Entrevues

Trois gars, un lunch et le Botox

On pose souvent la question aux filles, moins aux gars: comment vivent-ils le fait de vieillir? Éric Salvail avait le goût d’en jaser avec les comédiens Simon-Olivier Fecteau et Luc Guérin.

Photo: Jocelyn Michel

Photo: Jocelyn Michel

Éric Salvail, 45 ans Dans le monde du spectacle, les femmes affirment que plus elles avancent en âge, moins le téléphone sonne. On a l’impression que les gars s’en tirent pas mal mieux. Je suis curieux de connaître votre point de vue là-dessus. Pensez-vous que, en vieillissant, on vit effectivement moins de difficultés, de contraintes qu’elles ?
Luc Guérin, 55 ans  La pression sur les femmes pour qu’elles ne fassent pas leur âge est énorme. Pendant ce temps, nous, on se fait dire que nos cheveux gris sont charmants… Un gars va passer une audition un matin, il enfile son jean, un veston, et banzaï ! Collectivement, on accepte mieux l’œuvre du temps chez l’homme. Et je ne dis pas ça triomphalement : je trouve ça injuste.

Simon-Olivier Fecteau, 39 ans  Ça tient au fait qu’on est conditionnés à vendre des images différentes depuis l’enfance, je pense. L’homme doit projeter de la force. Tant mieux si les expériences l’ont un peu magané, s’il est dépeigné, débraillé : ça renforce son côté G.I. Joe. Tandis que les filles doivent être belles : une peau lisse de poupée, un corps et un look parfaits… Les critères de beauté ne sont pas les mêmes. Mais c’est de moins en moins vrai aujourd’hui : on sent un mouvement pour que ces stéréotypes tombent. Dans des séries comme Unité 9 ou La galère, on voit des femmes se permettre de ne pas être parfaites à l’écran. Ça fait du bien.

À l’inverse, ressentez-vous maintenant plus de pression pour être beaux ?

Simon-Olivier  Oui. Les critères changent pour nous. Dans les années 1950, ça n’existait pas, les abdominaux !

Luc  À quelle date c’est apparu, ces maudites affaires-là ? C’est qui, le con qui a inventé ça ?

Simon-Olivier  Des sexe-symboles comme Sean Connery ou Elvis Presley, pensez-vous que ça s’entraînait ? On est tous plus en forme qu’eux. Maintenant, les acteurs de Hollywood suivent des régimes sans glucides, ils ont tous le visage osseux !

Luc  En Grèce antique, on valorisait aussi les corps bien sculptés. C’est cyclique : on est revenu à une époque esthète. On cherche la longévité, la jeunesse éternelle, et on a tous les moyens pour y arriver…

Simon-Olivier  En plus, il y a des caméras partout, jusque dans nos téléphones. Tout passe par l’image, tout le monde y a accès. Chacun fait son propre marketing.

Éric  La mode des autoportraits en témoigne. On aime être vu. Et on aime se montrer. Ce qui me frappe, moi, c’est la panoplie de crèmes pour hommes à la pharmacie maintenant.

Simon-Olivier  Il y a deux ans, je n’avais aucun produit de beauté, à part un savon, une brosse à dents et du shampooing. Mais depuis que je suis plus présent à l’écran, j’utilise de la crème hydratante, des trucs pour les cheveux…

Luc  J’ai passé la moitié de ma carrière à me démaquiller avec des Wet Ones dans l’auto. Jusqu’à ce qu’une femme me dise : « Te rends-tu compte que t’es en train
de te “scraper” la face ? Tu pourrais aussi bien te servir de papier sablé. » Maintenant, je me mets de la crème matin et soir, et je vais chez l’esthéticienne deux fois par année.

Éric  Juste deux fois ? J’y vais chaque mois.

Luc  J’aime que les hommes prennent soin d’eux. C’est plus équitable. Il fut un temps où ils se permettaient de critiquer le physique de leur épouse alors qu’eux-mêmes faisaient de la bedaine. Regarde-toi donc avant de parler… Les gars sont peut-être encore exigeants envers leur femme mais, au moins, ils le sont aussi envers eux !

Éric  Je suis bien plus sévère envers moi qu’envers autrui. Même si je me trouve plus beau qu’avant, je ne célèbre pas mes pattes-d’oie. Quand je me regarde à la télé le soir, en gros plan… Des fois, j’appelle mon réalisateur : « Cette prise de vue-là, on pourrait pas la changer ? On voit juste mon double menton ! » La haute définition à la télévision, c’est terrible. La moindre -pellicule sur l’épaule ou le moindre poil de barbe nous saute aux yeux.

Luc  En effet… L’étape d’après, c’est la radiographie ! J’ai l’antidote à ça : je ne me regarde pas, sauf si j’y suis forcé. Ne pas savoir de quoi j’ai l’air me donne une plus grande liberté quand je joue. Sinon, j’aurais peur de devenir conscient de la caméra. Surtout qu’en vieillissant on est plus coquet !

Simon-Olivier  Moi, je n’ai pas le choix de me regarder, je fais le montage de mes émissions… Ça ne me dérange pas. J’ai toujours eu hâte d’avoir des rides et des cheveux blancs. Comme mon père, qui m’a eu tard dans sa vie. C’est une force de la nature, il m’a beaucoup marqué. J’associe les traces du temps sur un visage à l’expérience, à l’accomplissement, au vécu. Enfin, mon discours changera peut-être dans 10 ans…

Que pensez-vous de la chirurgie plastique ? Vous y auriez recours ?

