Entrevues

Elizabeth Plank, la féministe 2.0

Depuis son arrivée au site de nouvelles Mic.com, à New York, la Montréalaise de 27 ans fait exploser les clics et multiplie les vidéos virales. Rencontre avec une fille qui prouve que le féminisme a de beaux jours devant lui.

Vous connaissez Elizabeth Plank ? Montréalaise d’origine, bilingue, déterminée, cette féministe new-yorkaise doit bien avoir quelques défauts, mais je ne les vois pas. Elle est brillante, courageuse, éloquente, et possède un sourire télégénique et un regard perçant. Après une maîtrise en sciences du comportement (behavioral science) à la London School of Economics, elle s’installe à New York il y a deux ans pour y devenir journaliste. Depuis, elle cartonne

Photo: Liran Okanon

Photo: Liran Okanon

Quelques mois après son arrivée à Mic.com, un site de nouvelles destiné à la génération Y, elle multiplie les interventions virales et fait exploser les clics. La fameuse vidéo exposant l’ignorance des hommes au sujet de l’anatomie sexuelle féminine ? C’est elle. Tout comme ces listes des meilleurs moments féministes de l’année ou des réponses les plus percutantes des stars du tapis rouge à des questions sexistes. Un parcours professionnel de rêve pour une femme de 27 ans. Elle est aujourd’hui rédactrice principale chez Mic.com et correspondante pour la chaîne d’information continue MSNBC. Choisie par le magazine Forbes comme l’une des personnalités de moins de 30 ans les plus prometteuses du monde des médias, Elizabeth Plank fait chaud au cœur des féministes des générations précédentes. Qui se disent en la regardant, elle et les Emma Watson et Lena Dunham de ce monde, que le flambeau se transmet.Rencontre avec une jeune femme tripante.

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Quelles sont les écrivaines qui vous inspirent ?

Des féministes américaines comme bell hooks [sic], Jessica Valenti, Kimberlé Crenshaw et, plus récemment, Roxane Gay. Dans mes temps libres, je lis des ouvrages plus légers d’humoristes féministes comme Bossypants, de Tina Fey, ou Yes Please, d’Amy Poehler.

Et les personnages historiques ?

Plusieurs Afro-Américaines totalement badass [« toffes »], comme Rosa Parks, la militante pour les droits humains qui a refusé, en 1955, d’offrir son siège à un Blanc à bord d’un autobus, ou Sojourner Truth [1797-1883], qui militait contre l’esclavage et a dénoncé l’exclusion des Noires du mouvement pour le droit de vote des femmes aux États-Unis. 

Quelle est votre personnalité politique féminine préférée ?

Hillary Clinton. 

Photo: Canal Évasion

Photo: Canal Évasion

Quelle est l’entrepreneure que vous admirez le plus ?

Au Québec, c’est la journaliste et blogueuse Tamy Emma Pepin, qui a récemment animé une série axée sur les médias sociaux et les voyages sur la chaîne Évasion. J’admire son énergie et son aplomb. C’est une amie et une source d’inspiration pour moi.

Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans votre travail ?

J’adore le rythme soutenu de mon boulot et le fait de ne jamais regarder ma montre pendant la journée. Par contre, ce rythme apporte son lot de stress, et ça peut être difficile à gérer. C’est parfois dur d’arrêter la bousculade d’idées et de décrocher.

Lisez-vous des médias traditionnels, des livres ou des journaux papier, ou tout se passe sur le web ?

La semaine, je passe presque 12 heures par jour collée à un écran. Au travail, tout se passe sur le web – c’est plus rapide et efficace. Je compte sur un fil de nouvelles rapides que les médias traditionnels ne peuvent pas m’offrir. Par contre, le week-end, j’essaie de limiter le plus possible le téléphone et l’ordi. Ma sœur m’a offert un abonnement au New York Times, et mon rituel du dimanche consiste à mettre mon téléphone sur le mode avion et à dévorer mon journal sans être interrompue. Ça me détend et me permet de ralentir. Je n’ai ni Kindle ni iPad. Un écran avant le dodo ? C’est fini, je ne dors plus !

Quels sont les plus grands défis que doivent relever les femmes aujourd’hui ?

Elles doivent constamment faire leurs preuves. Bien qu’il y ait de plus en plus de femmes dans les milieux de travail, les stéréotypes persistent. On a tendance à tenir pour acquis que les hommes sont compétents et on les prend au sérieux, alors que les femmes doivent mettre les bouchées doubles pour arriver au même résultat. Dans le contexte actuel, où beaucoup croient que le combat est terminé et que l’égalité est acquise, attirer l’attention sur cette réalité représente un défi supplémentaire. La présence d’un nombre égal de femmes et d’hommes dans une pièce ne signifie pas que l’égalité est atteinte.

Voulez-vous des enfants ?

