Chroniques

Sois grande, ma fille (mais pas trop)

Dans notre quête de performance et de sécurité, nous aurions oublié l’importance de la liberté.

 

Crédit : iStock

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Je fais partie des parents qui, l’été arrivé, en profitent pour tricoter le cocon familial une maille plus serré. Commentaire inutile à m’envoyer : « Il faut savoir apprécier les petits bonheurs du quotidien à l’année. » Ben oui… Mais disons que c’est plus facile durant ces 10 semaines de congé de devoirs, de pique-niques improvisés et de longues conversations « les pieds pendant au bout du quai ».

L’été est donc devenu un moment baromètre : celui où je constate à quel point mes enfants ont grandi, où je fais une mise à jour de la (longue) liste de leurs goûts et intérêts et où j’évalue ce qu’ils sont prêts à gagner en autonomie. Fillette, neuf ans, veut explorer le terrain de camping seule sur son vélo. Nager toujours plus loin. Aller manger une glace avec ses copines du quartier « sans parents, si-vous-plaît-dis-oui !!! ». Des revendications légitimes d’enfants… de son époque. Car je ne peux m’empêcher de penser que, à son âge, je pouvais parcourir des kilomètres à vélo – sans casque – sur des routes passantes, changer un (vrai) bébé de couche et explorer la forêt derrière chez moi sans me rapporter constamment aux autorités parentales. Et j’étais loin d’être une exception. Certains de mes amis du coin conduisaient déjà tracteurs et VTT, alors que leurs cousins de la ville prenaient le métro seuls et gardaient leurs cadets.

Les jeunes seraient-ils moins autonomes que ne l’étaient leurs parents ? « Oui, me lance tout bonnement Francine Ferland, ergothérapeute et professeure émérite à l’Université de Montréal. Aujourd’hui, on pense qu’un enfant est autonome quand il sait exécuter des tâches, comme faire son lit ou vider le lave-vaisselle. Mais l’autonomie, c’est être capable de prendre des décisions quand on est seul et faire preuve d’initiative. » Pour la développer, encore faut-il être laissé à soi-même de temps en temps. Et c’est bien là le problème. Dans notre quête de performance et de sécurité, nous aurions oublié l’importance de la liberté. Entre autres, pour une question de temps (quelle surprise !). Nos vies, si chargées, sont réglées comme du papier à musique. Si bien que l’enfant a peu de moments libres et, quand il en a un, il ne sait simplement plus quoi en faire. Le parent finit souvent par lui dire comment le meubler. Bonjour l’initiative.

Pour gagner quelques minutes au marathon quotidien, certains vont jusqu’à décider pour leur rejeton quels vêtements il mettra ou ce qu’il mangera au petit-déjeuner. Pourtant, ces simples choix, à la portée des tout-petits, sont les premiers pas vers les grandes décisions. En imposant tout à Junior ou en passant constamment derrière lui pour refaire les choses à « notre » manière (quelqu’un se reconnaît ?), nous lui envoyons le message qu’il est incapable. Une autre différence entre les enfants d’aujourd’hui et ceux qu’ont été leurs parents, c’est le temps qu’ils passent seuls à l’extérieur – un terreau fertile pour la débrouillardise, que ce soit pour jouer ou se déplacer. Par exemple, seulement le tiers des élèves québécois se rendent à l’école à pied ou à vélo, selon une étude réalisée en 2008 par des chercheurs de l’Université de Montréal. C’était environ 8 sur 10 dans les années 1970.

Pourquoi usent-ils moins leurs semelles aujourd’hui ? Pour des raisons de distance, bien sûr. Les écoles ne sont pas toujours proches en région ou en banlieue, et les petits citadins ne fréquentent plus automatiquement celle de leur quartier. Mais aussi, notent les chercheurs, parce que les parents préfèrent déposer tout le monde en voiture pour gagner du temps et s’assurer que la marmaille est en sécurité. Ah, voilà un facteur qui explique le peu de temps passé à l’extérieur, selon Francine Ferland. « Les parents se plaignent que leurs enfants restent trop d’heures devant les écrans, mais ça rassure bon nombre d’entre eux de les savoir à l’intérieur, dit-elle. “Dehors” représente toutes sortes de dangers, que ce soient les blessures, les accidents de la route ou les enlèvements. »

Pourtant, le nombre d’incidents tragiques impliquant des enfants n’est pas plus élevé aujourd’hui qu’il y a 30 ou 40 ans. C’est plutôt la quantité d’informations auxquelles nous avons accès qui a explosé. Entre la découverte d’une bactérie ultrarésistante et la dernière alerte Amber, difficile de ne pas penser qu’on vit dans un monde plus menaçant.

Mais le réel danger, selon les spécialistes de l’enfance, c’est d’empêcher les petits d’explorer le monde par eux-mêmes, de se retrouver dans des situations où ils devront prendre des décisions. Sans adulte pour leur souffler la réponse !

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Crystelle Crépeau, rédactrice en chef

 

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