10 femmes qui nous inspirent
Dre Joanne Liu
Présidente internationale de Médecins sans frontières, pédiatre urgentologue
Elle nous inspire… parce qu’elle défend avec conviction les populations démunies.
À la tête de MSF depuis 2013, vous avez été reconduite pour un second mandat de trois ans en juin dernier. On vous voit et on vous entend partout. Vous avez même fait bouger les choses durant l’épidémie d’Ebola en Afrique… Tout le monde vous écoute !
Je pense que mon leadership ressort dans les moments difficiles. Les trois dernières années ont été éprouvantes, mais formatrices. Je me sens plus outillée pour livrer mes prochaines batailles. L’épidémie d’Ebola a démontré l’échec du modèle actuel de recherche et développement – aucun vaccin n’a pu éradiquer le virus. J’espère créer un fonds mondial dépourvu d’intérêts économiques, financé par les États. Il en va de la santé publique. La crise des migrants est aussi une priorité. Les gens se déplacent pour échapper aux guerres, aux régimes totalitaires, à la famine. Les femmes sont les plus vulnérables, victimes d’abus et de violence sexuelle.
Vous êtes prompte à dénoncer sur les réseaux sociaux les horreurs des conflits armés et les besoins urgents en santé. L’organisation même a gagné en visibilité.
Twitter me permet d’exprimer mes opinions sur les sujets qui me tiennent à cœur. On se sert aussi des réseaux sociaux pour faire des campagnes virales et rajeunir notre audience. Les générations X et Y n’ont pas les mêmes façons de communiquer que les baby-boomers, à l’origine de MSF. L’an dernier, j’ai été touchée par la vague de solidarité sur Facebook en soutien à nos collègues éprouvés par le bombardement d’un hôpital en Afghanistan. Des enfants ont publié des selfies avec les mots We are with you. Des centaines de lettres de sympathie ont circulé, de même qu’une pétition réclamant une enquête indépendante, que nous avons déposée à la Maison-Blanche.
Êtes-vous fière du travail accompli ?
La fierté ne me sied pas. Je travaille auprès de gens qui font face à une adversité à laquelle je ne survivrais pas. J’ai des petits moments de satisfaction. Par exemple, en septembre 2014, quand je suis allée parler aux États membres des Nations unies pour mobiliser les secours en Afrique de l’Ouest afin de contrer Ebola. Ou encore, en mai 2016, quand le Conseil de sécurité a adopté à l’unanimité la résolution pour protéger les hôpitaux en temps de guerre. La résolution n’est pas parfaite, mais c’est un pas dans la bonne direction.
Vous avez évoqué dans nos pages la création d’un fonds mondial financé par les États. Comment souhaitez-vous y contribuer ?
Ce fonds servirait à financer la recherche et le développement afin d’éviter que ne se reproduise une situation semblable à celle vécue lors de l’épidémie d’Ebola. Le virus a été découvert en 1976, mais aucun vaccin n’a été mis au point à ce jour pour le prévenir. Il n’existe pas de traitement spécifique ni de diagnostic rapide. Ce fonds permettrait de développer des outils pour enrayer des agents pathogènes oubliés, ignorés parce qu’ils ne représentent pas de marché lucratif ou de menace palpable. Mais le plus important, c’est de s’assurer que les produits développés soient abordables, accessibles et adaptables pour les plus démunis.
MSF est reconnu pour son travail humanitaire sur le terrain et dans le respect des populations (Prix Nobel de la paix, 1999). Quels combats vous accaparent le plus en ce moment ?
S’il y avait un mot pour résumer les défis auxquels fait face aujourd’hui MSF, ce serait : « accès ». Accès aux populations dans le besoin et en contexte de conflits, accès des populations aux soins et à l’assistance, accès des populations aux médicaments et aux technologies. L’organisation concentre ses efforts pour lutter contre les attaques envers les hôpitaux, gérer la crise des migrants et des réfugiés, répondre aux urgences médicales humanitaires et à la résistance antimicrobienne.
Comment rester dans la neutralité dans les circonstances actuelles, où des hôpitaux sont bombardés, où des enfants meurent de faim dans l'ignorance totale ?
L’organisation se positionne du côté des populations auxquelles elle apporte des secours d’urgence, peu importe les allégeances politiques, religieuses ou identitaires. MSF se doit de rester neutre, impartial et indépendant.
Que voudriez-vous dire aux lectrices de Châtelaine ?
Que se conscientiser par rapport à une crise, un conflit, c’est le premier pas pour bâtir une solution à un défi qui paraît insurmontable de prime abord. La voix de chaque citoyen compte, car nous sommes les « constituants » d’un gouvernement qui, au bout du compte, représente la voix de ses électeurs. [Mylène Tremblay]