Entrevues

Belles à tout âge

Entrevue sur l’image de soi avec trois beautés de chez nous!

Toutes trois évoluent sous l’œil de la caméra. L’obligation de correspondre à un idéal, la crainte de se voir flétrir, les comparaisons avec plus hot que soi, elles connaissent. Mais elles apprennent à s’aimer pareil. 

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Vous trouvez-vous belles ?

Julie Perreault Je… [pause]. Ça dépend des jours. En vieillissant, j’ai gagné des affaires, mais j’en ai perdu d’autres. Heureusement, le fait d’avoir été la « pas belle » quand j’étais jeune m’aide à relativiser l’importance de l’apparence, même si je ne suis pas au-dessus des considérations esthétiques.

Julie Perreault, une « pas belle » ? Vous qui êtes devenue, à travers le personnage de Fanny dans Minuit, le soir, une sorte de sex-symbol ?

J. Ah! mais je le jure! Je n’aurais jamais cru jouer un jour une femme dans la séduction, armée de faux seins et de rallonges de cheveux. Je n’en revenais pas de remporter tout à coup des concours de «fille la plus sexy du Québec». Ce n’est pas moi du tout, ça.

Marie-Thérèse Fortin C’est vrai qu’il y a souvent une profonde dichotomie entre la perception qu’on a de soi, sans fard ni rien, et ce que la caméra renvoie aux autres.

J. Je me souviens d’avoir envié la beauté d’autres filles. Leur blondeur, leur minceur, leur teint de porcelaine. Moi, j’étais plutôt la «p’tite comique», une tomboy en salopette… Le jeu des comparaisons me faisait souffrir, mais je m’en suis sortie en me valorisant par mon talent et ma personnalité. Aujourd’hui encore, je trouve que c’est ce que j’ai de plus beau.

Sarah-Jeanne Labrosse Pour ma part, contrairement à bien des gens qui sous-estiment ou surestiment leur beauté, je pense être très lucide. Je sais exactement de quoi j’ai l’air. La plupart du temps je me trouve jolie, choyée. Mais je suis une «fille de base» – je chausse des sept, je porte du six ans, ma taille de soutien-gorge est standard…

M.-T. The girl next door, quoi.

S.-J. Oui. J’étais même étonnée que Châtelaine me sollicite pour faire la couverture d’un numéro consacré à la beauté. J’ai dit à mon chum: «Pourquoi ils n’appellent pas une fille comme l’actrice Julianne Côté? Elle est tellement belle!» Cela dit, même si je n’ai ni un visage hypnotisant ni des jambes de gazelle, je suis super bien dans ma peau de «fille de base».

M.-T. Moi, c’est plus compliqué.

J. Compliqué comme dans ?…

M.-T. Je ne me suis jamais trouvée belle.

J. Mais quand tu te vois en photo ou à la télé, tu ne te dis jamais : « Je parais quand même bien, là ! » ?

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Marie-Thérèse Fortin, 55 ans, comédienne (Mémoires vives, Boomerang
[à venir], Les grandes chaleurs)

M.-T. Bof. Mon amoureux a beau me complimenter chaque jour depuis 25 ans… je continue de me trouver ordinaire. Je sais, je ne suis pas Quasimodo. Mais je ne suis pas quasi-Bardot non plus ! Je suis très sensible à la grande beauté. Je tripe sur les actrices faites comme des lianes, moi qui suis une ancienne boulotte. C’est tout un combat de ne pas déprimer à cause de mon nez, ma poitrine, mon p’tit ballon de foot à la ceinture. On a beau discourir sur la beauté intérieure, peu de femmes échappent aux inquiétudes quant à leur apparence. Surtout pas les comédiennes. On s’observe beaucoup entre nous. Quand on se retrouve dans les galas, on ne parle que du fait qu’une telle s’est fait remonter, qu’une autre a donc engraissé… C’est triste.

J. Que veux-tu, la beauté est un atout indéniable. Quand la comédienne Évelyne Brochu entre dans une pièce, on ne voit qu’elle. C’est une bombe ! Même chose pour Charlotte Le Bon. On est hypnotisé, la bouche ouverte.

