Entrevues

France Beaudoin

Les gens heureux n’ont pas d’histoire, dit le dicton. France Beaudoin, qui respire le bonheur, en a pourtant une remarquable, qui passe par la Chine et comporte quelques surprises…

Il y a quatre ans, France Beaudoin souriait à belles dents sur la couverture de Châtelaine. Elle s’apprêtait alors à quitter le Québec pour aller au bout du monde, où l’attendait une fillette d’un an. Elle ne se doutait pas de ce qui allait suivre…

Récapitulons.

En juillet 2005, France apprivoisait encore ses toutes nouvelles fonctions : animatrice du talk-show estival à l’antenne de Radio-Canada. Son départ récent de TVA, où elle était l’une des stars montantes, n’avait pas été vécu dans l’allégresse. Outré de s’être fait « voler » sa vedette, son ancien patron avait rétorqué en révélant le salaire versé par la télé publique à France pour quelques mois de boulot (« Elle gagnera deux fois ce qu’elle faisait à TVA en une année ! »). Prise en sandwich dans cette guerre de réseaux qui l’éclaboussait, la jolie brune avait gardé la tête haute et été à la hauteur. Bons baisers de France récoltera dès le début de bonnes critiques et des cotes d’écoute appréciables qui en assureront le retour année après année, jusqu’à aujourd’hui.

J’ai fait sa connaissance au cœur de cet été riche en émotions autant côté perso que côté boulot. Car France se préparait à vivre une expérience potentiellement bouleversante et pourtant maintes fois rêvée : partir en Chine avec son conjoint, le comédien Vincent Graton, pour y adopter un enfant. Une fille, évidemment, dont ils ne connaissaient rien, à part le fin minois imprimé sur une mauvaise photo et le prénom français – Juliette – qu’elle porterait bientôt. Dans la cafétéria de Radio-Canada, deux mois avant le jour J, l’œil brillant à l’idée de devenir enfin mère après une série de fausses couches, France m’avait confié : « On dit souvent que ces enfants-là ont été abandonnés. Je ne le nierai pas, mais je lui dirai aussi qu’elle a été choisie. »

Quatre ans plus tard…

France Beaudoin est aussi charmante que dans mon souvenir, plus encore si possible. Avec elle, l’interview devient une vraie rencontre et le travail de journaliste, un réel plaisir, qu’on devine partagé. Avec elle, en privé comme à la télé, un sourire n’attend pas l’autre : sourires pubs de dentifrice, demi-sourires songeurs, quarts de sourire espiègles… Certains esprits chagrins trouvent qu’elle sourit trop. « Je n’y peux rien, leur répond-elle, c’est dans ma nature. » Certains (sans doute les mêmes) estiment qu’elle est complaisante, pas assez mordante avec ses invités. Là n’est pas son mandat. Et, d’ailleurs, elle n’est pas comme ça. « Il n’y a pas une once de méchanceté chez cette femme, croit Chantale Marquis, chef recherchiste de Bons baisers depuis les débuts. Après cinq ans, je l’aurais vue, cette once-là. Jamais de crises de vedette non plus, ce qui est rare dans ce milieu… Oui, elle est fine, gentille, mais pas mielleuse. Elle a des opinions, elle n’aime pas tout, ni tout le monde. »

Les dessous de la séance d’essayage et les coups de coeur littéraires de France Beaudoin.

Son BlackBerry sonne. « Excuse-moi, c’est mon chum. Je vais le prendre, ce sera pas long. » Elle commence à parler : « Comment ? Ben voyons donc, Vincent… » Ses grands yeux s’embuent, des larmes coulent. De joie, comme elle me l’expliquera ensuite – un peu mal à l’aise d’avoir vécu un moment intime devant témoin – dans un courriel qu’elle m’a permis de reproduire :

« J’ai eu une magnifique bouffée d’émotions multiples en apprenant que Juliette avait été acceptée dans une école où c’est très difficile d’être admis… C’est une école publique à vocation particulière qui valorise l’ouverture au monde, la confiance en soi, l’autonomie. Et tout ça est évalué avant que l’enfant soit accepté. Ce n’est donc pas une émotion de parent fier de voir son enfant réussir. C’est un parent fier pour son enfant de la savoir en confiance dans un milieu nouveau où elle n’a pas de repères… Ce qui m’a émue, c’est de revoir le chemin parcouru. Elle a eu, comme bien des enfants adoptés, un parcours exigeant… »

En écrivant cela, France repensait-elle aux huit premiers mois de Juliette au Québec ? Toutes les nuits, de 15 à 20 fois, la petite, hurlant et tremblant, était sujette à des « terreurs nocturnes ». À chaque crise, la nouvelle maman, couchée sur un lit de camp au pied du berceau, la prenait dans ses bras, lui chuchotait de l’amour, jusqu’à ce qu’elle se calme. France me l’avait dit en 2005 et me l’a répété en 2009 : « Je savais que je n’allais pas en Chine me chercher une poupée. Je ne suis pas partie avec une vision romantique, j’étais prête pour une enfant dont je ne savais à peu près rien. »

Tu n’as rien appris là-bas ? L’orphelinat ne t’a rien dit ?

