Entrevues

Anne Dorval

Nous l’aimons depuis Lola dans Chambres en ville. Cet automne, elle incarne Natalie Rivard, mère de trois enfants, dans la comédie Les Parent. Encore une fois, elle nous séduira. Parce que c’est son rôle naturel de séduire.


 

Je l’aime, Anne Dorval. Je l’aimais avant de faire sa connaissance. Si demain tous les hommes disparaissaient de la Terre, ce qui serait une catastrophe selon moi, je pense que je la demanderais en mariage. Lorsque nous nous sommes rencontrées la première fois, à l’Hôtel Le St-James dans le Vieux-Montréal, là où descendent Madonna et les Rolling Stones quand ils sont en ville, je suis tombée sous le charme, pour de vrai. À un point tel que j’ai voulu l’accompagner quand elle est allée fumer dehors. Du jamais vu. Je déteste la cigarette.

Mais qu’est-ce qui me séduit en elle ? Je l’ai toujours imaginée un brin folle. C’est sûrement la faute de Marc Labrèche, qui nous a fait découvrir la déjantée en elle avec ses chroniques hystériques au Grand blond avec un show sournois. Et puis, il y a eu Ashley, l’infirmière aux seins inquiétants dans Le cœur a ses raisons. Mais ces jours-ci, elle joue une maman normale appelée à gérer une famille tout à fait normale dans la série Les Parent, les lundis 19 h 30 à Radio-Canada.

Maintenant que nous nous connaissons, je la sais entière, drôle et généreuse. Je sais aussi qu’elle parle un français remarquable. Elle est menue mais forte comme un lutteur. Elle vit tranquillement, est la mère responsable de deux enfants, un garçon de 9 ans et une fille de 14 ans, mais elle aime se mettre en danger. Elle avoue être une diablesse qui entraîne ses amis dans le péché mais cela, sans doute, pour leur offrir ensuite une planche de salut.

Elle est surtout de ces femmes pour qui l’amour est un absolu. Une romantique qui a déclamé du Alfred de Musset, pour mon bénéfice, dans la salle à manger de l’hôtel le plus chic de Montréal :

« Tous les hommes sont menteurs, inconstants, faux, bavards, hypocrites, orgueilleux et lâches, méprisables et sensuels ; toutes les femmes sont perfides, artificieuses, vaniteuses, curieuses et dépravées ; le monde n’est qu’un égout sans fond où les phoques les plus informes rampent et se tordent sur des montagnes de fange ; mais il y a au monde une chose sainte et sublime, c’est l’union de deux de ces êtres si imparfaits et si affreux. »

– Perdican à Camille dans On ne badine pas avec l’amour, acte 2, scène V.

Après cela, on n’allait quand même pas parler de conciliation travail-famille…

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Suite : entrevue avec Anne Dorval

Lise Ravary : Je te trouve vraiment, vraiment spéciale.
Anne Dorval : Spéciale comment ? Comme folle ? Mais je ne suis pas si folle que ça. Je suis très terre à terre par moments. Ma mère est plutôt effacée. C’est mon père qui avait une personnalité très forte : il s’obstinait, il voulait avoir raison à tout prix. J’ai peut-être plus hérité de lui… J’aurais aimé ressembler à un autre type de femme : délicate, fraîche, douce. Mais je ne vais pas faire semblant. Ma vraie nature finit toujours par sortir. Quand je me tais, ça va, mais dès que j’ouvre la bouche, tout le monde se pousse (grand éclat de rire).

Comment te sentais-tu quand tu jouais un personnage comme Ashley ?
Je ne « me sentais » rien du tout. J’avais du plaisir. C’était des moments de pur bonheur.

Tu n’avais pas l’impression d’insulter les infirmières ?
Je ne ridiculisais pas la profession, c’était une infirmière de soap, un fantasme, une tarte naïve. Elle veut le bien dans le monde. Elle n’est pas intelligente mais ne le sait pas.

Dans mon billet du mois de septembre, j’ai parlé de jeux de séduction du genre infirmière-docteur et j’ai insulté quelqu’un sans faire exprès. Est-ce que les femmes manquent d’humour ?
En tant que femmes, on a souffert et on est susceptibles. On interprète les choses parce qu’on sait qu’elles peuvent l’être par d’autres. Mais un jour, il faut s’arrêter. Parce que même les féministes, dont je suis, qui ont des grands principes, ont un jour ou l’autre trahi une femme. On a toutes rêvé de coucher avec un gars pour s’apercevoir qu’il était marié et avait des enfants.

