Entrevues

Ce que Mylène Paquette a appris

Que retire-t-on d’un voyage à la rame, seule au milieu de l’Atlantique?

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Photo: Patrick Mével

 

Pour désamorcer la peur ou l’angoisse, on découpe ses cinq sens. Dans les moments d’angoisse, dans une tempête par exemple, j’ai appris à percevoir tout ce qui se passait autour de moi en fonction de chacun de mes cinq sens. Ainsi, j’entends le bateau craquer, la corde de l’ancre flottante frapper la carène et résonner, les vagues déferler, un oiseau crier. Je sens le sac de couchage mouillé dans mon dos, mon pied engourdi, mon ventre qui se serre… Prises ensemble, toutes les sensations sont trop fortes pour le cerveau. Faire ce découpage permet de prendre du recul.

Laisse-toi râler 10 minutes par jour. On a à l’intérieur de soi une petite bête qui a peur, qui est fâchée, qui veut se plaindre. La mienne, je lui accorde 10 minutes de temps de parole par jour. Top chrono. Alors elle chiale, trouve que c’est trop difficile, qu’elle fait donc pitié. Ensuite, terminé. Ça fait sortir le méchant, qui ne pollue pas toute la tête. On se sent tellement bien, après.

L’orgueil est un ami. Mais un ami dangereux. Ma première traversée transatlantique, je l’ai faite avec cinq gars. On ramait 12 heures par jour et c’était plus difficile pour moi que pour eux. Quand j’avais envie de lâcher (souvent), je pensais à mon père, qui ne me croyait pas capable de réussir. Je marchais à l’orgueil. Mais durant ma traversée solo, il m’est arrivé de ramer trop tard, malgré le mauvais temps, pour pouvoir me dire que j’avais fait 55 milles nautiques dans la journée. J’ai chaviré pour avoir pris des risques. Se mettre en danger pour pouvoir se péter les bretelles, c’est idiot.

Quand tu as le mal de mer, tu penses que tu vas en mourir. Puis tu t’aperçois que, non, malheureusement ça n’arrivera pas. Tout ça à cause du froid, de la faim, de la fatigue, du stress. J’ai été très malade les premiers jours de ma traversée. Simplement parce que le stress des préparatifs tombait enfin. Dans ce cas, il n’y a rien à faire que se reposer. Et attendre.

« Boire du café empêche de dormir. Par contre, dormir empêche de boire du café. » Cette phrase du bédéiste Philippe Geluck [Le Chat], je l’avais écrite sur mon bateau. Elle me rappelle qu’il y a toujours une lumière quelque part. Il fait mauvais, je suis enfermée dans ma cabine, je ne peux pas ramer ? Mais au moins, je ne suis pas obligée de ramer ! Je rame huit heures par jour depuis une semaine et je suis écœurée ? Mais au moins, je peux ramer et j’avance.

Encadrer un peu d’argent, ça change les choses. J’ai passé des années à mettre chaque sou dans mon projet, à avoir du mal à faire l’épicerie. À dire que je n’avais pas d’argent. Un jour, j’ai pris 55 $ que j’ai placés dans un cadre et j’ai accroché ce cadre au mur. Comme ça, je ne pouvais plus dire que je n’avais pas d’argent ! L’idée, c’était de modifier mon rapport au fric. Par exemple, j’ai quitté mon boulot à l’hôpital malgré ma grande insécurité. Pour financer mon projet, j’ai donné des conférences, j’ai vendu des canards en plastique… Mon expédition a coûté près de 200 000 $ et j’ai encore 90 000 $ à rembourser. Mais ça ne me fait pas peur. L’argent est le frein de 90 % des gens. Alors qu’il n’est qu’un moyen.

On a toujours le contrôle de son attitude. Les gens croient que traverser l’Atlantique à la rame, c’est dur. Ce qui est difficile, c’est d’être dans l’inaction, de dépendre de la météo, de la mécanique, de plein de choses. Mais on peut toujours se contrôler soi-même. J’avais décidé que je rirais tous les jours. J’avais du fun, je faisais des niaiseries, des dessins, je m’inventais des entrevues avec des journalistes imaginaires. Des trucs absurdes. Et c’est ce qui m’a sauvée dans les moments vraiment difficiles.

L’inquiétude des autres ne m’appartient pas. Mon père se faisait tellement de mauvais sang à cause de mon projet qu’il a cessé de me parler pendant des mois. Il disait qu’il était malade, que j’allais le tuer. Je me sentais coupable (je ne suis pas sans-cœur), mais j’essayais de garder mes distances, je me répétais que ce n’était pas moi qui le rendais malade, mais son attitude. J’ai quand même tenu compte de cette inquiétude. J’ai été prudente, j’ai travaillé fort pour tout prévoir, pour bien m’entourer. Et j’ai embarqué ma famille dans mon projet. Ainsi, ma mère m’avait suggéré de faire d’abord une traversée en équipage. Eh bien, c’est ce que j’ai fait !

Merci à Patrick Mével pour la photo de Mylène Paquette.

 

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