« J’en sais des bribes, qui n’appartiennent qu’à elle. Quand on nous l’a euh… remise, donnée… quand on l’a rencontrée la première fois, j’ai accroché l’interprète de l’orphelinat, on a pris la caméra et j’ai dit à mon chum : “Ça doit être l’entrevue la plus importante de ma vie.” » J’ai posé des questions en rafale, Vincent filmait et l’autre voulait s’en aller. Je le retenais… Au  fond, je ne sais pas ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas dans ce qu’on nous a dit. »

Je lui mentionne les déboires de Madonna, qui faisait (encore) les manchettes au moment de l’entretien. L’ex-MaterialGirl, désireuse d’adopter un deuxième enfant africain, une orpheline de trois ans, venait d’essuyer un refus du gouvernement du Malawi. La « mode » des stars qui, dans leurs palaces, élèvent des poupons du tiers-monde a propulsé l’adoption internationale dans les pages people. Même si France Beaudoin trouve qu’il est « ridicule » qu’on lui accole l’étiquette de vedette, son statut de personnalité publique québécoise lui a valu quelques désagréments. Reconnue dans une réunion de parents en instance d’adoption, elle a pu ainsi lire ensuite sur un blogue qu’elle consultait pour dénicher des conseils : « Devinez qui était là… c’est sûr qu’ils vont passer avant tout le monde, ils vont la payer moins cher, c’est sûr qu’elle va être plus belle… » « Je te dis pas la peine que j’ai eue à lire ça, parce que c’est pas une vedette de la télé qui est assise devant un ordinateur, tu comprends, c’est une mère qui a eu une photo et qui attend son bébé et qui n’en peut plus d’attendre. La personne qui a écrit ça, elle n’a aucune maudite idée… »

À l’évocation de ce mauvais souvenir, fait exceptionnel, son visage se ferme, ses yeux se durcissent. Elle aura la même réaction plus tard quand elle racontera les trois ou quatre fois où des inconnus croisés à l’épicerie lui ont demandé devant Juliette : « Combien vous l’avez payée ? »

Qu’elle mette en scène Madonna, Angelina Jolie ou Madame Tout-le-Monde, l’adoption internationale ne fait pas l’unanimité. Son principe même est critiqué, son éthique mise en question : où s’arrête l’altruisme, où commence l’égoïsme ? Est-ce une nouvelle forme de colonialisme ? France Beaudoin, qui n’est pas du genre à se mettre la tête dans le sable, s’est beaucoup interrogée sur les véritables raisons de son désir d’adoption. Un besoin viscéral né il y a longtemps, quand des amis de ses parents ont adopté deux Guatémaltèques. « J’avais sept ou huit ans et je les trouvais beaux. Il y avait un côté humanitaire là-dedans, une rencontre des peuples. Évidemment, je me suis demandé, avant de partir en Chine et pendant que j’étais là-bas, qui j’étais pour penser que moi, nord-américaine, j’étais mieux placée pour offrir à cette enfant une vie meilleure. » Aujourd’hui, quand elle repense à l’orphelinat, où les (rares) garçons sont mieux traités que les filles, quand elle se souvient des carences de Juliette qui, à un an, ne se traînait même pas encore à quatre pattes, quand elle constate les progrès fulgurants de sa fille choisie parmi des centaines d’autres pour une place dans une école, France tient sa réponse. Et ne regrette rien. Elle pense même récidiver.

Six mois après l’arrivée de Juliette dans sa vie, la nouvelle maman se sentait faible, souvent nauséeuse. Quelque chose clochait, mais quoi ? Hypocondriaque de nature (« mais je me soigne », dit-elle, peu convaincante), surtout depuis que son père a été atteint d’un cancer à 49 ans (il en mourra 8 ans plus tard), l’animatrice était certaine de souffrir d’une maladie grave, sûrement mortelle. « Je suis allée chez le médecin, toute seule, prête à me faire dire que j’avais le cancer. » Surprise : non seulement sa santé était bonne, mais elle avait un fœtus de 14 semaines dans le ventre. Le diagnostic l’a assommée. « J’étais incapable de bouger, de parler. N’importe quelle autre femme aurait su qu’elle était enceinte : j’en avais les symptômes, je n’avais plus mes règles… Je n’avais pas été déclarée infertile, mais j’avais été tellement déçue, j’avais tellement braillé à cause des fausses couches, j’en pouvais plus, donc j’avais fait delete. C’était impossible. »

Une nouvelle extraordinaire, mais un mauvais timing. France, qui avait signé un contrat de deux ans avec Radio-Canada, se retrouvait donc à piloter Bons baisers tout l’été avec une bedaine qui grossissait à vue d’œil devant les caméras. Son chum, un gars formidable toujours là pour l’appuyer dans tout, a refusé de reprendre la coanimation des Kiwis et des hommes pour rester à la maison et s’occuper de Juliette. France n’hésite pas à le louanger, comme elle reconnaît la coopération de son employeur, sensible à la conciliation travail-famille : l’été suivant, l’émission a repris l’antenne en juin plutôt qu’en avril pour qu’elle ait le temps de récupérer. C’est André Robitaille, son remplaçant lors du retour de Bons baisers pendant la période des fêtes, qui a annoncé en ondes la naissance de Théo, le 20 décembre 2006.