M.-T. D’un autre côté, ça devient lourd quand tout le monde est pâmé. Je connais des actrices qui sont objectivement splendides et qui disent : « Eille ! je ne suis pas juste belle ! Peut-on parler de mon jeu aussi, de mon talent, de ce que j’apporte au personnage ? » Quand ta vie intérieure n’est jamais prise en considération, c’est terrible. Sans compter que, en vieillissant, elles se font lancer : « Ouen, elle n’est plus ce qu’elle était, hein ? »

Jouer un rôle qui vous désavantagerait sur le plan physique, ça vous poserait problème ? 

S.-J. et J. Au contraire, on adore ça !

J. Il faut quand même être en paix avec son image pour accepter de se voir dans des suits peu seyants… Pour le look de mon personnage de policière haut gradée dans la série 19-2, j’avais demandé à Podz, le réalisateur, de casser toute référence à Fanny dans Minuit, le soir. J’ai été servie ! Je porte des costumes gris et j’endure un gros toupet pendant cinq mois… Mais ce qui me frappe, c’est à quel point les traits se transforment quand on incarne un tempérament ombrageux. Jusqu’à en devenir laide. Comme quoi beauté et laideur dépendent fondamentalement de ce qu’on porte en soi, peu importe la plastique.

M.-T. Ce qui constitue une forme de joyeuse revanche pour ceux dont la tronche est ordinaire… de savoir que l’appétit de vivre, le charme, l’humour, la bonté illuminent vraiment le visage.

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Sarah-Jeanne Labrosse, 23 ans, comédienne (Unité 9, L’appart du 5e, Yamaska)

S.-J. Dans Unité 9, j’incarne Laurence, une détenue. Quand j’ai enfin regardé un épisode, longtemps après le début de la série, j’ai été décontenancée : « Mais qu’est-ce qui se passe avec ma bouche ? » [rires] Je ne me reconnaissais pas. C’est bien que je m’en sois rendu compte sur le tard, parce que j’aurais tenté de corriger une mimique qui, au fond, sert le personnage. Mais ça reste confrontant de se voir à l’écran sous un mauvais jour. Dans le milieu, la compétition sur le plan physique est féroce. Un paquet de filles de mon âge sortent des écoles de théâtre et beaucoup cherchent à se démarquer par leurs atouts physiques, leurs traits, leur funkyness

M.-T. Le souci de l’image est plus présent que jamais. Ça tourne à l’obsession. Quand j’ai été promue du Conservatoire d’art dramatique, en 1982, le look « pimpé » n’avait pas la cote. Notre modèle de beauté, c’était Diane Keaton en veston-cravate dans les films de Woody Allen… Le discours féministe en vogue condamnait le maquillage. Il n’était surtout pas question de Botox.

J. C’est à cause de l’importance qu’ont prise le cinéma et la télé. À ma sortie du Conservatoire, en 1998, les comédiens rêvaient surtout de monter sur les planches du TNM ou du Prospero.

M.-T. Oui, on s’excusait de jouer dans une émission de télé ! C’était juste pour faire de l’argent [ton dédaigneux].

J. Aujourd’hui, beaucoup de jeunes acteurs veulent faire du cinéma. Ils rêvent du tapis rouge à Cannes. Je ne sous-estime en rien leur passion pour le métier, mais c’est quand même une autre réalité que le Prospero, sur le plan de la culture de l’image ! Anne Dorval le disait en rentrant de Cannes, il y a quelques mois : tous les designers se ruent sur toi. On veut te coiffer, te maquiller, on t’apporte des robes, des bijoux…

M.-T. Je n’ai rien contre le fait de prendre soin du contenant. Dans les années 1980, on se définissait beaucoup en opposition avec la « pitoune » et, ce faisant, on obéissait aussi à un diktat. La vérité, c’est que, dans le fond, on restait consciente et inquiète de son image. Je pense qu’il faut tendre vers un éventail de possibles pour les femmes.

S.-J. Ma génération a un rapport décomplexé au maquillage et aux talons hauts. On passe de la salopette au look « tapis rouge » au gré de ses envies. La chirurgie plastique non plus n’est pas taboue : on avoue sans gêne avoir subi une intervention.

M.-T. Bref, le fait d’investir dans son apparence n’est plus perçu comme de l’esclavage, mais comme l’expression d’une liberté… Je reste toutefois un peu interdite devant le phénomène des selfies. Pas que je juge, mais je me demande d’où ça vient !

