Entrevues

Suzanne Daneau et Martine Dupont, intervenantes en alphabétisation

Elles donnent à des décrocheurs qui ne savent ni lire ni écrire le goût des mots… et l’envie de prendre leur place dans la société.

Pourquoi de jeunes Québécois sont-ils analphabètes même après avoir fréquenté l’école, alors que des Africaines apprennent à lire et à écrire en 50 jours ? La question tracassait Suzanne Daneau et Martine Dupont, les deux âmes dirigeantes de l’organisme d’alphabétisation La Boîte à lettres qui, depuis 25 ans, a pignon sur rue à Longueuil.

Avant d’atterrir dans ce groupe populaire quelques années après sa création, Suzanne, travailleuse sociale, vivait en Afrique. Martine, elle, enseignait dans un collège privé, en Montérégie. Ensemble, en cogitant, elles ont mis au point une approche novatrice d’apprentissage à la Boîte à lettres.

Pour mieux aider les analphabètes de 16 à 25 ans, elles se sont lancées, de 1996 à 2001, dans une recherche sur le terrain avec des chercheuses de l’UQAM. Dans le cadre de cette étude, une centaine de jeunes devaient raconter – sur papier ou verbalement – l’histoire de leur relation à l’écriture. Le but : cerner les événements clés qui avaient marqué leur parcours scolaire. L’exercice a fait parfois remonter à la surface des souvenirs pénibles. Un des participants a ainsi réalisé que la mort de son petit frère, alors qu’il était en deuxième année du primaire, l’avait mené à l’échec. « Ils se sont tous construit une identité d’analphabète, d’être humain incapable d’apprendre », observe Martine Dupont.

Dans le « récit de vie », la lecture et l’écriture sont un moyen d’affirmation. L’outil qui blessait devient l’outil de guérison.

Hors du cadre universitaire, le récit de vie est devenu une activité clé de La Boîte à lettres. Aujourd’hui, d’autres groupes d’alphabétisation ont emboîté le pas. Faut-il le rappeler ? Un Québécois sur dix de 16 à 25 ans se classe au niveau un – le plus bas sur cinq – en littératie (connaissances en lecture et écriture permettant de se débrouiller dans la vie de tous les jours). « C’està- dire qu’il a, par exemple, de la peine à comprendre la posologie d’un médicament », indique Martine.

À Longueuil, les jeunes fréquentent La Boîte à lettres à temps partiel, sur une base volontaire. Ils y viennent parce qu’ils sont dans un cul-de-sac : inaptes à se trouver un emploi ou à retourner sur les bancs d’école. « Frustrés, ils ont des troubles de comportement et de la difficulté à entrer en contact avec les autres », précise Suzanne. Si certains n’y passent que quelques mois, d’autres s’y attardent pendant plusieurs années avant d’aller suivre une formation professionnelle (boucherie, coiffure, cours de préposé aux bénéficiaires) ou de dénicher de petits boulots.

En sortant de La Boîte à lettres, peu d’entre eux réussissent toutefois à terminer leur secondaire. « Au moins, ils sont plus épanouis, moins agressifs », soutient Martine. Sa collègue renchérit : « Les miracles sont rares, mais le fait qu’ils s’acceptent davantage facilite leur intégration à la société. »

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