Entrevues

Au boulot: Ève Sévigny, costumière au Grand Costumier

Le Grand Costumier est un organisme sans but lucratif qui gère la collection de 98 000 costumes et accessoires reçue de Radio-Canada.

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Crédit: Louise Savoie

Ce que je fais dans la vie

Le Grand Costumier est un organisme sans but lucratif qui gère la collection de 98 000 costumes et accessoires reçue de Radio-Canada. Nous louons ces articles à des stylistes et à des producteurs, surtout. Mon rôle est de tenir en ordre la collection, d’aider les clients à trouver ce qu’ils cherchent et parfois de composer des costumes pour eux. En plus de ce boulot, je suis aussi habilleuse et costumière pour diverses productions — j’ai travaillé entre autres sur le plateau de 30 vies (ICI Radio-Canada Télé).

Pour faire ce job, ça prend…

Un sens aigu de l’observation. Exemple : en tournage, quand on habille un comédien, on doit être attentif au moindre détail — l’heure à sa montre d’une scène à l’autre, la manière dont il roule ses manches de chemise… Ça demande aussi de la créativité et des habiletés manuelles. Même si, au cégep, en production théâtre, on nous enseigne des techniques de base pour coudre, teindre ou vieillir un vêtement, par la suite il faut surtout faire appel à sa propre inventivité. Pour l’émission Dieu Merci !, j’ai dû concevoir des costumes en forme de légumes pour un sketch. Personne ne nous montre ça à l’école ! [Rires]

Pourquoi j’ai choisi ce métier

Depuis l’enfance, j’adore les spectacles, mais je n’ai jamais aimé être au premier plan — je suis une fille de l’ombre. Par contre, je retire une grande joie à participer à des projets qui sont dans la lumière. C’est ma manière de briller sans mettre l’accent sur ma personne !

Une réalisation dont je suis fière

Des costumes de derviches tourneurs réalisés à trois jours d’avis pour une prestation de Jean Leloup à Star Académie, en 2012. Ça ne se loue pas à Montréal, alors j’ai dû les fabriquer moi-même, avec l’aide d’une chapelière, de couturiers, de coupeurs… On a travaillé jour et nuit. C’est l’un des défis les plus fous que j’ai relevés.

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Crédit: Louise Savoie

Une personne qui m’a inspirée

Suzanne Harel, à qui l’on doit par exemple les costumes de La petite vie et de Bob Gratton : ma vie, my life. Une légende dans le milieu ! Elle a été la première à m’embaucher et m’a tout appris. C’est en l’observant que j’ai compris l’importance de penser à des solutions de rechange pour faire face aux imprévus, fréquents dans ce métier. Quelques cas vécus : un costume de superhéros qui a fondu chez le nettoyeur, une actrice qui se présente à un tournage enceinte de sept mois sans qu’on m’ait prévenue de sa grossesse, un vêtement qui se déchire juste avant l’entrée en scène du personnage… Et j’en passe !

Une leçon que j’ai apprise

Il y a deux ans, on m’a attaquée à la machette en Jamaïque – c’est ce qui explique ma cicatrice au cou. Cette épreuve m’a révélé la force incroyable qui m’habite, une force que je ne soupçonnais pas. En situation d’extrême urgence, j’ai d’excellents réflexes, je ne cède pas à la panique. Je sais maintenant que je peux sauver des vies, y compris la mienne. J’ai un peu trop tendance… À vouloir avoir le dernier mot ! J’aime être en contrôle. Et quand je maîtrise un domaine, je suis souvent persuadée que ma solution ou proposition est la meilleure… Sauf que j’ai du mal à présenter clairement aux autres ce qui paraît évident
à mes yeux. Ça peut parfois générer des conflits. Je souhaite apprendre à mieux m’exprimer.

Mon style

Le mot d’ordre est confort. Au travail, je dois parfois me précipiter au magasin à 10 minutes d’un tournage parce qu’il manque un accessoire, alors pas question de porter des talons hauts ! Je suis toujours en runnings et en jean, payés pas cher, parce que je sais que je vais les abîmer. Par contre, je me permets plus de fantaisie et de féminité pour le haut, avec un petit faible pour les rayures et les pois. J’aime les marques québécoises, notamment Cokluch, Annie 50 et Schwiing.

Un conseil aux futures costumières

La production artistique est un milieu compétitif, très exigeant, et pour se démarquer, il faut être généreux, investi, travaillant. Mais attention de ne pas brûler la chandelle par les deux bouts ! Ça m’est arrivé il y a quatre ans. J’étais incapable de me rendre à l’épicerie tant j’étais épuisée. Je ne veux plus jamais revivre ça. On peut être passionnée tout en posant ses limites.

Mon dada

Les robes ! Je les ai comptées, j’en ai 36. De tous les styles. Je ne me permets pas de les mettre au boulot pour des raisons pratiques, mais il n’est pas rare que j’en enfile une dès que j’arrive chez moi. J’ai une autre personnalité vestimentaire le week-end !

Je ne sors jamais sans…

Une montre. Je la porte du côté droit, contrai-rement à presque tout le monde. Dernièrement je me suis offert une Bulova au look rétro, très féminine. Sinon j’ai toujours l’alliance de ma mère, qui n’est plus mariée, et une bague en argent, cadeau d’un oncle. Pour décrocher… Je peins. Je loue un atelier et je me fais un devoir d’y aller au moins une fois par semaine. Je participe aussi à des séances de peinture en direct, dans des bars, en compagnie d’autres artistes. Ça m’apporte de la confiance, le fait de concrétiser ce que j’avais en tête et de trouver ça beau et intéressant.

Un livre qui m’a marquée

La trilogie Le goût du bonheur, de Marie Laberge. Je l’ai dévorée, c’était fascinant. Entre autres à cause du point de vue historique. Dans le troisième tome, Florent, il est question de Cotnoir, une grande école de couture et de dessin de mode qui a réellement existé au Québec. J’ai travaillé avec des couturiers et des coupeurs qui ont été formés là.

***

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