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Julie Perreault, 38 ans, comédienne (19-2, Minuit, le soir, Les jeunes loups) et photographe

S.-J. C’est sans doute une forme de voyeurisme. Franchement, ça ne m’intéresse pas de consulter le compte Instagram d’une personne qui ne montre pas son visage.

M.-T. Mais cette importance accordée à l’image a un effet pervers, non ? Ce n’est plus ton CV qui m’intéresse, mais ta face ! Et puis, on confond perception de l’autre et réalité…

S.-J. Je ne dis pas que c’est positif, mais c’est un désir impulsif. Remarquez qu’à travers ça on peut tenter d’avoir une bonne influence. Quand j’ai commencé à faire des émissions jeunesse à VRAK.TV, il y a deux ans, je suis vite devenue un modèle. Les jeunes mettaient des photos de moi partout sur Instagram, des photos glamour qui ne ressemblaient pas du tout à mon quotidien. Alors, j’ai ouvert mon propre compte pour montrer mon vrai visage, sans maquillage, avec des boutons sur le menton, en train de regarder un film tranquille plutôt que de faire la tournée des bars les plus hot. Malgré tout, des filles m’écrivent tous les jours pour me dire que je suis « parfaite ». Je ne sais plus quoi faire pour briser cette image !

M.-T. C’est aussi la responsabilité des auteurs et des producteurs de monter des séries moins léchées, dans lesquelles les acteurs paraissent sans artifice. La British Broadcasting Corporation (BBC) le fait beaucoup. Au Québec, il y a Danielle Trottier, créatrice d’Unité 9, qui met en scène des femmes dans la cinquantaine. Et Chantal Cadieux, scénariste de Mémoires vives, dans laquelle je joue. Souvent, des femmes m’abordent : « On est contentes de voir quelqu’un qui nous ressemble à la télé, on aime que vous ne soyez pas maigre, que vous ayez de gros seins ! » Et c’est tant mieux. Je prêche depuis longtemps pour la diversité à l’écran.

Est-ce que les gars ont la partie plus facile ?

M.-T. Oui et c’est une profonde injustice. Le nombre d’acteurs de 50 ans et plus qui croulent sous les contrats, même ceux dont l’estomac arrive dans la pièce cinq minutes avant eux ! Aucune actrice n’aurait autant de rôles avec un tel casting. Les femmes aiment la maturité chez l’homme, les traces du temps sur son visage… mais le contraire n’est pas nécessairement vrai. LE compliment pour une femme, c’est d’entendre qu’elle ne fait pas son âge. Comme s’il y avait quelque chose de déshonorant à faire son âge ! D’où cette angoisse perpétuelle dans l’œil des comédiennes vieillissantes, et même chez les plus jeunes : « De quoi j’ai l’air en ce moment, ch’tu correcte ? » Ça me fait capoter, tout ce temps que nous passons, nous les femmes, à prendre soin de nos cheveux, de nos ongles, de notre peau pour correspondre à des critères ; tout l’argent que nous y investissons alors que nous sommes encore payées de 15 % à 20 % moins que les gars… C’est autant de temps qui n’est pas employé à prendre notre place socialement et à fracasser ce fameux plafond de verre.

Vieillir, ça vous fait peur ?

J. Je prends grand soin de ma peau pour ralentir l’effet du temps. Mais pour moi, pas question de bistouri ni de Botox. Je trouve que ça paralyse l’expression.

M.-T. Moi, j’ai pensé à la chirurgie. J’ai même consulté. Puis j’ai laissé tomber. Pour le moment en tout cas. On fait ça pour tromper qui, pour tromper quoi ? Je regardais l’actrice Judi Dench dans le film Philomena dernièrement. Plissée, ridée… C’était tellement émouvant ! J’ai décidé que j’allais plutôt appartenir à cette catégorie.

S.-J.  Moi aussi. Mais je vais peut-être changer d’avis. La perspective de vieillir reste intimidante. Et avant ça, celle d’avoir des enfants. Dans notre milieu, quand une fille vient d’accoucher, on entend beaucoup : « Pis, elle est rendue comment ? » T’as le droit d’avoir une bedaine de grossesse, mais le reste ne doit pas bouger ! Et puis, après les années de procréation, les inquiétudes liées au vieillissement embarquent… Des fois, je me demande : « Coudonc, quand est-ce qu’on a du fun ? »

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