Et on a toutes sous-payé une gardienne à un moment donné.
Exactement ! C’est difficile la solidarité. C’est dur aussi de ne pas tomber dans l’amertume. C’est dur pour des femmes de ne pas être enragées quand on a abusé d’elles toute leur vie. Je pense beaucoup à tous ces gens qui n’ont pas droit de parole et qui souffrent. Par exemple, les personnes âgées, qui ne nous intéressent plus parce que c’est trop compliqué. Ces gens-là sont trop lents. Tout va trop vite, on n’a pas le temps. C’est à quelle heure le punch ? Dans bien d’autres cultures, ce sont eux les premiers qu’on écoute. Mon Dieu que je suis réactionnaire !

Mais non, continue.
Je n’appelle pas ma mère aussi souvent que je le devrais. Je suis certaine qu’elle aurait plein de choses à me dire. Quand je la fais parler, elle finit par me confier des choses qu’elle ne voulait pas me dire, des potins sur la famille que je vais pouvoir transmettre à mes enfants, qui vont potiner à leurs enfants un jour, peut-être.

Est-ce que le monde qui t’entoure te désespère ou si tu es de nature optimiste ?
Je ne suis pas optimiste. Pas vrai, j’ai un petit fond d’optimisme puisque j’ai eu des enfants – et que j’espère que les choses vont s’améliorer. Il m’arrive de fermer les yeux et de jouer à l’autruche en me répétant : «  Il va bien falloir qu’ils s’arrangent et qu’ils découvrent leur instinct de survie – parce qu’ils en ont un. » C’est ce qui fait l’humanité. C’est la loi du plus fort, on n’en sort pas. Ou on se suicide ou on développe l’instinct de survie en se disant : « Je veux vivre à tout prix. »

Crois-tu au mythe de l’artiste qui doit souffrir pour être légitime ?
Légitime, non. Mais c’est sûr qu’on trouve des choses dans la souffrance. Je ne pense pas qu’on doive absolument souffrir pour être capable de dire des choses. Mais il faut avoir une sensibilité hors du commun. Les artistes sentent les choses avant les autres. Ils avertissent le reste du monde de ce qu’ils ont perçu, des visions qu’ils ont eues. Et quand ils ont des coups durs, c’est la souffrance extrême. Je sais, c’est très mystérieux. Je regarde mon milieu, celui des acteurs. Oui, ils ont pu avoir une enfance heureuse mais, à un moment donné, quelque chose a été « twisté ». Et Dieu sait qu’ils auraient aimé être comme tout le monde !

Si tu étais « normale », dans le sens que si tu n’avais pas à gagner ta vie en t’exposant, qu’aurais-tu aimé être ou faire dans la vie ?
J’aurais aimé ça être une grande intellectuelle, avoir une liberté de parole. Je ne lis pas beaucoup. Je lis surtout du théâtre, parfois 50 fois la même chose, parce que ça me fait pleurer, parce que le théâtre, c’est comme ma maison. J’aime écouter les grands vulgarisateurs intellectuels parce qu’ils sont libres, parce que ce qu’ils disent, c’est d’une clarté inouïe. Ils font une phrase avec quatre mots et ça vient de résumer l’histoire de l’humanité. C’est formidable. Moi, ça me jette à terre.

Tu ne trouves pas cette liberté dans la création ?
Je fais avec ce que je suis. J’essaie de trouver une grâce là-dedans. Des fois, j’en trouve parce que je suis entourée de gens gracieux. Tu vois, je te parle, puis quand tu m’écoutes, j’ai l’impression d’être intéressante.

Mais tu es intéressante ! Tu déclames du Alfred de Musset dans un restaurant !
Je revendique aussi le droit d’être niaiseuse (rires). Il y a des gens qui pensent que les acteurs sont des êtres pas très intelligents, juste des machines à répéter des textes. Des imbéciles heureux, des exécutants. Moi, je ne me suis jamais considérée comme une exécutante – ni les acteurs que je connais. Ce sont des gens qui réfléchissent et qui ne font pas tout ce qu’on leur demande. Moi, je m’obstine. En fin de compte, il faut faire au moins semblant d’adhérer aux propos du metteur en scène parce que c’est son show mais toi, l’actrice, tu es parfois pognée à défendre quelque chose qui n’est pas défendable. Et tu paies pour, car c’est toi qui es sur scène.