Je ne sais pas encore – plus je vieillis, plus je me sens à l’aise de répondre ainsi à cette question, sans avoir peur des réactions.

Comment imaginez-vous la conciliation travail-famille ?

Dans un monde parfait, ce problème concernerait tout le monde. On continue à vivre dans un univers qui pousse les femmes à avoir une famille, mais où on les punit dès qu’elles en ont une. En fait, des études démontrent que les hommes ont droit à une augmentation de salaire après avoir eu des enfants (daddy bonus), alors que les femmes se retrouvent à faire pas mal moins d’argent (motherhood tax). On parle beaucoup d’équité salariale, mais l’écart de salaire entre les hommes et les femmes est moindre que celui qui existe entre les mères et les « non-mères ». Ainsi, quand on parle de la conciliation travail-famille, ce n’est pas juste une question de bonheur, c’est également une question d’argent.

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Quelles sont, selon vous, les vacances idéales ?

Ma recette du bonheur n’est pas compliquée : Montréal, ma famille, ma meilleure amie, de la poutine et Netflix.

Si vous êtes seule à la maison, que cuisinez-vous pour vous faire plaisir ?

J’avoue que je n’ai pas cuisiné chez moi depuis des mois. Mais quand je reviens à Montréal, j’aime préparer des gaufres avec mon père le dimanche matin, même si, la plupart du temps, tout est déjà prêt lorsque je me lève ! À bien y penser, côté bouffe, je suis pas mal choyée !

Y a-t-il des cocktails plus féministes que d’autres ?

Bonne question ! Quand je travaillais à la brasserie Benelux, à Montréal, j’ai appris que la bière la plus féministe est la stout parce que, quand tu bois une bière noire, no one wants to mess with you ! [personne n’ose te manquer de respect !] Le champagne Veuve Clicquot cache aussi une histoire féministe que j’ai récemment découverte. Si l’entreprise a été fondée par un homme, c’est sa veuve qui en a pris le contrôle en 1805 et qui a réussi à en faire un gros succès. Peu de gens le savent, mais on trouve son portrait sur chaque bouchon de bouteille. Une autre raison de célébrer au champagne !

Que pensez-vous des remplisseurs, lisseurs, injections de Botox et autres interventions esthétiques ?

Avant, j’étais tout à fait contre, mais, maintenant, je vois ça comme un autre traitement auquel les femmes (et certains hommes) se soumettent. C’est un choix personnel, même si je souhaiterais vivre dans un monde où chacun s’accepte comme il est. Il faut faire la différence entre juger une culture qui encourage la chirurgie plastique et juger les femmes qui ont recours à de telles interventions. Sinon, on s’attaque au symptôme plutôt qu’au problème.

Trouvez-vous que la mode est un sujet féministe ?

Certainement. Le monde de la mode a un énorme pouvoir : il établit les normes et les tendances. En ce moment, les normes sont inaccessibles, mais il y a possibilité de faire mieux. À New York, une de mes designers préférées est Carrie Hammer. J’ai eu la chance de participer à son défilé pendant la Semaine de la mode. Elle refuse d’utiliser un système de tailles pour ses robes. À la place de mannequins traditionnels, elle n’utilise dans ses défilés que des modèles de femmes inspirantes. Elle fait régulièrement appel à des mannequins avec des déficiences physiques ou intellectuelles. Ça motive les autres designers et l’industrie à ouvrir leurs horizons.

Dans quels vêtements vous sentez-vous le mieux ?

J’essaie de vivre avec le plus de bandes élastiques et le moins de talons hauts possible. Je me rends au travail à pied dans mes baskets roses et, dès que je reviens du bureau, je suis en jogging, sans soutien-gorge, et je ne porte que du mou. Mon secret, c’est de garder des talons hauts dans mon sac à main.

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Avez-vous une marque préférée pour les vêtements ou les chaussures ?

J’aime soutenir les entreprises qui sont contre le travail sous-payé et qui offrent à leurs employés de bonnes conditions. Après tout, ce sont surtout des femmes de pays sous-développés qui fabriquent les vêtements des grandes chaînes. J’encourage aussi les entrepreneures québécoises. Ma designer préférée en ce moment est Sabrina Barilà, de l’atelier La Montréalaise – lancé par une femme qui se soucie réellement du confort au féminin. Et j’achète mes lunettes chez BonLook, création de deux Québécoises.

Aimeriez-vous faire de la politique ?

On m’a déjà approchée pour que je me présente aux États-Unis, mais pour l’instant j’ai plus d’influence en restant du côté des médias. Si on permet un jour à une Québécoise d’être présidente des États-Unis, peut-être que j’y réfléchirai… Présidente Plank, ça sonne bien. 

Quel problème du monde aimeriez-vous régler en premier ?

Le manque d’empathie. Si les gens étaient un peu plus empathiques, une caractéristique féminine, il y aurait moins de guerres, moins de famines et beaucoup moins de conflits. 

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