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Axelle Lemaire: une fille d’ici devenue ministre en France

Petite, Axelle Lemaire distribuait des tracts du Parti québécois avec son père à Gatineau. Aujourd’hui, à 40 ans, elle est de l’équipe du premier ministre de la France, Manuel Valls.

Axelle-Lemaire

Photo : Mein-Patrick Vedrune

Drôle de destin que celui d’Axelle Lemaire, née à Ottawa de mère française et de père québécois. Qui aurait cru qu’un jour le président français François Hollande la ­nommerait secrétaire d’État chargée du Numé­rique? Pas elle, en tout cas.

Depuis sa nomination il y a 18 mois, on ne compte plus les articles qui lui sont consacrés dans l’Hexagone. En mars dernier, son passage à On n’est pas couché, émission-culte de la chaîne France 2, a fait un tabac grâce à sa spontanéité et à son sourire, à des années-lumière des mines crispées et de la langue de bois de la plupart des politiciens français.

La « petite Québécoise » – l’expression est d’elle – intrigue. Parce que le portefeuille qui lui a été confié est au cœur de l’attention médiatique, mais aussi en raison de sa personnalité et de ses origines. Les journalistes sont séduits par sa façon naturelle de faire de la politique, son côté cosmopolite, son bilinguisme – aucun autre ministre de ce gouvernement n’est capable de s’exprimer avec autant d’aisance dans la langue de Shakespeare.

Elle s’est d’abord fait élire députée du Parti socialiste des Français à l’étranger dans la circonscription d’Europe du Nord en 2012. À sa plus grande surprise. « C’est quelque chose que je considérais comme inatteignable il n’y a pas longtemps », a déclaré la politicienne le soir de sa victoire, à Londres, où elle habitait à l’époque avec son conjoint français et ses deux enfants.

Pourtant, confie-t-elle au cours d’une interview à son bureau de Bercy (complexe de l’est de Paris qui abrite certains ministères), elle a toujours été fascinée par la politique. Petite, elle adorait accompagner son père, professeur d’université et responsable du PQ dans l’Outaouais, quand il faisait du porte-à-porte pour le parti. Ses parents avaient collé sur la porte de sa chambre une caricature de Plantu (du quotidien Le Monde) où un enfant criait : « Liberté, égalité, fraternité ! » « Déjà à l’époque, j’étais habitée par de grandes causes ! » dit-elle en riant.

Et ça n’a pas arrêté. Elle a 15 ans quand sa famille quitte le Québec pour s’installer à Montpellier, dans le sud de la France. Après le lycée, la jeune femme s’inscrit à Sciences Po, une des grandes écoles qui forment les élites françaises. Elle obtient ensuite un diplôme en droit, avant de s’exiler à Londres au début des années 2000.

Tout juste trentenaire, elle donne naissance à son premier enfant et décroche une maîtrise en droit au prestigieux King’s College de Londres. Mais la guerre en Irak la fait dévier de son parcours de chercheuse spécialisée en droit international. « Je faisais l’expérience douloureuse de la faillite de la théorie, raconte-t-elle. Je me suis dit : “Qui décide, au fond ? C’est la politique !” » Elle veut transformer son idéal en actions.

Elle devient secrétaire de la section londonienne du Parti socialiste français en 2008, mais surtout, elle acquiert une précieuse expérience de terrain en se faisant embaucher comme attachée parlementaire du député travailliste britannique Denis MacShane à la Chambre des communes.

Après quatre années passées ainsi dans les coulisses du pouvoir, la jeune juriste fait le saut. Elle se porte candidate comme députée dans la troisième circonscription des Français à l’étranger, qui fait… 21 millions de kilomètres carrés ! Pendant des mois, elle parcourt l’­Irlande, la Finlande, la Suède, l’Estonie… « Je me suis demandé comment arriver à joindre ces 130 000 électeurs et la réponse a été : par le numérique. »

Femme, mère et politicienne
« Je la voyais plutôt dans l’humanitaire ou en droit international, dit le journaliste Charles Trahan, un ami d’enfance qui lui aussi habite aujourd’hui Paris. Mais elle est tout à fait dans son élément. Elle a une autorité naturelle et une capacité de travail exceptionnelle. Son parcours est fulgurant ! »

En 2011, Axelle Lemaire accouche de son deuxième enfant en pleine campagne électorale. « J’ai arrêté d’allaiter ma fille, qui n’avait que cinq mois et demi, pour assister à une réunion de campagne à l’extérieur de la Grande-Bretagne », relate-t-elle. Une expérience douloureuse qu’elle ne recommencerait pas.

Est-il toujours aussi compliqué d’accorder la vie de famille et le travail de politicienne ? « Je rêve du jour où cette question ne sera plus adressée uniquement aux femmes ! » La ministre, qui attend son troisième enfant, n’hésite pas à se définir comme féministe. Elle se dit fière d’avoir dirigé le groupe chargé de l’examen du projet de loi pour l’égalité hommes-femmes, adopté en 2014. Cette vaste réforme visait à revoir presque toutes les lois existantes à ce sujet. Axelle Lemaire était entre autres responsable de faire disparaître de la nouvelle loi la notion de « situation de détresse », nécessaire à l’obtention de l’interruption volontaire de grossesse dans la loi sur l’avortement (loi Veil) datant de 1975.