Dire que les acteurs sont des exécutants, c’est comme dire qu’Édith Piaf ne faisait que chanter les textes des autres…
Il ne faut pas lâcher le morceau, même si tout est là autour pour nous décourager, tout le temps. Pas juste dans les arts, partout. J’ai l’impression que c’est de plus en plus difficile de se faire une place, un nom. Pour signifier sa présence, avoir un minimum de reconnaissance dans toutes les sphères de la société. Des ouvriers aux infirmières, aux professeurs, aux éboueurs, aux cultivateurs, aux producteurs du marché Jean-Talon qui ont perdu la moitié de leur récolte parce qu’il a plu tout l’été, puis qui se font dire : « Elles sont chères, vos tomates bios. » Mais oui, mais veux-tu venir en cultiver, des tomates bios ? Veux-tu voir ce que c’est ? Ça aussi, c’est de la création ! Il y a quelque chose de divin dans le fait d’y croire puis de continuer en se disant : « Je vais nourrir la planète, moi, puis je ne mettrai pas de pesticides; c’est pas rentable, mais je le fais quand même. » J’ai une admiration sans bornes pour ces gens-là qui nous nourrissent, qui nous instruisent, qui nous soignent.

Ils ont si peu de reconnaissance, c’est vrai.
C’est pour ça qu’il faut leur dire merci tout le temps. Quand les gens sont compétents, il faut dire merci. Mais quand je vois de l’incompétence, c’est simple, je deviens folle.

Tu dois vraiment pas être commode quand t’es pas contente.
Oui, je suis en feu. Il n’y a pas de pardon. Je deviens enragée. Je ne suis pas fine du tout. Mais à mon petit marchand, à mon petit maraîcher, je dis merci. Ça rend heureux. C’est tout petit, la Terre…

Comment étais-tu à l’école ?
Très, très timide. J’essayais quand même d’attirer l’attention. Je savais comment faire rire la galerie. Après, je disparaissais, je n’existais plus.

As-tu toujours su ce que tu allais faire dans la vie ?
Oui, devenir actrice, c’était le seul moyen d’avoir un peu confiance en moi et d’être un peu populaire auprès de mes amis.

Quel est LE rôle que tu aimerais jouer ?
J’aurais voulu jouer Camille dans On ne badine pas avec l’amour [pièce de théâtre d’Alfred de Musset], c’était le rêve de ma vie. À la place, j’ai joué Lettres de la religieuse portugaise [œuvre de Gabriel de Guilleragues] en 1991 au Théâtre de Quat’Sous. Un texte dramatique que je ne peux plus lire. Ça me fait trop de peine. Le désespoir amoureux, l’impossibilité de… Je suis une romantique, moi.

L’époque n’est pas tendre envers les romantiques.
Je suis pour l’amour absolu. Les fois où j’ai été très, très, très amoureuse, le reste du monde n’existait plus. Je voyais des beaux gars mais c’était comme des bibelots. Ce besoin d’être ensemble, de se compléter, c’est formidable. Mais je ne crois pas en l’amour fusionnel.

L’amour absolu, est-ce que ça peut durer ?
Ça existe ! Regarde Paul Newman et Joanne Woodward. J’ai rencontré des gens en cinéma qui ont travaillé pour lui. À la fin du tournage, à Montréal, il l’a fait venir ici de Los Angeles puis il l’a présentée à toute l’équipe, comme si elle était sa jeune fiancée. Il avait les yeux « dans la graisse de bines ». Pourtant, ils sont ensemble depuis les années 1950. Ça se peut donc, il s’agit juste de rencontrer l’âme sœur.

Aïe, c’est dur ça. Si on ne la rencontre pas, c’est l’échec total ?
Non, ce n’est pas l’échec. Il peut y avoir des petits appetizers à côté, c’est le fun, coloré, et ça met de la vie, mais ce n’est pas la grosse affaire qui va nous chavirer le cœur.