France est très secrète sur sa vie privée. Elle parle très peu des deux enfants que Vincent a eus avec la comédienne Geneviève Rioux. Ils ont aujourd’hui 11 et 16 ans et vivent une semaine sur deux avec leur père, donc avec France. Le rôle de belle-mère est très complexe, estime l’animatrice, et n’a pas bonne presse en général (« On n’a qu’à penser à la belle-mère de Cendrillon »). Elle espère un jour en faire le sujet d’un documentaire.

Sur ses enfants aussi, elle demeure discrète. Exceptionnellement, elle m’a montré des photos de ses deux trésors. Et m’a autorisé à les décrire. Alors voilà. Théo est à croquer. Il a la forme des yeux de Vincent mais le regard de France, les dents de papa et les lèvres de maman, et les cheveux d’on ne sait qui. « Imagine la surprise quand il est venu au monde. Il n’y a aucun roux dans nos familles respectives. Je dis à la blague que c’est André Robitaille qui a été un bon “remplaçant”. » Et Juliette ? Elle est magnifique. L’arrivée d’un petit frère n’a pas été facile, raconte France. « Elle suivait la grossesse, venait assister aux échographies et savait qu’elle ne venait pas de là. Elle a compris très vite : « Pourquoi lui il a des photos dans ton ventre et pas moi ? » Ce qui a fait ressortir son agressivité. Les livres disent que l’idéal, c’est qu’il y ait une différence de quatre ans entre les enfants pour qu’on ait suffisamment de temps pour chacun d’eux. Je me suis sentie coupable d’être allée la chercher et de lui faire vivre ça tout de suite. »

Aujourd’hui, Juliette et Théo sont inséparables et très complices contre leur mère, qui trouve cela formidable. « La vie, c’est pas comme dans les livres et peut-être que j’ai permis à Juliette de toucher à une souffrance très jeune. Ça n’a sûrement pas tout réglé mais, depuis, elle a une sorte de liberté, elle est sûre qu’elle a sa place chez nous. Quand on lui demande si elle veut des enfants, elle répond qu’elle va aller en chercher un en Chine et en avoir un autre dans son ventre. Elle en parle ouvertement. »

« Tu sais, on est chanceuses parce que, même si nous étions toutes les deux aux deux bouts du monde, on a réussi à se trouver, à se retrouver », répète France à Juliette, une phrase que sa fille réclame et connaît par cœur. « Ensuite, raconte l’animatrice, il y a toujours un moment de tendresse, suivi obligatoirement d’un : “Dis la phrase drôle pour finir, maman !” Et je termine avec : “Pis là, t’es pognée avec moi pour toujours !” Et ça, ça la fait rire sans fin… »

Bio express

1969 naissance à Disraeli, près de Thetford Mines. Papa proprio du magasin général, maman coiffeuse. « J’aurai 40 ans le 25 août. Mon chum en a 50, ma mère, 70. Je les vois angoisser alors que moi, j’adore mes 40 ans. Je trouve qu’il y a du power dans la quarantaine. À cet âge-là, t’as encore de l’énergie, tu peux profiter encore plus de la vie. C’est comme le début de quelque chose… »
Fin années 1980 études au Cégep de Jonquière, en arts et technologies (spécialisation : journalisme radio)

1989-1991 reporter puis présentatrice au Grand journal de l’estrie (TQS)

1993-1997 animatrice de La vie en Estrie (15 minutes de nouvelles culturelles chaque jour, TVA-Sherbrooke)

1990 présentatrice à La poule aux œufs d’or (TVA)

1994-1998 chroniqueuse à Bla Bla Bla, émission animée par Danielle Ouimet (TVA)

2000-2005 coanimatrice de Deux filles le matin (TVA)

2003 recherchiste, scénariste et réalisatrice de Cœurs et âmes, documentaire sur un Québécois greffé du cœur qui a escaladé le mont Blanc

2005 à aujourd’hui animatrice de Bons baisers de France (Radio-Canada)

2008-2009 animatrice de M pour Musique (Radio-Canada). « L’automne prochain, l’émission revient, mais dans une version différente à cause des compressions budgétaires et du contexte actuel. Je vais la coproduire avec La Presse Télé, une grande première… » Est-ce là le début d’une nouvelle carrière ?

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