’amélioration est toujours possible, sauf dans de rares cas associés à une pathologie ou à un déficit d’attention sérieux. « Il faut aussi garder en tête que la procrastination peut être le symptôme de quelque chose : une erreur d’orientation, un travail qui pèse. »

Charles estime avoir beaucoup progressé en un an, grâce à l’atelier de Ginette Cloutier. « J’ai commencé par cibler mon objectif : je veux créer ma propre entreprise et la procrastination ne doit pas être un obstacle. » Et il a fait le ménage de tous les « gobe-temps », en particulier le branchement Internet dans sa chambre.

Quant à Barry, il pense avoir fait un pas en prenant conscience du poids que son habitude fait peser sur son entourage. « Il me faudrait de l’aide psychologique. Dommage qu’il n’existe pas d’association de procrastinateurs anonymes ! Quoique les réunions seraient toujours remises… »

Procrastinateurs de génie

Saint Augustin. Côté respect des délais, ce n’était pas un saint.

Léonard de Vinci. Beaucoup de ses œuvres sont restées à l’état d’ébauches.

Wolfgang Amadeus Mozart. Il expliquait ses retards à son père par son perfectionnisme : « Cette composition doit aller dans le monde et je ne veux pas avoir honte d’inscrire mon nom sur la partition. »

Franz Kafka. Trois grands romans, tous inachevés. Et ses hésitations ont découragé sa fiancée.

François Mitterrand. Le président français aimait dire : « Il faut laisser du temps au temps. »

Marilyn Monroe. « Avec elle, toujours en retard, il fallait avoir la patience d’un moine », disait le réalisateur Billy Wilder.

Judy Garland. Incapable de tenir ses engagements artistiques, la chanteuse et actrice a perdu une fortune en procès pour désistement.

Sept trucs pour arrêter de remettre à demain

1. S’inventer un mot d’ordre : « Maintenant », « Fais-le donc », etc. Magique pour déclencher l’adrénaline et passer à l’action.

2. Morceler une tâche par tranches de 10 minutes permet de surmonter le blocage initial. Et une fois sur les rails…

3. Occuper ses temps morts à des activités faciles. Histoire de rester actif.

4. Freiner l’agitation mentale : « Les procrastinateurs pensent trop, agissent peu ! dit la psychologue Ginette Cloutier. Comme exercice, je leur demande d’aller faire une promenade et de ne penser à rien d’autre qu’à ce qui les entoure. »

5. Se convaincre que la tâche remise au lendemain a des côtés agréables (il y en a toujours !) alors que la gratification immédiate qu’on s’accorde à la place va être chèrement payée.

6. Comprendre que la seule personne qui exige la perfection, c’est soi-même !

7. Définir ses objectifs à long terme. Et y aller en ligne droite.

Ressources

À lire
• Rita Emmett, Ces gens qui remettent tout à demain (Les Éditions de l’Homme)
• Jane Burka et Leonora Yuen, Comment ne plus être en retard (Pocket)
• Bruno Koeltz, Comment ne pas tout remettre au lendemain (Odile Jacob)
• Terry Pratchett, Procrastination (L’Atalante)
• Brian Tracy, Avalez le crapaud ! (Trésor caché)

À écouter
• iProcrastinate Podcasts – Procrastination Research Group, Carleton University, Ottawa (baladodiffusions en anglais)

À visiter

En anglais :
Procrastination Research Group – Carleton University, Ottawa
Procrastination : Ten Things to Know

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