Société

A-t-on encore besoin du féminisme ?

L’écrivaine et professeure Martine Delvaux publie un essai intitulé « Contre la haine des femmes » dans le livre-bilan L’état du Québec. On a saisi l’occasion pour discuter de l’état actuel du féminisme avec elle.

Pour lire l’essai de Martine Delvaux, « Contre la haine des femmes », publié dans L’état du Québec (Del Busso Éditeur), cliquez ici.

Martine-Delvaux

Photo: Patrick H. Harrop

 

Quand des stars comme Emma Watson et Beyoncé se déclarent féministes, quel impact cela a-t-il sur la cause ?

C’est controversé, parce que le féminisme pop n’est pas vraiment une forme directe de féminisme. Ces femmes font un geste sur la place publique en donnant une vitrine au féminisme : le mot circule, et c’est important. Par exemple, même si je suis très critique face au mouvement He For She, je trouve qu’Emma Watson fait preuve de courage en prenant la parole. Quand je vois Beyoncé danser en s’affichant avec le mot « féministe », je suis contente ! Il faut simplement prendre ces affirmations pour ce qu’elles sont, c’est-à-dire des manifestations qui n’enlèvent rien à des discours plus intellectuels ou d’autres formes de féminisme plus radicales. Il n’y a pas de rivalité, toutes les formes de féminisme servent la même cause.

Quel rôle jouent les réseaux sociaux au sein du féminisme 2.0 ? D’un côté, ils ont permis l’émergence du mouvement #agressionnondénoncée. De l’autre, on a vu apparaître des formes de cyberintimidation assez violentes.

De façon générale, je crois que les répercussions des réseaux sociaux sur le féminisme sont beaucoup plus positives que négatives. Je dois dire que je n’ai pas été une cible de cyberintimidation, alors je peux difficilement juger. Mais il reste que les réseaux sociaux sont pour moi un espace public, comme une agora. Ils ont permis une résurgence du mouvement féministe et une véritable mobilisation. Non seulement pour le féminisme, mais aussi pour le Printemps érable, par exemple. Évidemment, ces réseaux ont leurs limites : ça reste superficiel et ça va extrêmement vite. Il faut juste se rappeler que ces publications ne sont pas des études de fond ni des articles fouillés.

On dit parfois des filles de la génération Y qu’elles ne sont pas féministes. On a vu, par exemple, plusieurs d’entre elles se prendre en photo avec des affiches sur lesquelles était écrit « Je n’ai pas besoin du féminisme » pour telle ou telle raison. Comment analysez-vous ce phénomène ?

Je n’ai pas l’impression que les jeunes femmes sont moins mobilisées, et j’en vois beaucoup s’impliquer et prendre part au mouvement féministe. Mais bien sûr, il y en aura toujours à qui ça ne parlera pas. Ce qui m’inquiète, ce sont celles qui militent contre le féminisme.

Au départ, il y a un malentendu : on associe trop souvent le féminisme à la haine des hommes, alors que ce n’est pas du tout ça. Aujourd’hui, le féminisme n’est plus un « mauvais mot », on a passé le backlash des années 1990, mais il reste encore du chemin à faire. Un exemple flagrant ? Récemment, une manifestation féministe mixte (NDLR: constituée d’hommes et de femmes) a été entourée de policiers qui l’ont laissée se dérouler tranquillement. Une manifestation non-mixte (NDLR: constituée majoritairement de femmes), quant à elle, a été stoppée, et les participantes violentées pendant que les policiers criaient : « Retournez dans vos cuisines ! » On est en 2015 ! La non-mixité veut jeter la lumière sur les inégalités entre hommes et femmes, elle sert d’agent provocateur pour faire tomber les masques. Et, manifestement, ça fonctionne.

Que faut-il faire pour continuer à passer le message ?

Tous les gestes sont bons. Par exemple, je pense aux affiches « Stop Telling Women To Smile » qu’une artiste de Brooklyn a placardées pour sensibiliser au harcèlement de rue ou catcalling. Personnellement, je fais mon boulot en éduquant ma fille et en enseignant. Il y a un relais qui doit se faire, une balle qui doit être prise au bond. Une prise de conscience générale est nécessaire.

Etat-du-Quebec

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