Encore l’absolu ! En amour, peux-tu pardonner un écart d’une nuit ?
Je ne veux pas le savoir parce que ça va me faire trop de peine. Si l’autre tombe amoureux, alors là, ça remet la relation en question mais sinon, je n’ai jamais compris le besoin qu’avaient les gens de tout savoir. Ce n’est pas parce qu’on est en couple qu’on est en fusion. Quand je parle d’absolu, je parle de la fusion des âmes. Avoir des aventures, je peux concevoir cela…

Autrefois, on disait que les hommes avaient des aventures… pour l’hygiène. Tu y crois toi aux différences entre les hommes et les femmes ?
Oui, bien sûr. On n’a pas les mêmes codes, le même langage. Je te disais que je suis féministe, aucun doute là-dessus, mais j’ai des contradictions. La femme aime être chassée. C’est plate d’être obligée de faire des avances. Je ne me vois pas du tout dans ce rôle-là.

Ça ne doit pas être toujours drôle d’être un gars et de faire face au rejet…
Surtout quand tu n’as pas le physique du séducteur cliché. Heureusement, les femmes ne sont pas toutes séduites par la même chose. Mais devant les grands séducteurs, on tombe toutes dans le panneau. Moi, je suis tombée souvent. Ils ont une façon de se présenter. Tu fais : « Mon Dieu, ça se peut pas qu’il soit beau à ce point-là. Il est fin, adorable. Même pas l’air prétentieux. » Parce que les vrais grands séducteurs se foutent de leur beauté s’ils sont beaux. Et beaucoup ne le sont pas. Mais on tombe pareil. Littéralement, on perd connaissance. Et c’est formidable. Et je ne regretterai jamais ces moments-là, même si j’ai souffert. Je me souviens, à 15 ans, j’ai eu une peine d’amour épouvantable.

Comment s’appelait-il ?
Ma première grande peine, il ne s’était rien passé. Il ne m’aimait pas. Il était amoureux d’une joueuse de tennis qui était la plus belle fille de Trois-Rivières. Mais elle ne l’aimait pas. Il s’appelait Daniel. Moi, je l’aimais. Il faisait de la moto. Puis il était fin. J’y pense encore, à ce garçon-là.

Moi aussi, je pense encore à mon premier amour. Il s’appelait André. Quelle est la chose la plus folle que tu aies faite à cause de l’amour ?
J’aimais un garçon. Un matin, il s’est levé puis il m’a dit : « Je t’aime pas. » Il avait du chagrin, puis il pleurait, il ne voulait pas me faire de peine, et il n’y avait pas d’autre fille, c’était pas ça. Il ne m’aimait plus. Un jour, j’étais tellement en manque que je suis allée frapper chez lui et que je l’ai supplié de me prêter un de ses t-shirts pour que je puisse dormir avec, comme avec une doudou. C’était l’odeur, son odeur. J’en avais besoin. Il me l’a prêté. Il était fin.

Ça te fait quoi d’être comme ça ?
C’est souffrant. Je ne suis pas contente d’être comme ça. J’aurais aimé garder une petite distance, oui. Écoute, il est parti en courant, celui-là ! Il avait sa folie, mais c’est sûr qu’il m’a prise pour une folle.

Un homme que tu trouves séduisant ?
Le comédien anglais Alan Rickman, mais il a vieilli. Malgré cela, il a une voix, des yeux, une mâchoire. C’est pas possible. Indéfinissable. Quand il est à l’écran, c’est chargé de sexe… Tu ne vas pas écrire ça ?

Pantoute !
Je vais passer pour une obsédée.

Je te comprends. Je l’ai vu sur scène, j’ai vu tous ses films. Moi aussi, je fantasme sur lui. Penses-tu qu’on doive vivre nos fantasmes ?
Non, c’est le fun de rêver aussi. À partir du moment où tu les réalises, ce ne sont plus des fantasmes. Mais moi, j’ai des fantasmes d’adolescente, du genre de me mettre à la place de l’actrice qui embrasse la vedette du film. Ça me fait rire. C’est fleuri, innocent – ben non, c’est niaiseux.

Quand on vit l’amour absolu, est-ce que les fantasmes disparaissent ?
Je ne sais pas, mais l’amour absolu, c’est déjà un grand fantasme…

Quelle est ta chanson d’amour préférée ?
(Elle réfléchit, mais pas longtemps.) C’est Fly Me To The Moon [popularisée par le grand Frank Sinatra]. J’y crois mur à mur. Si on me chante ça, je perds connaissance. C’est une chanson de séducteur. Mon Dieu que je rêve en couleurs !

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