Luc  Ça fait longtemps que j’y songe, mais là, je suis prêt : cette année, je me fais décoller les oreilles. À la Gainsbourg. [Rires]

Éric  Je ne suis pas contre. Je lisais récemment que le Botox était de plus en plus populaire chez les hommes, tout comme les implants pour garder la mâchoire carrée. Je suis très influençable sur ce plan, toujours prêt à essayer des trucs. En ce moment, mon esthéticienne me fait des traitements qui stimulent le collagène. Si ça peut faire en sorte que je me préserve plus longtemps, pourquoi pas ? Je gagne ma vie avec mon image.

Luc  Je n’ai rien contre non plus, sauf quand ça dénature la personne. Certaines grandes stars, hommes et femmes, se sont fait faire tellement d’interventions qu’elles en ont perdu leur âme, leur empreinte.

Simon-Olivier  Ça donne des visages moins intéressants quand on essaie de « patcher » des affaires. C’est beau, quelqu’un qui se bat pour survivre, qui a des buts, de l’ambition, de la force de caractère. Ça m’allume beaucoup chez les femmes. Plus qu’une beauté de mannequin. Celles de 68 ans qui en paraissent 42, elles ont l’air comme… hors foyer ! Je préfère un regard clair, décidé, même s’il y a des rides autour.

Photo: Jocelyn Michel

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Est-ce que vous vous trouvez plus séduisants en vieillissant ? 

Luc  Je ne suis pas prêt à dire ça. Ce qui est tordu, dans notre métier, c’est que le fait de passer à la télé nous donne une sorte d’aura auprès des autres – ce que mon ami Antoine Bertrand appelle « le pouvoir infini du câble » ! Si je n’étais pas connu, je ne pense pas qu’on se retournerait sur mon passage dans un centre commercial. Ceci dit, je me sens très bien dans mon corps et dans ma tête. Quand tu as ça, vieillir fait moins peur.

Simon-Olivier  Je n’ai jamais été aussi bien dans ma peau que maintenant, à presque 40 ans. Je me sens à mon maximum sur tous les plans. Mais ça a été long – ça fait juste deux ans que je suis adulte. C’est la première fois que je comprends pourquoi j’ai des REER !

Éric  Je préfère aussi la quarantaine. Le jour de mes 30 ans, j’ai pleuré jusqu’au party, le soir. C’était la fin d’une étape. Je n’avais pas l’impression d’avoir réalisé ce que j’aurais dû réaliser. J’ai été sérieux bien jeune. J’ai eu très tôt une entreprise, une maison… J’ai regretté de ne pas avoir été plus léger. Malheureusement, on ne peut pas revenir en arrière.

Luc  J’ai vécu toute ma jeunesse dans la peur de vieillir. Je ne voulais pas perdre le fun – on associe tellement la jeunesse au party… Finalement, à 55 ans, j’apprécie bien plus la vie qu’à 30. Je sais mieux utiliser ma batterie d’énergie. Avant, à midi, j’avais déjà tout donné !

Éric  C’est vrai qu’on apprend à mieux gérer ses réserves, tout en étant capable de produire beaucoup. C’est fou comme les gens de 50, 60 ans ont l’air plus vivants, plus jeunes aujourd’hui ! Moi, je me sens au cœur de l’action.

Luc  Par contre, j’ai intégré une notion depuis peu : il faut profiter de chaque instant. Je sais, ça sonne creux comme phrase. Mais j’y tiens. Parce que ça passe vite en maudit. C’est tellement bon en ce moment, je ne veux rien manquer. J’ai réalisé aussi que si je prends soin de moi physiquement, ce n’est pas que pour des motifs esthétiques : je veux être là longtemps pour ceux que j’aime. Pour mes deux grandes filles, par exemple.

Éric  Moi je n’ai pas d’enfant. Je n’ai pas complètement écarté la possibilité d’en avoir, j’y pense souvent, mais ai-je la vie pour ça ? Je travaille beaucoup, et ça me rend très heureux. Alors il y a des choix à faire. Certains projets, certains rêves n’aboutiront jamais. Il faut en faire le deuil. On apprend ça avec l’âge.

Simon-Olivier  Moi aussi, j’ai appris à moins m’accrocher à mes buts. Parfois, les choses ne se déroulent pas comme prévu. Maintenant, j’accepte de prendre les virages qui se présentent sur ma route, au lieu d’essayer de foncer à travers la montagne.

À qui aimeriez-vous ressembler en vieillissant?

Simon-Olivier  À mon père. C’est un artiste-peintre qui a toujours fait ce qu’il aimait. À 85 ans, il vient de refaire le toit de sa maison lui-même. Il a tous ses cheveux, il est plus en forme que bien des gars de 60 ans, il est plus jeune que moi dans sa tête… La barre est haute : il faut que je batte ça !

Éric  J’aime beaucoup Regis Philbin, celui qui animait Live ! with Regis and Kelly et Who Wants to Be a Millionaire? À 70 ans passés, il menait les deux émissions de front, sans avoir rien perdu de sa vivacité ni de son sens de la répartie. Cette dernière qualité, je l’ai également, et j’espère la conserver aussi longtemps que lui. Quand on est passionné par ce qu’on fait, ça retarde le vieillissement.

Luc  C’est comme Denise Filiatrault, encore active à 84 ans… C’est la passion qui la tient, elle aussi. Pour certaines personnes, le travail, c’est la santé. Même chose pour Janine Sutto, qui va encore au théâtre, qui continue de se nourrir intellectuellement. Son esprit ne s’atrophie pas. Au fond, sauf lorsque la maladie nous terrasse, c’est nous qui décidons quand nous devenons  vieux. Avec le temps, j’espère devenir quelqu’un d’intéressant. De signifiant. Je veux que mon passage ait eu un sens.

Photo: Jocelyn Michel

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