« La France demeure sexiste, note-t-elle, comme pour justifier la nécessité d’une telle loi dans son pays d’adoption. Le mythe de la femme poupée y perdure. »

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En même temps, elle constate que l’image de la Française superwoman, qui a beaucoup d’enfants (la France est championne d’Europe de la fécondité), garde sa taille de guêpe et fait carrière, correspond à une certaine réalité. Elle l’attribue au fameux « modèle français », dont les services publics de garde d’enfants et les congés de maternité plutôt généreux sont les pivots.

Reconnaissante au président Hollande d’avoir respecté la promesse de parité au gouvernement, Axelle Lemaire avait pourtant refusé le premier poste de ministre qu’il lui avait offert quatre jours après son élection comme députée. Elle ne se sentait alors pas prête à prendre les rênes du ministère des Français à l’étranger. « Siéger au Parlement, c’était assez pour commencer. Et puis, quel honneur ! »

Ce repli ne l’empêche pas, deux ans plus tard, de manifester son intérêt pour le poste de secrétaire d’État au Numérique, qu’elle obtient au printemps 2014. Elle veut faire de la France un leader mondial dans ce domaine et considère comme un de ses plus grands succès le fait d’avoir imposé le sujet comme une priorité du gouvernement.

Depuis des mois, la secrétaire d’État consulte des gens du numérique dans tout le pays. « Elle est très présente sur le terrain, je l’ai rencontrée trois fois déjà », s’enthousiasme Julien Parrou, jeune fondateur de Groupe ConcoursMania, une start-up de Bordeaux qui aide les entreprises à entrer en contact avec leurs clients au moyen du jeu. Elle représente la nouvelle génération de politiciens, pragmatique, à l’écoute… » Presque du jamais-vu en France, où les ministres ont l’habitude d’être beaucoup moins accessibles.

Même son de cloche du côté des vieux loups du numérique. « Elle est brillante, a beaucoup voyagé, elle connaît parfaitement ses dossiers », évalue Marc Benioff, grand patron de Salesforce.com, éditeur californien de logiciels de gestion, en visite dans sa succursale parisienne où il accueille la secrétaire d’État.

Axelle-Lemaire-Bureau

En juin, elle a mis sur Twitter une photo d’elle en train de signer, à la Délégation du Québec à Paris, le registre de condoléances pour Jacques Parizeau. « Un grand premier ministre », y a-t-elle écrit.

Avec son style
Malgré la sympathie que suscitent sa disponibilité, sa compétence de même que ses origines, son petit accent et sa spontanéité, elle a ses détracteurs… Brandissant des chiffres de la Commission européenne qui placent la France loin derrière les autres pays du continent en matière d’avancées technologiques et d’accès au numérique, des journalistes n’ont pas manqué de la contredire, elle qui la présentait comme un chef de file dans le domaine. « Axelle Lemaire ou la ministre du “service minimum numérique” », titrait en mai le Huffington Post français. « J’en ai ras le bol du déclinisme à la française », rétorque-t-elle.

Pourtant – l’information a été divulguée dans la presse –, Axelle Lemaire aurait fondu en larmes après avoir été rabrouée par le premier ministre à l’occasion d’une conférence gouvernementale. Elle ne nie pas, mais elle en veut aux collègues qui ont raconté l’épisode aux journalistes. « Dans une société de l’information, du scoop et des people, on a du mal à faire vivre une certaine noblesse de la politique. »

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S’imposer sur la scène politique française n’a pas toujours été facile pour celle qui a passé la plus grande partie de sa vie hors de France. « J’ai dû apprendre des codes sociaux, des pratiques culturelles que je maîtrisais mal », avoue-t-elle.

Fin juin, le bruit a couru qu’Emmanuel Macron, ministre dont elle relève, voulait s’en débarrasser. Il n’aurait pas apprécié ses critiques relatives à la loi sur le renseignement ni sa façon de préparer, sans le consulter, la nouvelle loi sur le numérique.

Mais la « petite Québécoise » a des appuis solides. Le premier ministre Valls lui a manifesté son soutien en parlant publiquement de la future « loi Lemaire ». Et on dit que le président Hollande tient beaucoup à elle. Exit les rumeurs de démission.

Aux dernières nouvelles, il y aurait finalement deux lois sur le numérique. Une « loi Lemaire », axée sur les droits et libertés sur Internet, et une « loi Macron », concernant l’innovation et la création d’entreprises.

Désormais bien intégrée dans l’Hexagone, Axelle Lemaire n’oublie pas pour autant le Québec. Elle est notamment ravie d’avoir été nommée commissaire française aux célébrations du 375e anniversaire de Montréal. Se sent-elle française, québécoise, canadienne ? « Tout ça à la fois », répond sans hésiter la politicienne. Pour elle, être québécoise est associé à une certaine idée de l’émancipation et de la liberté. « Dans les moments durs, je pense à la forêt québécoise, l’hiver. C’est rassurant de se dire qu’elle sera toujours là. »

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