Dina Gilbert, directrice musicale et chef de l’Orchestre symphonique de l’Estuaire, à Rimouski, et du Kamloops Symphony, en Colombie-Britannique, fondatrice et directrice artistique de l’orchestre de chambre Ensemble Arkea, à Montréal
Elle change le Québec… en investissant un boys’ club : la direction d’orchestre.
Dina Gilbert n’avait pas 30 ans quand elle est devenue la première femme chef assistante de l’Orchestre symphonique de Montréal. Un baptême du feu ébouriffant pour cette Beauceronne hyperactive qui a dû apprendre les moindres accords, soupirs et barres de mesure d’un répertoire de 150 œuvres afin de pouvoir remplacer le maestro Kent Nagano au pied levé. À l’époque elle dormait à peine cinq heures par nuit pour étudier ses partitions. «Je n’ai pas plus de temps morts aujourd’hui! admet la brunette de 32 ans, qui a pris de l’assurance depuis son aventure de trois ans à l’OSM. Ça m’arrive encore d’avoir le syndrome de l’imposteur, surtout quand ça fait longtemps que je n’ai pas dirigé, mais le fait que ma candidature a été retenue pour divers postes de chef m’a donné confiance.»
En effet, on s’arrache Dina Gilbert. Déjà chef de trois orchestres, dont deux situés aux extrêmes du pays – Kamloops et Rimouski –, elle est souvent invitée à en diriger d’autres à l’étranger (jusqu’au Japon!). Elle ne s’en plaint pas. «Je veux faire ça toute ma vie, je n’ai pas de plan B.» Elle n’est d’ailleurs que reconnaissance à l’endroit des maestras qui ont permis à des filles comme elle d’avoir la carrière dont elles rêvaient – dont Ethel Stark qui a fondé à Montréal le premier orchestre féminin canadien. «Les femmes chefs, mais aussi les musiciennes, se faisaient dire que leur beauté – ou leur laideur – allait déranger les musiciens, qu’elles ne pouvaient jouer de tel instrument ou faire tel geste… Moi, je n’ai pas vécu ça.»
De l’appui, elle en a eu en masse, de la part de feu son père d’abord, un féministe fier de ses six filles. Aujourd’hui elle donne en retour, par exemple en dirigeant des orchestres devant des enfants – dont celui des Grands Ballets canadiens pour Casse-Noisette –, en partie pour leur montrer qu’un chef peut aussi être une chef. «J’ai d’abord choisi ce métier parce que je l’aimais, mais si ça peut en inspirer d’autres en plus, tant mieux.» Elle met un point d’honneur à inclure des compositrices dans ses programmations. «Et ce n’est pas un effort: de l’excellente musique écrite par des femmes, il y en a beaucoup.» Comme celle de la Française Louise Farrenc, morte en 1875, dont elle présentera la Symphonie no 3 en février à Rimouski. «Je n’en reviens pas qu’on n’ait encore quasiment jamais joué ses œuvres. C’est vraiment hot.»
Elle s’est aussi donné pour mission de démocratiser la musique symphonique, elle qui l’a découverte tard, à 17 ans. Ainsi, elle n’hésite pas à s’embarquer dans des projets novateurs qui la sortent de sa zone de confort – «Je refuse d’écouter mes peurs!» Les concerts hip-hop qu’elle a réalisés avec l’Orchestre philharmonique de Radio France en sont un exemple. «Si les formules hybrides du genre peuvent attirer de nouveaux spectateurs, allons-y. On fait des concerts pour servir la musique, oui, mais aussi pour toucher les gens.» [M.-H.P.]